Tournant archivistique et tournant numérique en Afrique

Entretien avec Vincent Hiribarren

Vincent Hiribarren

p. 273-282

Traduction(s) :
Viragem arquivística e viragem digital em África

Citer cet article

Hiribarren, Vincent. 2020. « Tournant archivistique et tournant numérique en Afrique : Entretien avec Vincent Hiribarren ». Sources. Materials & Fieldwork in African Studies n° 1 : 273-282. https://www.sources-journal.org/165

Index géographique

Nigeria, South Africa

Entretien réalisé par la rédaction.

Historien et enseignant au Kings’s College de Londres, Vincent Hiribarren a soutenu une thèse sur l’histoire du Bornou à l’Université de Leeds en 2012, publié en 2017 sous le titre A History of Borno: Trans-Saharan African Empire to Failing Nigerian State (Hiribarren 2017). Ses travaux s’inscrivent dans une perspective de longue durée pour retracer l’histoire de cette région ouest-africaine, située dans le nord-est du Nigéria, de l’époque moderne de l’empire du Bornou (xivexixsiècle) jusqu’à l’histoire récente du groupe terroriste Boko Haram. Il mobilise des sources singulièrement diverses, entre histoire et anthropologie : archives, entretiens, données géographiques. La revue Sources a souhaité lui ouvrir les colonnes de ce premier dossier. Investi dans de nombreux projets de collectes et de numérisations archivistiques, il nous confie son expérience en matière d’histoire, d’archives et d’humanités numériques.

Historien, vous travaillez depuis de nombreuses années sur l’histoire du Nigéria. Comment en êtes-vous venus à vous intéresser à la question des humanités numériques ? Est-ce lié à votre terrain, à des enjeux institutionnels ou pédagogiques ou encore à un certain « air du temps » des sciences humaines et sociales ?

Un goût personnel m’a poussé très tôt vers le numérique : c’est évidemment générationnel. Je suis allé à l’université dans les années 2000, juste au moment où Internet se diffusait dans le monde entier. Difficile de ne pas être influencé par le potentiel gigantesque de ces technologies. Les humanités numériques se sont présentées comme une évidence. Je n’avais pas besoin d’aller chercher loin pour comprendre comment marchaient les choses. Internet aime beaucoup parler d’Internet. Se former soi-même a toujours été facile.

Il est évident que travailler avec les humanités numériques fait partie de l’air du temps. Comment trouver un emploi sans avoir cet atout sur son CV ? Quelle que soit la forme qu’elle prenne, la compétition effrénée entre candidat·e·s pour des postes dans tous les pays m’a poussé à développer mes compétences informatiques, ne serait-ce que pour mieux disséminer les résultats de mes propres recherches. Cette tactique toute personnelle s’accompagnait pourtant d’une réflexion plus large sur la recherche.

J’ai toujours été déçu de découvrir des chercheur·e·s brillant·e·s dans des revues obscures ou dans des publications à peine diffusées au-delà de quelques bibliothèques spécialisées. Pourquoi gâcher tant de ressources humaines et financières ? La solution est sous nos yeux, dans tous les objets connectés qui nous entourent. Les humanités numériques mettent en valeur bien plus facilement la recherche universitaire. Elles permettent un travail en équipe et permettent de toucher un public bien plus large qu’avec nos moyens de diffusion habituels. Pour cette raison, j’ai eu l’idée, avec Jean-Pierre Bat, de créer Africa4, un blog qui parle d’histoire de l’Afrique, sur la plateforme de blogs du journal français Libération1. Avec des lecteurs dans tout le monde francophone et au-delà, Africa4 a reçu plus de deux millions de visites uniques depuis sa création en 2014.

Évidemment, il existe de très nombreuses façons de faire des humanités numériques. Je n’ai pas trop de doutes sur la façon dont certains projets investissent les humanités numériques pour le côté esthétique de la chose. Une jolie carte ou un beau site web ne remplaceront jamais une recherche approfondie. Elles peuvent cependant aider à diffuser un message voire à se poser de nouvelles questions de recherche. Une base de données ou une visualisation peuvent permettre de réfléchir au-delà du sujet initial en révélant des connexions entre des phénomènes peu explorés jusque-là. À mon avis, les méthodes des humanités numériques feront partie de la boîte à outils de tous les historiens dans un futur proche. Ne seront plus séparées artificiellement les méthodes analogiques et méthodes numériques.

Quels sont les projets existants qui représentent, selon vous, les grands intérêts et grandes tendances actuelles de ce travail sur les archives en Afrique ? Ceux qui ont en quelque sorte servi de modèle et expliquent le foisonnement qui s’opère maintenant.

L’Afrique du Sud est un territoire précurseur dans le domaine. Depuis le début des années 2000, des archivistes y travaillent avec des historiens pour répertorier et numériser les documents qui ont permis au pays de se libérer du joug de l’Apartheid. Commencé en 2002, le projet Digital Imaging South Africa2 de l’Université de KwaZulu-Natal à Durban s’est d’abord concentré sur les périodiques des opposants à l’Apartheid entre 1960 et 1994. Financé depuis les États-Unis d’Amérique par l’Andrew Mellon Foundation, ce projet a annoncé une tendance qui se manifeste jusqu’à aujourd’hui : une institution privée d’un pays du Nord finance un projet de numérisation dans un pays du Sud. Ainsi, des documents sur les guerres de libération de la seconde moitié du xxe siècle en Afrique australe ont été placés sur la plateforme Aluka à partir de 2003 grâce à l’argent des fondations américaines Mellon, Hewlett et Niarchos. Depuis 2008, ces documents sont disponibles sur JSTOR, une plateforme payante de mise à disposition de revues scientifiques tenue par Ithaka, une organisation américaine à but non lucratif3.

Outre ces initiatives pionnières, il est aussi important de voir que la reproduction des documents en Afrique n’est pas sortie du néant dans les années 2000. On pourrait penser au microfilmage des archives coloniales du Kenya entrepris par l’université américaine de Syracuse depuis les années 19704. Au Sénégal, où se trouvent aujourd’hui les archives coloniales de l’Afrique occidentale française, un même travail de microfilmage a été effectué avant la numérisation de certaines parties des archives coloniales, avec le soutien des Archives nationales de France (Mbaye 2009).

Enfin, l’un des projets les plus fascinants à mon sens est le travail de longue haleine effectué par Derek Peterson5, professeur d’histoire de l’Afrique à l’Université du Michigan (États-Unis). Avec le soutien des archives d’Ouganda, des universités de Cambridge (Royaume-Uni), Makerere, Busoga, Kabale (Ouganda) et du British Institute of Eastern Africa (Kenya), il catalogue depuis plus de dix ans les archives régionales d’Ouganda et plus récemment du Soudan du Sud. En formant des équipes sur place, il contribue à créer un écosystème dans la région qui vise à préserver, cataloguer et numériser des archives coloniales mais aussi postcoloniales.

Quels sont les principaux programmes de numérisation d’archives que vous avez initiés ou auxquels vous avez participé ?

Le premier travail que j’ai effectué avec Jean-Pierre Bat a été de comprendre comment les archives francophones d’Afrique centrale étaient structurées à Brazzaville (Bat 2009). Nous avons créé ensemble un site web6 qui met à disposition du public les catalogues, une sélection d’archives, l’adresse des archives nationales et le contact de Brice Owabira, l’archiviste en charge des archives nationales du Congo. Ce site web créé avec WordPress a l’avantage de disposer d’un hébergement gratuit en ne diffusant que quelques publicités en échange. Il est aussi accessible avec des connexions Internet limitées et est réactif, c’est-à-dire qu’il marche sur tous les formats d’écran, que ce soit celui d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un téléphone portable7.

Nous avons dupliqué cette méthode en Côte d’Ivoire à Abidjan8 et je l’ai également reproduite pour les Archives nationales du Nigéria à Kaduna9 grâce au soutien de l’IFRA-Nigeria. Ces opérations, toujours réalisées en partenariat avec les institutions publiques africaines, sont importantes puisqu’elles permettent aux centres d’archives une plus grande visibilité en investissant relativement peu d’heures de travail de leurs agents. La directrice de l’IFRA-Nigeria, Élodie Apard, a aussi apporté son appui à un nouveau chantier qui dépasse le cadre maintenant bien connu des archives publiques ; ce projet novateur s’intéresse ainsi aux archives de chercheurs comme J.F. Ade Ajayi10 ou d’intellectuelles et militantes comme Adetowun Ogunsheye11.

J’ai aussi obtenu trois bourses de l’Endangered Archives Programme de la British Library12 pour numériser des documents précoloniaux à Madagascar ou coloniaux au Bénin. Ces projets de la British Library, financés par la fondation américaine Arcadia, permettent de numériser une sélection de documents choisis avec les directeurs des archives nationales de ces pays (Sahondra Sylvie Andriamihamina pour Madagascar et Mathias Massodé pour le Bénin). Ils ont beaucoup d’avantages (mais aussi des inconvénients – j’y reviendrai). Ils permettent de travailler en équipe pour préserver les documents, les cataloguer de manière précise, les mettre en valeur et au final en assurer une copie utilisable en ligne.

Au regard de la carte des projets de numérisation effectués par la British Library sur la planète, on ne peut être qu’impressionné par le fait que des pans entiers de l’histoire humaine sont maintenant accessibles à ceux qui possèdent une connexion Internet. C’est pour cette raison que j’ai rejoint le comité scientifique du Modern Endangered Archives Program13 créé en 2019 par la University of California Los Angeles (UCLA), et également financé par Arcadia.

En quoi les technologies du numérique transforment-elles le travail archivistique et de recherche ? Font-elles évoluer les problématiques et les approches scientifiques de l’écriture de l’histoire africaine, mais aussi les démarches des disciplines des sciences humaines et sociales historiquement peu portées sur les documents, comme l’anthropologie ? Voyez-vous un lien avec ce qu’on a appelé l’archival turn ?

L’archival turn a commencé il y a une trentaine d’années dans le monde universitaire anglophone dans des disciplines autres que l’histoire. Ce courant a permis une interrogation sur le sens à donner à la collecte, la préservation et la mise à disposition des archives. C’est bien le succès de Michel Foucault qu’il faut constater ici. Avec une anthropologue comme Ann Laura Stoler (2009) ou une spécialiste des Cultural Studies comme Anjali Arondekar (2009), on dépasse la simple question méthodologique posée bien souvent par les historiens sur leurs sources. Cette remise en question intellectuelle et non plus seulement pratique des sources a souvent été faite à partir de documents produits en situation coloniale où les rapports de domination pouvaient être exprimés de manière très violente.

L’archival turn a permis à de multiples chercheur·e·s de questionner l’épistémologie de leurs disciplines, mais aussi de faire des archives un sujet de recherche en elles-mêmes. En cela, on dépasse largement les analyses institutionnelles et techniques sur les archives qui sont pourtant nécessaires à leur bon fonctionnement. Ce champ très fécond a suscité de nombreuses réflexions dans les pays de langue anglophone sur ce qu’est « une archive » (au singulier). Par exemple, en Afrique, ce sont les archivistes formés aux sciences de l’information qui ont pu apporter, comme Verne Harris en Afrique du Sud, une réflexion critique sur leurs archives (Hamilton et al. 2002). Un historien nigérian comme Toyin Falola a quant à lui pu parler d’« archives rituelles » (Falola 2017). Les possibilités sont quasiment infinies.

L’arrivée en masse du numérique a été plus tardive que cette réflexion mais elle s’y est adossée de façon assez logique. Si l’on peut faire une longue liste des différents projets existant, il est d’abord essentiel de penser aux archives nativement numériques. En Afrique comme ailleurs, des courriels, des tweets, des sites web, etc., sont archivés par de nombreux individus, associations, groupes politiques, entreprises et autorités publiques désireux de garder une trace de leurs activités. Les chercheurs peuvent déjà en tirer un bénéfice en travaillant directement avec les services informatiques concernés ou en utilisant Wayback Machine14 qui permet de trouver certains sites web maintenant disparus.

Évidemment, le numérique peut s’insérer dans le travail quotidien des archivistes et des chercheur·e·s. On pourra citer le projet Zamani de l’Université du Cap15 qui numérise en 3D des bâtiments du passé africain souvent classés au patrimoine mondial de l’humanité. On peut aussi se concentrer sur les catalogues d’archives comme avec le projet Archives Africa16 que j’ai créé avec l’archiviste Geoffrey Browell à King’s College London. Notre but est de créer un catalogue d’archives en ligne pour mettre en valeur les archives postcoloniales du pays. Grâce à un moteur de recherche et des mots-clefs préparés à l’avance par les archivistes malgaches, il est possible de fouiller les inventaires des Archives nationales de Madagascar. Tout ce travail numérique, dont on ne voit que le résultat final sur nos écrans, nécessite des ressources financières, du temps mais aussi une réorganisation du travail en amont.

Si la numérisation des documents et leur mise en ligne suscitent un réel engouement, de nombreuses critiques ont également émergé : impérialisme numérique, enjeux écologiques, propriété intellectuelle, etc. Partagez-vous ces craintes ?

Un numéro récent de History in Africa intitulé « Archives, the Digital Turn, and Governance in Africa » essaie de porter un regard critique sur ces pratiques de numérisation de masse (Chamelot, Hiribarren et Rodet 2019). Je l’ai codirigé avec Marie Rodet (SOAS) et Fabienne Chamelot (University of Portsmouth), laquelle achève une thèse d’histoire passionnante sur la création d’archives nationales dans les colonies d’Afrique occidentale française et d’Indochine pendant la décolonisation.

Comme le reconnaissent les auteur·e·s réuni·e·s dans ce numéro, des problèmes liés à la numérisation de masse des archives en Afrique ont été identifiés dès le lancement de tels projets en Afrique du Sud dans les années 2000. Peter Limb, spécialiste de l’histoire du pays, ironisait déjà en 2007 : « Les missionnaires du xxie siècle n’apporteront pas des Bibles mais des scanners » (Limb 2007). La dimension salvatrice de la technologie importée par les pays du Nord est à prendre en compte. Regardez tout ce qui a été écrit au sujet des manuscrits de Tombouctou qui n’en finissent pas d’être sauvés.

On pourra aussi bien sûr penser aux programmes intensifs de numérisation de registres de naissance et décès par les mormons dans de nombreuses régions d’Afrique17. Leur but est de baptiser a posteriori tous les humains ayant vécu sur la planète en vue de leur croyance dans le Jugement Dernier18. Cette numérisation de masse crée des bases de données gigantesques dont le contenu peut être revendu à des sites de généalogie. Entre croyance religieuse et exploitation des données personnelles, on est bien loin des objectifs affichés de la plupart des programmes de numérisation.

Au-delà de l’aspect « sauveur blanc » bien-pensant qu’il faut toujours prendre en compte, il est aussi important de voir à quel point ces questions sont politiques. Beaucoup de projets de numérisation dont j’ai fait partie interviennent sur des documents qui appartiennent à un État. Travailler avec des archives nationales et mettre certains de leurs documents (pas tous) en ligne peut directement empiéter sur leur souveraineté. Même si ce n’est pas toujours le cas, avoir un recours systématique à un système d’aide internationale dans le domaine peut aussi saper son autorité dans les domaines cruciaux que sont l’accès aux technologies et la mise à disposition de leurs documents à un plus large public. Des sommes relativement élevées venues du Nord sont investies dans des projets à forte visibilité internationale, mais avec très peu d’impact sur les populations des pays concernées. D’où l’expression d’« impérialisme numérique ».

Être derrière mon écran depuis mon université à Londres est une chose facile. En revanche, on ne se rend pas compte de tout le travail effectué par les archivistes en amont. Les projets de numérisation ont tendance à nous faire penser à ces documents seulement en termes de résultat final, c’est-à-dire du fichier visible sur notre écran. Mais pour qu’un document en arrive là, il a fallu le collecter, le préserver, le classer, l’inventorier, le numériser et le ranger. Toutes ces opérations effectuées pendant des années par les archivistes sont de fait invisibilisées par une glorification des programmes de numérisation. Il est donc nécessaire de reconnaître que les projets de numérisation n’arrivent qu’en bout d’une très longue chaîne, et que les historiens qui les portent (dont moi-même) ne sont qu’une petite partie de ce processus. En cela, les humanités numériques peuvent exercer une pression immédiate sur des métiers qui se construisent par nature dans le temps long.

Finalement, revient la question technique. Le numérique n’a en rien enlevé la dimension pratique de la conservation et de la consultation des archives. Par exemple, où sont sauvegardés les documents créés par ces logiciels de numérisation ? Les programmes de numérisation que je connais prévoient un stockage dans les pays concernés mais les serveurs les mettant à disposition du public sont, eux, souvent situés à l’étranger. On pourrait aussi se pencher sur les ressources énergétiques nécessaires pour faire tourner ces serveurs ou simplement se poser la question de la durée de vie d’un disque dur, qui est bien moins importante que celle du papier. La numérisation n’est en rien la panacée.

Face aux conditions de travail et au manque de moyens des archivistes en Afrique sub-saharienne, quelles sont les limites et les difficultés du passage au numérique ? Quels sont les enjeux de la numérisation, en particulier pour les petits centres d’archives locaux ?

Dans beaucoup de centres d’archives en Afrique, la venue de visiteurs est une source de revenus officiels et parfois non officiels. Ce phénomène est d’autant plus présent dans les plus petits centres d’archives régionaux qui, eux, ne se situent pas à côté d’un aéroport international. Ces centres d’archives ne peuvent pas se permettre de perdre des revenus et voient par conséquent ces programmes de numérisation d’un mauvais œil. Le phénomène n’est pas entièrement nouveau. La vraie numérisation de masse a en fait commencé avec la démocratisation des appareils photo numériques dans les années 2000. Dans les disques durs de nombreux chercheurs sommeillent des téraoctets de documents historiques.

La nouveauté réside dans la mise à disposition gratuite de ces documents au plus grand nombre, et force est de reconnaître qu’elle peut générer une forte tension. Les programmes de numérisation ne peuvent pas se permettre de briser des équilibres économiques fragilisés par des années de manque d’investissement. C’est pour cela que je pense que la numérisation de catalogues et d’une petite sélection de documents est une solution. Elle peut permettre de faire de la publicité aux centres d’archives en question tout en incitant les chercheurs à s’y rendre.

Vous travaillez en grande partie sur des archives écrites, mais pas seulement. Vous avez par exemple collecté de nombreuses données d’information géographique que vous cartographiez. Dans votre dernier ouvrage, Un manguier au Nigéria (Hiribarren 2019), les sources orales occupent une place de choix. Vous y restituez aussi avec finesse les conditions d’enquête qui ont nourri ce travail. Ces matériaux (oraux, visuels, cartographiques, sensibles) ont-ils leur place dans le tournant numérique ? Numériser et rendre accessible les données des époques contemporaines, ainsi que celles de la recherche « en train de se faire », nous confronte peut-être à d’autres types d’enjeux : comment relever ces défis ?

Oui évidemment, l’histoire doit s’écrire de plusieurs façons et les historiens de l’Afrique ont depuis longtemps dépassé le mélange sources écrites/sources orales à l’origine de leur discipline. Je pense que le mélange de supports peut être intéressant. Avec mon collègue Nicholas Grant (University of East Anglia), j’ai créé une carte19 à partir des récits oraux et écrits d’Alfred et Hazel Hutchinson, un couple mixte ayant fui l’Afrique du Sud pendant la période de l’Apartheid.

Mettre à disposition des lecteurs certaines sources peut se révéler avantageux sous beaucoup d’aspects. Je pense par exemple à la thèse d’Enrique Martino sur l’histoire de la Guinée Équatoriale (Martino 2016). Ce dernier a mis sur son site20 quasiment toutes les sources qu’il a utilisées dans sa thèse. Ce projet ambitieux peut s’inscrire dans une volonté de démocratiser l’accès aux documents mais aussi de montrer comment se construisent des archives personnelles.

Enregistrer et mettre à disposition du public tous ces documents avec l’autorisation préalable des personnes concernées est selon moi un premier pas21. Cela implique de former les historiens aux questions éthiques, juridiques, et techniques. Tout n’est évidemment pas possible dans ce domaine mais une réflexion devrait être menée en amont et pendant la recherche, et non simplement après.

Le but n’est pas de créer des professionnels du numérique, mais de préparer les historiens à autre chose que l’écriture sous des formats classiques. Mon idée n’est pas de transformer tous les chercheurs en programmeurs22, mais de partager les sources récoltées sur le terrain plus facilement sous différents formats. On parle beaucoup du concept intellectuel de « décolonisation » venu d’Amérique du Sud. Ce terme a pu vouloir dire des choses très différentes au fil des années selon le contexte politique des pays où le concept a essaimé (Afrique du Sud, Royaume-Uni, France…). Si l’on revient à l’une de ses origines intellectuelles sur les origines coloniales du savoir, on peut voir à quel point cette interrogation peut être fructueuse intellectuellement Quoi de mieux que cette réflexion pour reconstruire de nouvelles archives dans cette optique ?

1 Africa4. http://libeafrica4.blogs.liberation.fr/.

2 Digital Innovation South Africa. https://disa.ukzn.ac.za/.

3 Struggles for Freedom: Southern Africa. https://www.jstor.org/site/struggles-for-freedom/southern-africa/.

4 Kenya National Archives Guides, Syracuse University. https://surface.syr.edu/archiveguidekenya/ [archive].

5 Peterson, Derek R. 2015. « Archive Catalogues. » Derek R. Peterson (blog) : https://derekrpeterson.com/archive-work/.

6 Archives de l’Afrique équatoriale française (Brazzaville). https://archivescolonialesbrazzaville.wordpress.com [archive].

7 Voir « Site web réactif », Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Site_web_r%C3%A9actif [archive].

8 Archives coloniales d’Abidjan. Série EE : Affaires politiques. https://archivescolonialesabidjan.wordpress.com/ [archive].

9 Nigeria National Archives – Kaduna. https://nationalarchivesnigeriakaduna.wordpress.com/ [archive].

10 Jadeas Trust Library. https://jadeastrustlibrary.wordpress.com/ [archive].

11 Ogunsheye Foundation. https://ogunsheyefoundation.wordpress.com/ [archive].

12 Endangered Archives Programme. British Library. https://eap.bl.uk/

13 Modern Endangered Archives Program. UCLA Library. https://www.library.ucla.edu/partnerships/modern-endangered-archives-program.

14 Voir : https://archive.org/web/. Wayback Machine est un service proposé par Internet Archive pour l’enregistrement en ligne de pages web, le

15 Zamani Project, University of Cape Town. https://www.zamaniproject.org/.

16 Archives Africa. https://archives-africa.org/ [archive].

17 Voir cet exemple en Sierra Leone : « Church Preserves Precious Records of African Nation ». 2017. The Church of Jesus Christ of Latter-Day Saints.

18 Christofferson, Elder D. Todd. 2017. « Why Baptisms for the Dead. » The Church of Jesus Christ of Latter-Day Saints. Août 2017. https://www.

19 Hiribarren, Vincent. « Anti-Apartheid in Exile: Alfred Hutchinson’s Road to Ghana. » Vincent Hiribarren (blog). https://www.vincenthiribarren.com/

20 Opensourceguinea.org. http://www.opensourceguinea.org/ [archive].

21 Écouter par exemple cet entretien de la directrice de Cassava Republic Press, Bibi Bakare-Yusuf : Bakare-Yusuf, Bibi, et Vincent Hiribarren. 2020.

22 Voir d’ailleurs le site de The Programming Historians à ce sujet : The Programming Historians. https://programminghistorian.org/.

Références citées

Arondekar, Anjali. 2009. For the Record: On Sexuality and the Colonial Archive in India, Durham : Duke University Press.

Bakare-Yusuf, Bibi, et Vincent Hiribarren. 2020. « Bibi Bakare Yusuf: Gender and Publishing in Africa. » King’s College London. https://soundcloud.com/kings-college-london/bibi-bakare-yusuf-gender-and-publishing-in-africa.

Bat, Jean-Pierre. 2009. « Les archives de l’AEF ». Afrique histoire 7 (1) : 301-311. https://www.cairn.info/revue-afrique-et-histoire-2009-1-page-301.html.

Chamelot, Fabienne, Vincent Hiribarren, et Marie Rodet. 2019. « Archives, the Digital Turn, and Governance in Africa. » History in Africa (First View) : 1-18. https://doi.org/10.1017/hia.2019.26.

Christofferson, Elder D. Todd. 2017. « Why Baptisms for the Dead. » The Church of Jesus Christ of Latter-Day Saints. Août 2017. https://www.churchofjesuschrist.org/study/new-era/2017/08/why-baptisms-for-the-dead.

« Church Preserves Precious Records of African Nation ». 2017. The Church of Jesus Christ of Latter-Day Saints. 28 septembre 2017. http://newsroom.churchofjesuschrist.org/article/church-preserves-precious-records-of-african-nation.

Falola, Toyin. 2017. « Ritual Archives. » In The Palgrave Handbook of African Philosophy, dirigé par Adeshina Afolayan et Toyin Falola : 703-728. New York : Palgrave Macmillan.

Hamilton, Carolyn, Verne Harris, Jane Taylor, Michele Pickover, Graeme Reid, et Razia Saleh, eds. 2002. Refiguring the Archive. Dordrecht : Kluwer Academic Publishers.

Hiribarren, Vincent. 2019. Un manguier au Nigéria. Paris : Plon.

Hiribarren, Vincent. 2017. A History of Borno: Trans-Saharan African Empire to Failing Nigerian State. Londres : Hurst and Oxford University Press.

Limb, Peter. 2007. « The Politics of Digital ‘Reform and Revolution’: Towards Mainstreaming and African Control of African Digitisation. » Innovation n° 34. http://eprints.rclis.org/28392/1/Article.050.pdf

Martino, Enrique. 2016. « Touts and Despots: Recruiting Assemblages of Contract Labour in Fernando Pó and the Gulf of Guinea, 1858-1979. » PhD Diss. Berlin : Humboldt University of Berlin.

Mbaye, Ousmane. 2009. « Le CAOM : un centre d’archives partagées ? » Afrique & histoire 7 (1) : 291‑299. https://www.cairn.info/revue-afrique-et-histoire-2009-1-page-291.htm

Stoler, Ann Laura. 2009. Along the Archival Grain. Epistemic Anxieties and Colonial Common Sense. Princeton : Princeton University Press.

Ressources web citées

Archives Africa. https://archives-africa.org/ [archive].

Archives coloniales d’Abidjan. Série EE : Affaires politiques. https://archivescolonialesabidjan.wordpress.com/ [archive].

Archives de l’Afrique équatoriale française (Brazzaville). https://archivescolonialesbrazzaville.wordpress.com [archive].

Digital Innovation South Africa : https://disa.ukzn.ac.za/.

Endangered Archives Programme. British Library. https://eap.bl.uk/.

Hiribarren, Vincent. « Anti-Apartheid in Exile: Alfred Hutchinson’s Road to Ghana. » Vincent Hiribarren (blog). https://www.vincenthiribarren.com/maps/hutchinson/index.html [archive].

Jadeas Trust Library. https://jadeastrustlibrary.wordpress.com/ [archive].

Kenya National Archives Guides, Syracuse University : https://surface.syr.edu/archiveguidekenya/ [archive].

Modern Endangered Archives Program. UCLA Library. https://www.library.ucla.edu/partnerships/modern-endangered-archives-program

Nigeria National Archives – Kaduna. https://nationalarchivesnigeriakaduna.wordpress.com/ [archive].

Ogunsheye Foundation. https://ogunsheyefoundation.wordpress.com/ [archive].

Opensourceguinea.org. http://www.opensourceguinea.org/ [archive].

Peterson, Derek R. 2015. « Archive Catalogues ». Derek R. Peterson (blog) : https://derekrpeterson.com/archive-work/.

The Programming Historians. https://programminghistorian.org/.

Struggles for Freedom: Southern Africa : https://www.jstor.org/site/struggles-for-freedom/southern-africa/.

Zamani Project, University of Cape Town. https://www.zamaniproject.org/.

1 Africa4. http://libeafrica4.blogs.liberation.fr/.

2 Digital Innovation South Africa. https://disa.ukzn.ac.za/.

3 Struggles for Freedom: Southern Africa. https://www.jstor.org/site/struggles-for-freedom/southern-africa/.

4 Kenya National Archives Guides, Syracuse University. https://surface.syr.edu/archiveguidekenya/ [archive].

5 Peterson, Derek R. 2015. « Archive Catalogues. » Derek R. Peterson (blog) : https://derekrpeterson.com/archive-work/.

6 Archives de l’Afrique équatoriale française (Brazzaville). https://archivescolonialesbrazzaville.wordpress.com [archive].

7 Voir « Site web réactif », Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Site_web_r%C3%A9actif [archive].

8 Archives coloniales d’Abidjan. Série EE : Affaires politiques. https://archivescolonialesabidjan.wordpress.com/ [archive].

9 Nigeria National Archives – Kaduna. https://nationalarchivesnigeriakaduna.wordpress.com/ [archive].

10 Jadeas Trust Library. https://jadeastrustlibrary.wordpress.com/ [archive].

11 Ogunsheye Foundation. https://ogunsheyefoundation.wordpress.com/ [archive].

12 Endangered Archives Programme. British Library. https://eap.bl.uk/

13 Modern Endangered Archives Program. UCLA Library. https://www.library.ucla.edu/partnerships/modern-endangered-archives-program.

14 Voir : https://archive.org/web/. Wayback Machine est un service proposé par Internet Archive pour l’enregistrement en ligne de pages web, le stockage et l’indexation de ces captures. En mai 2020, environ 430 milliards de pages web ont été enregistrées grâce à Wayback Machine, de manière automatisée ou manuelle, et sont mises à disposition via son moteur de recherche.

15 Zamani Project, University of Cape Town. https://www.zamaniproject.org/.

16 Archives Africa. https://archives-africa.org/ [archive].

17 Voir cet exemple en Sierra Leone : « Church Preserves Precious Records of African Nation ». 2017. The Church of Jesus Christ of Latter-Day Saints. 28 septembre 2017. http://newsroom.churchofjesuschrist.org/article/church-preserves-precious-records-of-african-nation.

18 Christofferson, Elder D. Todd. 2017. « Why Baptisms for the Dead. » The Church of Jesus Christ of Latter-Day Saints. Août 2017. https://www.churchofjesuschrist.org/study/new-era/2017/08/why-baptisms-for-the-dead.

19 Hiribarren, Vincent. « Anti-Apartheid in Exile: Alfred Hutchinson’s Road to Ghana. » Vincent Hiribarren (blog). https://www.vincenthiribarren.com/maps/hutchinson/index.html [archive].

20 Opensourceguinea.org. http://www.opensourceguinea.org/ [archive].

21 Écouter par exemple cet entretien de la directrice de Cassava Republic Press, Bibi Bakare-Yusuf : Bakare-Yusuf, Bibi, et Vincent Hiribarren. 2020. « Bibi Bakare Yusuf: Gender and Publishing in Africa. » King’s College London. https://soundcloud.com/kings-college-london/bibi-bakare-yusuf-gender-and-publishing-in-africa.

22 Voir d’ailleurs le site de The Programming Historians à ce sujet : The Programming Historians. https://programminghistorian.org/.

CC BY SA 4.0