[Fermé] Savoirs environnementaux et nature(s) en Afrique

Collecter, produire et analyser des matériaux de recherche

Coordinatrices du numéro

Luisa Arango
(Université de Strasbourg, UMR 7363 SAGE, associée au CEDEJ-Khartoum, MAEDI/USR 3123 CNRS)

Émilie Lavie
(Université de Paris-Diderot, UMR 8586 PRODIG)

Émilie Guitard
(CNRS, UMR 8586 PRODIG)

Calendrier aux auteur·e·s

  • 30 novembre 2019 : envoi des propositions d’article, consistant en un résumé d’une vingtaine de lignes avec titre provisoire, nom(s), coordonnées et affiliations des auteur·e·s. Une adresse mail doit y être impérativement indiquée.

Le résumé doit présenter la nature des matériaux traités, les décrire brièvement et donner des éléments de contextualisation en lien avec la discipline et la question de recherche.

  • 16 décembre 2019 : réponse aux auteur·e·s (acceptation ou refus)

  • 15 avril 2020 : envoi de l’article

  • 15 juillet 2020 : envoi d’un rapport d’évaluation aux auteur·e·s

  • 1er octobre 2020 : remise des versions finales de l’article

  • Printemps 2022 : sortie du numéro

Les résumés puis les articles seront envoyés à :

arango@unistra.fr, emilie.lavie@univ-paris-diderot.fr et emilie.guitard@gmail.com

Les textes peuvent être soumis aux formats .doc, .docx, .odt, .rtf, et devront comporter en moyenne 45 000 signes (comprenant la bibliographie, le résumé et les mots-clés) mais des textes plus courts ou plus longs pourront également être acceptés.

Présentation

L’Afrique est un espace de référence dans la production des savoirs naturalistes et environnementaux mondiaux qui s’incarnent dans de nombreux objets et supports. Les chercheur·e·s y sont confronté·e·s à des conceptions diverses de la nature particulièrement estimées aujourd’hui, à une époque où les savoirs et les connaissances, de manière générale, prennent des nouvelles valeurs sociales et économiques (Moity-Maïzy, 2011).

Le continent a longtemps été considéré comme un laboratoire pour la recherche en matière d’environnement depuis les récits des explorateurs sur les milieux africains et leurs usages jusqu’au développement des sciences coloniales et impériales au xixe et xxe siècles (Tilley, 2011). Ainsi, les connaissances accumulées en Afrique ont fortement influencé le développement de la connaissance environnementale en Europe (Lachenal, 2005). Cartes et carnets de voyage, inventaires naturalistes et collections d’animaux, vivants ou empaillés, matérialisent ces processus de production du savoir. À ces objets s’ajoutent les contes et légendes locaux mais aussi les savoirs et savoir-faire vernaculaires sur la nature qui, accompagnés d’artefacts dédiés à la chasse, l’élevage ou la culture, ont été recueillis par les ethnologues, les géographes et les missionnaires (Bondaz, 2013).

Les dynamiques actuelles de patrimonialisation des ressources génétiques, du vivant, des paysages et des savoirs s’incarnent quant à elles dans les collections des musées d’histoire naturelle, la photographie et le dessin naturaliste. Ces objets de connaissance ont une valeur non seulement technique ou économique mais aussi esthétique, patrimoniale et écologique. Ils témoignent à la fois des relations particulières avec les milieux africains et des procédures mises en place pour produire des savoirs environnementaux et sur la/les nature(s) en Afrique (Tilley & Gordon, 2010), et ce par des groupes sociaux divers : populations locales, scientifiques, naturalistes amateurs ou professionnels, Africains et Européens, mais aussi originaires d’autres continents.

Dans ce cadre, les statistiques sur la faune et la flore et les modélisations sur le climat ou la biodiversité advenues plus tard, qui visent à fournir des informations sur l’état des écosystèmes africains et leurs futurs, témoignent d’importants changements de paradigmes théoriques et méthodologiques, mais aussi d’avancées techniques et de nouveaux rapports de pouvoir qui s’instaurent en lien avec les savoirs (Pinton, 2014).

Ce numéro de la revue Sources voudrait placer au centre de la réflexion les objets qui deviennent des matériaux de recherche et qui ont participé et participent pour certains toujours de la production, la transmission et la discussion des savoirs naturalistes et environnementaux en Afrique et sur l’Afrique. Leur analyse permet d’élucider les formes diverses, souvent négligées, de coproduction de ces savoirs, partant du travail d’identification, de sélection et de traduction accompli auprès des explorateurs européens par les populations locales, qualifiées dans certains travaux de « dark companions » (Simpson, 1975 ; Chrétien, 2005), pour aboutir aux actuelles collaborations intercontinentales avec les scientifiques africains, en passant par les aides et assistants de recherche lettrés ayant travaillé avec les anthropologues et sociologues dans l’Afrique coloniale des années 1940-1950 (Schumaker, 2001 ; Lawrance et al., 2006).

Ces interrogations sont ancrées dans le cadre théorique du « tournant matériel » qui nous invite à regarder d’abord les mains, les yeux et le contexte matériel de « ceux qui savent » pour essayer de comprendre, par leur truchement, la production et la circulation des savoirs (Latour, 1987 : 32). Il importe en effet de revenir sur les origines et traditions académiques de ces experts, africains ou d’ailleurs, pour rendre compte à la fois des inégalités matérielles inhérentes à la production des savoirs environnementaux, mais aussi de l’influence des contextes culturels dans leur créativité et le bricolage scientifique qu’ils proposent.

Outre la contextualisation géographique et historique des références aux nature(s) que nous rencontrons dans nos terrains, cette réflexion autour de la matérialité du savoir naturaliste permet d’interroger notre positionnement épistémologique. En tant que chercheur·e·s il est nécessaire de considérer notre relation aux régimes de savoir mobilisés par nos interlocutrices et interlocuteurs, et dans les institutions que nous étudions (Stehr, 2000). Ainsi, une attention particulière sera portée aux objets et supports collectés dans des contextes de référencement, de systématisation, d’apprentissage, d’enseignement, d’échange et de controverse sur les savoirs environnementaux en Afrique.

Cette attention importe face au foisonnement des programmes internationaux de gestion de la biodiversité ou des politiques publiques de conservation qui s’appuient souvent sur le modèle classique du transfert des connaissances des « savoirs savants » (scientifiques, experts ou académiques) vers les « savoirs profanes » (pratiques ou populaires) (Steyart, 2006). C’est dans le cadre des régulations environnementales, censées induire des changements dans les pratiques, qu’émergent des notions telles que « ethnoécologie » ou « savoirs environnementaux traditionnels ». Celles-ci ont fait l’objet de nombreuses controverses portant sur l’instrumentalisation simplificatrice des typologies vernaculaires (Roy et al., 2000). Dans ce contexte normatif, les plans de gestion, les chartes des sites protégés, les fascicules de sensibilisation à la protection de l’environnement, voire les programmes d’enseignement scolaires et universitaires (Berthelot, 2008 ; Losego, 2008) sont des objets « vecteurs d’apprentissage » (Kaine, 2002 : 176) et peuvent devenir autant de sources à mettre en valeur ou à discuter. En partant de l’idée qu’elles sont le résultat des choix et des rapports entre les acteurs en présence, elles invitent à nuancer les qualifications dichotomiques de la nature et des communautés épistémiques, mais aussi les conceptions trop essentialistes des savoirs. Ce débat relève ainsi d’une discussion sur les rapports de pouvoir entre des régimes de vérité ou des systèmes de classification du vivant très divers, émanant des communautés de savoir appelées de plus en plus à collaborer en Afrique (Jankowski, 2013 ; Gowing et al., 2004 ; Viard-Crétat, 2016).

Ces objets de savoir se multiplient également avec l’accroissement des urgences écologiques à l’échelle mondiale et en Afrique, continent particulièrement touché, parallèlement aux innovations techniques dans la recherche et la communication environnementales. L’imagerie sur les pollutions, les listes des espèces en danger, les documentaires de sensibilisation ou les émissions radiophoniques et télévisuelles confrontent les chercheur·e·s, au-delà de la rhétorique scientiste, aux transformations matérielles du milieu. Cette question s’inscrit dans des débats plus amples sur la démocratisation des savoirs environnementaux, sur l’accessibilité aux connaissances et sur les modalités de gouvernance de la recherche. Elle est en lien avec l’émergence des mouvements environnementaux sur le continent africain dont il a été montré que l’engagement des acteurs participe souvent à la construction des identités et des altérités (Gommart et Hennion, 1999 ; Callon, 2006). Les sciences participatives et la recherche-intervention ou la recherche-action sont également des dynamiques qui s’inscrivent dans ce contexte (Leach et Fairhead, 2002). Elles produisent de matériaux de recherche qui font la médiation entre des savoirs divers. Ainsi, bases de données citoyennes, cartes mentales ou tentatives de traduction de savoirs localisés se situent dans un contexte où la géographie et l’économie des connaissances se transforment profondément. Ces objets, sources de nos analyses, contribuent à la production d’une nouvelle « géopolitique des capacités de savoir » (Vinck, 2017 : 2-3) dont les mécanismes de diffusion et les modes de circulation, d’appropriation et de reconnaissance questionnent les centres de pouvoir classiques de leur production.

Les manières de traiter ces sources ayant trait aux savoirs environnementaux en Afrique sont nombreuses et diverses. Revenir à la matérialité de ces objets du savoir (caractéristiques techniques, capacité de mobilité, appropriation, clarté, fidélité, performance) permet de discuter de l’intérêt de certaines innovations techniques ou du coût économique et social de la recherche environnementale en Afrique. Le tracé de la généalogie de certains objets, quant à lui, peut permettre de suivre des filiations entre des écoles de pensée ou des institutions, de révéler des modalités de co-production du savoir, ou encore d’identifier des mutations dans les façons d’appréhender et de comprendre les natures du continent. Il est également possible de mettre en exergue les agencements divers dans lesquels se situent ces « objets-frontière » ou « objets-intermédiaires » (Vinck, 2009 ; Star et Griesemer, 1989), pour souligner les rapports que les acteurs en jeu entretiennent entre eux, avec ces artefacts du savoir et avec les natures. Enfin, des approches sémiologiques (perception) et phénoménologiques (expérience), décryptant les dimensions esthétiques, sensorielles, voire artistiques de certaines sources peuvent nous informer sur la place des affects, de la reconnaissance et des attachements que peuvent générer les questions environnementales en Afrique. Sans être exhaustives, ces approches constituent autant des pistes de réflexion qu’il convient d’enrichir et de développer dans ce numéro collectif.

Berthelot, Michèle. 2008. « La dimension critique de l’éducation relative à l’environnement dans un pays en développement : réflexions issues d’une expérience sénégalaise ». Éducation relative à l’environnement. Regards - Recherches - Réflexions 7 (septembre). http://journals.openedition.org/ere/3209.

Bicker, Alan, Roy Ellen, Peter Parkes, Roy Ellen, et Peter Parkes. 2003. Indigenous Enviromental Knowledge and Its Transformations : Critical Anthropological Perspectives. Routledge. https://doi.org/10.4324/9780203479568.

Bondaz, Julien. 2013. « L’ethnographie parasitée ? Anthropologie et entomologie en Afrique de l’Ouest (1928-1960) ». L’Homme. Revue française d’anthropologie, no 206 (juin): 121‑50. https://doi.org/10.4000/lhomme.24519.

Callon, Michel. 2013. « Pour une sociologie des controverses technologiques ». In Sociologie de la traduction : Textes fondateurs, édité par Madeleine Akrich et Bruno Latour, 135‑57. Sciences sociales. Paris: Presses des Mines. http://doi.org/10.4000/books.pressesmines.1196.

Chrétien, Jean-Pierre. 2005. « Les premiers voyageurs étrangers au Burundi et au Rwanda : les “compagnons obscurs” des “explorateurs” ». Afrique histoire 4 (2): 37‑72. https://www.cairn.info/revue-afrique-et-histoire-2005-2-page-37.htm.

Gomart, E., et A. Hennion. 1999. « A sociology of attachment: music amateurs, drug users ». In Law, J., Hassard, J. (éds.), Actor Network Theory and After: 220-227. Oxford : Blackwell. https://www.academia.edu/866668/A_Sociology_of_Attachment_Music_Amateurs_Drug_Addicts

Gowing, J., R. Payton, et M. Tenywa. 2004. « Integrating indigenous and scientific knowledge on soils: recent experiences in Uganda and Tanzania and their relevance to participatory land use planning ». Uganda Journal of Agricultural Sciences 9 (1): 184-191‑191. https://www.ajol.info/index.php/ujas/article/view/134887.

Kaine, Élisabeth. 2002. « Les objets sont des lieux de savoir ». Ethnologies 24 (2): 175‑90. https://doi.org/10.7202/006645ar.

Lachenal, Guillaume. 2005. « L’invention africaine de l’écologie française. Histoire de la station de Lamto (Côte d’Ivoire), 1942-1976 ». La revue pour l’histoire du CNRS, no 13 (novembre). https://doi.org/10.4000/histoire-cnrs.1662.

Lawrence, B.N., E.L. Osborn, et R.L. Roberts, éd. 2006. Intermediaries, Interpreters, and Clerks: African Employees in the Making of Colonial Africa. Madison: University of Wisconsin Press.

Latour, Bruno. 1987. « Les “vues” de l’esprit ». Réseaux. Communication - Technologie - Société, no 27 : 79‑96. https://doi.org/10.3406/reso.1987.1322.

Leach, Melissa, et James Fairhead. 2002. « Modes de contestation : le “savoir indigène” et la “science des citoyens” en Afrique de l’Ouest et dans les Caraïbes ». Revue internationale des sciences sociales, n173: 337‑51. https://doi.org/10.3917/riss.173.0337.

Losego, Philippe. 2008. « Quelle politique de la science pour un pays intermédiaire ? Le cas des sciences de la nature en Afrique du Sud (1945-2006) ». Revue d’anthropologie des connaissances 2 (3): 361‑90. https://doi.org/10.3917/rac.005.0361.

Moity-Maïzy, P. (éd). 2011. Savoirs et reconnaissance dans les sociétés africaines. Paris : Éditions Karthala.

Pinton, Florence. 2014. « De la période coloniale au développement durable. Le statut des savoirs locaux sur la nature dans la sociologie et l’anthropologie françaises ». Revue d’anthropologie des connaissances 8 (2): 425‑50. https://doi.org/10.3917/rac.023.0425.

Roy, E., Parkes P., Bicker A., éd. 2000. Indigenous Environmental Knowledge and its Transformations. Critical Anthropological Perspectives. Amsterdam : Overseas Publisher Association.

Schumaker, L. 2001. Africanizing Anthropology: Fieldwork, Networks, and the Making of Cultural Knowledge in Central Africa. Durham (NC) : Duke University Press.

Star, Susan Leigh, et James R. Griesemer. 1989. « Institutional Ecology, `Translations’ and Boundary Objects: Amateurs and Professionals in Berkeley’s Museum of Vertebrate Zoology, 1907-39 ». Social Studies of Science 19 (3): 387‑420. https://doi.org/10.1177/030631289019003001.

Stehr, Nico. 2000. « Le savoir en tant que pouvoir d’action ». Sociologie et sociétés 32 (1): 157‑70. https://doi.org/10.7202/001773ar.

Steyaert, Patrick. 2006. « La race bovine maraîchine, objet de médiation de différentes formes de savoirs ». Revue internationale des sciences sociales, no 187: 91‑99. https://doi.org/10.3917/riss.187.0091.

Tilley H. 2011. Africa as a Living Laboratory: Empire, Development, and the Problem of Scientific Knowledge (1870-1950). Chicago : University of Chicago Press.

Tilley H., et R. Gordon, éd. 2010. Ordering Africa: Anthropology, European Imperialism, and the Politics of Knowledge. Manchester : Manchester University Press.

Viard-Crétat, Aurore. 2016. « Savoirs tactiques et expertises. La candidature camerounaise pour le programme forestier Redd+ de la Banque mondiale ». Revue d’anthropologie des connaissances 10 (2): 279‑301. https://doi.org/10.3917/rac.031.0279.

Vinck, Dominique. 2017. « Repenser la connaissance ». Revue d’anthropologie des connaissances 11 (2): 101‑4. https://doi.org/10.3917/rac.035.0101.

Vinck, Dominique. 2009. « De l’objet intermédiaire à l’objet-frontière ». Revue d’anthropologie des connaissances 3 (1): 51‑72. https://doi.org/10.3917/rac.006.0051.