Écrire l’histoire d’une controverse : les relations entre l’Église catholique rwandaise et le génocide des Tutsi au travers de la presse rwandaise (1994-2003)

Writing the History of a Controversy: The Relationship between the Rwandan Catholic Church and the Tutsi Genocide through the Rwandan Press (1994–2003)

Escrever a história de uma controvérsia: as relações entre a Igreja Católica ruandesa e o genocídio dos Tutsi através da imprensa ruandesa (1994-2003)

Rémi Korman

p. 45-140

References

Korman, Rémi. 2021. “Écrire l’histoire d’une controverse : les relations entre l’Église catholique rwandaise et le génocide des Tutsi au travers de la presse rwandaise (1994-2003)”. Sources. Materials & Fieldwork in African Studies no. 2: 45-140. https://www.sources-journal.org/431

L’histoire et la mémoire du génocide des Tutsi au Rwanda font l’objet depuis 1994 de multiples controverses. Afin de les étudier, les universitaires réunissent des sources diverses : entretiens, archives publiques et privées ou encore sources de presse. Chacune de ces sources a ses spécificités qu’il s’agit de prendre en compte.
En vue d’écrire une histoire des débats post-génocide, la presse est une source primaire essentielle, bien qu’encore peu mobilisée. Dans un contexte d’accès encore réduit aux archives rwandaises publiques et privées, elle permet pourtant de proposer une fine chronologie, d’identifier les acteurs, leurs réseaux et la circulation de leurs productions. Ces sources posent cependant des questions pratiques et méthodologiques : où les trouver ? Quels biais spécifiques engendrent-elles ?
Pour cet article, j’ai choisi de revenir sur la controverse autour de la responsabilité de l’Église catholique dans le génocide des Tutsi. L’Église catholique rwandaise joue en effet un rôle particulier dans l’histoire intellectuelle et politique du pays depuis l’époque coloniale, mais aussi dans l’histoire des médias, les religieux étant à l’origine de nombreuses revues et journaux. Après 1994, l’Église catholique est accusée par les nouvelles autorités rwandaises de porter une responsabilité dans le génocide des Tutsi. Les missionnaires catholiques font l’objet de critiques spécifiques. À partir d’un corpus d’articles réduit à la période 1998-1999, je souhaite montrer la richesse des sources de presse rwandaise pour l’étude de cette controverse et son usage possible dans une approche relevant principalement de l’histoire des intellectuels. Une telle approche méthodologique pourrait être étendue à d’autres controverses et plus largement à l’histoire contemporaine du Rwanda.

The history and memory of the genocide against the Tutsi in Rwanda have been the subject of much controversy since 1994. In order to study it, academics gather various sources: interviews, public and private archives, and press sources. Each of these sources has its specificities that must be considered.
Although it is not much mobilized, the press is an essential primary source to write a history of post-genocide debates. In a context of still limited access to the public and private Rwandan archives, the press indeed allows us to establish a fine chronology and to identify the actors, their networks, and the circulation of their productions. However, these sources raise practical and methodological questions: where can they be found? What specific biases do they produce?
For this article, I chose to revisit the controversy that has surrounded the responsibility of the Catholic Church in the genocide against the Tutsi. The Rwandan Catholic Church has had a particular role in the intellectual and political history of the country since the colonial era, but also in the history of the media, as clergymen were behind many magazines and newspapers. After 1994, the new Rwandan authorities accused the Catholic Church of being responsible for the genocide against the Tutsi. Specific criticism targeted Catholic missionaries. Starting from a corpus of articles published in 1998-1999, I wish to shed light on the richness of the Rwandan press sources for the study of this controversy. I also aim to show how it can be used within an approach that mainly relates to the history of intellectuals. Such a methodological approach could be extended to other controversies and more broadly to the contemporary history of Rwanda.

A história e a memória do genocídio dos Tutsi no Ruanda têm sido, desde 1994, objecto de múltiplas controvérsias. Para o seu estudo têm sido reunidas diversas fontes, por universitários: entrevistas, arquivos públicos e privados ou ainda fontes provenientes da imprensa. Cada uma destas fontes tem as suas especificidades que é preciso ter em conta.
Para se escrever a história dos debates pós-genocídio, a imprensa é uma fonte primária essencial ainda que pouco mobilizada. Num contexto de acesso ainda reduzido aos arquivos ruandeses públicos e privados, ela permite contudo estabelecer uma cronologia rigorosa, identificar os actores, as suas redes e a circulação das suas produções. No entanto estas fontes colocam questões práticas e metodológicas: onde encontrá-las? Que preconceitos específicos engendram?
Para este artigo escolhi voltar à controvérsia relacionada com a responsabilidade da Igreja católica no genocídio dos Tutsi. A Igreja católica ruandesa desempenha um papel especial na história intelectual e política do país, desde a época colonial, mas também na história dos média, visto que na origem de numerosas revistas e jornais estão religiosos. Desde 1994, a Igreja católica tem sido acusada, pelas novas autoridades, de ter responsabilidade no genocídio dos Tutsi. Os missionários católicos são objecto de críticas específicas. Com base num corpus de artigos publicados no período de 1998-1999, desejo mostrar a riqueza das fontes da imprensa ruandesa para o estudo desta controvérsia e do seu possível uso numa abordagem relacionada, principalmente, com a história dos intelectuais. Uma tal abordagem metodológica poderia ser alargada a outras controvérsias e mais amplamente à história contemporânea do Ruanda.

Collection des données liées à cet article : « Les relations entre l’Église catholique rwandaise et le génocide des Tutsi au travers de la presse rwandaise (1994-2003) ». https://nakala.fr/collection/10.34847/nkl.5f3017ar.
Cette collection rassemble huits documents de presse et leurs transcriptions intégrales. Voir également la section « Annexe » de cet article.

Au cours des vingt-cinq dernières années, des milliers d’articles scientifiques, thèses et ouvrages ont été produits sur le Rwanda. Ces publications portent sur le génocide des Tutsi de 1994, mais aussi, et surtout, sur la période ultérieure. Elles sont le fait d’universitaires de multiples disciplines : politistes, juristes, littéraires, spécialistes de la justice transitionnelle, plus rarement des historiens. S’il existe des controverses historiographiques fortes sur l’histoire du Rwanda et du génocide, ou encore sur des thématiques spécifiques, tel que le rôle de la France1, les débats portent bien plus exceptionnellement sur les questions épistémologiques, les modalités d’écriture de l’histoire du génocide et plus spécialement sur les sources mobilisées. De fait, les sources utilisées dans le cadre de travaux sur le Rwanda depuis le début des années 1990 sont principalement produites lors de terrains par entretiens et observations. Les universitaires ont aussi largement recours à de la littérature secondaire, ou grise, disponible de plus en plus facilement en ligne2. Plusieurs phénomènes viennent expliquer ce faible intérêt pour les sources primaires, en particulier les archives ou la presse, entre enjeux disciplinaires et difficultés d’accès supposées.

En 2018, Emma Hunter s’interrogeait sur les usages de la presse par les historiens de l’Afrique subsaharienne contemporaine (Hunter 2018, 134). Si son article propose un panorama général sur la question, la majorité des travaux mentionnés concerne les médias écrits de la période coloniale, beaucoup plus rarement la période post-indépendance. Stephen Ellis constatait en 2002 que l’histoire contemporaine de l’Afrique subsaharienne évitait très largement la période postcoloniale (Ellis 2002). La situation a cependant évolué au cours des deux dernières décennies. La revue History in Africa publie par exemple de façon régulière des articles portant sur les sources accessibles aux chercheurs travaillant sur l’histoire contemporaine en Afrique, en particulier sur les archives publiques et privées3. La presse postcoloniale est elle aussi utilisée comme source primaire ou secondaire dans de nombreux travaux récents4.

La recherche historienne sur le Rwanda s’inscrit dans une problématique similaire. Si les archives publiques et privées, les sources de presse, les entretiens avec les acteurs permettent d’écrire une histoire du temps présent, chaque type de source entraîne des formes d’écriture particulière. Dans le cadre de cet article, je souhaite revenir sur les enjeux soulevés par la mobilisation de la presse rwandaise en tant qu’historien au travers d’une étude de cas : les controverses sur le rôle de l’Église catholique rwandaise avant, pendant et après le génocide des Tutsi.

Après 1994, un conflit éclate entre la hiérarchie de l’Église catholique et les nouvelles autorités. Il porte tout d’abord sur le rôle de l’Église avant et au cours du génocide, cette dernière étant accusée de porter de lourdes responsabilités dans les massacres. La controverse concerne les actions de l’Église catholique depuis la colonisation, mais aussi pendant la période du génocide5. De fait, à l’échelle locale ou nationale, la violence a parfois été rendue possible par la participation de certains religieux. Des prêtres catholiques ont ainsi été condamnés dans le cadre de procès au Rwanda ou au Tribunal pénal international. Cependant, si des religieux ont bien participé à l’organisation de massacres, jusque dans leurs églises, bien plus nombreux sont ceux ayant été tués en 1994, le clergé étant très majoritairement constitué de prêtres tutsi6. Au cours de la période de transition politique entre 1994 et 2003, débats, controverses et conflits ouverts ont lieu dans la presse, en particulier autour du « bilan » de l’Église au Rwanda.

Le choix de mobiliser les journaux comme sources pour analyser cette controverse s’explique par les modalités mêmes de cette dernière, qui se déroule principalement dans la presse, alors source et objet d’étude. L’utilité de cette démarche est accentuée par l’histoire du champ médiatique rwandais, l’Église catholique ayant fondé les premières revues intellectuelles et journaux. Il faut aussi rappeler le poids spécifique de l’Église catholique dans la société rwandaise depuis l’époque coloniale. Ainsi, une majeure partie de l’élite politique et intellectuelle rwandaise a été formée dans des écoles catholiques, petits séminaires ou grands séminaires. Les controverses autour de l’Église catholique ont ainsi une portée plus générale sur l’histoire du Rwanda et de la colonisation. De plus, la nature de l’Église catholique, sous l’autorité du Saint-Siège, explique la dimension transnationale de la polémique. Elle rend également compte des débats sur la réécriture de l’histoire après 1994 ou encore sur l’évolution politique, sociale, culturelle et religieuse de la société.

Dans un contexte d’accès difficile aux archives publiques, les sources de presse présentent plusieurs avantages, tels que la régularité de parution ou la couverture étendue des débats publics. Elles représentent une source primaire pour étudier l’histoire des controverses après le génocide et plus largement pour l’histoire des intellectuels7. En l’absence de dépouillement massif de la presse rwandaise, il est encore difficile de présenter un corpus élargi, d’où le choix proposé ici d’une chronologie resserrée et d’un nombre restreint de publications. Quels sont cependant les apports spécifiques de la presse rwandaise pour une écriture de l’histoire de la période de transition, et plus spécialement pour rendre compte des processus de reconfiguration politique, culturelle et sociale qui se déroulent ? Qui sont les acteurs engagés dans les controverses mémorielles, quels récits produisent-ils et dans quels espaces ? Dans cet article, je montrerai que les sources de presse permettent de proposer une analyse sociologique des acteurs de la période de transition. Ces sources renseignent notamment sur la multipositionnalité des acteurs, qui peuvent être religieux et rescapés, membres du Front patriotique rwandais (FPR) et catholiques, de l’évolution de leurs positions dans le temps et selon les champs et espaces d’expression8. Il est enfin possible par le biais des sources de presse de documenter les enjeux mêmes de la controverse sur l’histoire et les récits divergents entre acteurs.

Dans un premier temps, je proposerai un regard sur l’histoire des médias écrits au Rwanda depuis le début de l’époque coloniale, et reviendrai ensuite sur les usages et défis que rencontrent les chercheurs souhaitant utiliser la presse rwandaise. Je m’intéresserai dans un second temps à la controverse sur le rôle de l’Église catholique au Rwanda et montrerai l'apport des sources de presse à sa compréhension, notamment le cadrage sociologique qu’elle apporte.

La presse rwandaise comme source

Une histoire des médias encore lacunaire

L’histoire des premiers médias au Rwanda s’inscrit dans celle de la colonisation, de l’évangélisation et plus largement de l’arrivée de l’écriture (Bart 1982 ; 19809). Très rapidement apparaissent des journaux missionnaires et coloniaux. Le premier journal rwandais Kinyamateka est créé par l’Église catholique en 1933 et existe encore à ce jour (Munyakayanza 2013). Le tournant de l’indépendance s’accompagne de l’instauration de multiples publications. Tout d’abord la presse gouvernementale avec les publications de l’Office rwandais d’information (Orinfor), en particulier Imvaho et La Relève, mais aussi les publications ministérielles. S’ajoutent des parutions de clubs et centres culturels, ainsi que les revues universitaires et d’institutions scientifiques.

La presse religieuse, surtout catholique, se démultiplie dans les années 1960-1970 avec la création de bulletins diocésains, d’institutions religieuses ou paroissiennes, de revues d’écoles secondaires, de communautés, de séminaires. Notons entre autres les revues Urunana du grand séminaire de Nyakibanda et Foi et Culture (anciennement Cum Paraclito) du diocèse de Nyundo qui s’imposent comme des publications religieuses, intellectuelles et culturelles. S’ajoute encore Dialogue, revue d’intellectuels portée par des religieux catholiques10. Sa reconnaissance rapide dans le monde intellectuel s’explique par la qualité des écrits proposés, mais aussi par la langue utilisée, le français. De fait, la revue est un espace permettant au public non kinyarwandophone d’accéder à des débats de la société rwandaise, mais aussi, pour les intellectuels rwandais, de faire connaître leurs réflexions à un public plus large.

En octobre 1990 commence une guerre civile entre l’armée du Front patriotique rwandais (FPR), composé principalement d’exilés rwandais tutsi des années 1960-1970, et les Forces armées rwandaises, exclusivement hutu. Au cours de cette même période, le Rwanda s’ouvre au multipartisme, comme de nombreux pays africains dans un contexte de fin de guerre froide et de « troisième phrase de démocratisation ». On assiste ainsi à une libéralisation de la presse ainsi qu’au développement d’associations de droits de l’homme. Le multipartisme se traduit rapidement par une compétition politique violente, avec des mouvements de jeunesse devenant des milices. Dès le début de la guerre les autorités rwandaises réactivent un racisme anti-tutsi, en partie relayé par une presse extrémiste et certains hommes politiques. Apparaissent ainsi des journaux professant des idées racistes ou critiques à l’encontre des opposants à l’ancien parti unique, le Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND) ou à la Coalition pour la défense de la République (CDR), un parti raciste anti-tutsi. Le journal Kangura reste le plus connu à ce jour, mais plusieurs dizaines de titres sont alors diffusés.

Le rôle des médias extrémistes au cours de la guerre civile est très tôt discuté dans le monde universitaire (Chrétien 1991). Cet intérêt est redoublé après la création de la Radio-télévision libre des Mille Collines (RTLM) en 1993. Dès l’été 1994, à l’issue du génocide, une recherche est menée sur la responsabilité des « médias de la haine », financée par l’association Reporters sans frontières. Plusieurs universitaires y participent, parmi lesquels Jean-Pierre Chrétien ou encore Marcel Kabanda. Ce travail aboutit à la publication en 1995 d’un ouvrage sur les « médias du génocide » (Chrétien 1995), qui a constitué un premier jalon essentiel à ces débats. Cependant, il a aussi indirectement conduit à des effets de source. La presse démocrate ou non extrémiste de la période 1990-1994 n’a ainsi été que très peu étudiée. La violence politique du début des années 1990 est discutée sous le seul angle des médias de la haine, déconnectés de la presse écrite dans son ensemble. Le « procès des médias » au Tribunal pénal international pour le Rwanda mène aussi à une numérisation et valorisation particulière de la presse extrémiste. Un tel processus aboutit indirectement à une « recherche pilotée par les investissements » et entraîne une curiosité moindre pour les sources non numérisées (Lagrou 2013).

Concernant la presse post-génocide, la situation apparaît encore plus paradoxale. En effet, celle-ci n’a fait à ce jour l’objet que d’un nombre très limité de publications, le plus souvent dans le champ de l’histoire des médias (Deguine 2001 ; Frère 2017). Pourtant, quantitativement, la littérature universitaire sur le Rwanda porte principalement, depuis la fin des années 1990, sur l’après-génocide plutôt que sur le génocide et la période qui le précède. La faible mobilisation de la presse rwandaise de la période de transition par les chercheurs non rwandais ne peut donc pas s’expliquer par un biais de numérisation, mais par une méthode de recherche11.

Au cours de la période de transition, si la presse extrémiste est interdite, certains journaux tels que Kangura continuent à être publiés en dehors des frontières. De leur côté, les nouvelles autorités rwandaises reprennent les journaux distribués par l’Orinfor en changeant simplement le nom (La Nouvelle Relève et Imvaho Nshya). Certaines publications créées après 1990 perdurent, comme Imboni ou Le Tribun du Peuple, d’autres apparaissent après 1994 (Goboka, Urwatubyaye, Rwanda Libération, etc.). À cette presse principalement en kinyarwanda et en français s’ajoutent enfin de nouveaux titres en anglais, par exemple The New Times à partir de 1995. Émergent aussi des revues, comme les Cahiers Lumière et Société portés par le dominicain Bernardin Muzungu, qui porte sur des thématiques politiques, culturelles et religieuses. La revue Dialogue continue en Belgique ses activités « momentanément en exil »12.

La production, la circulation et les usages de ces médias n’ont jusqu’ici pas été étudiés. En bien des points, la presse de la période de transition renseigne pourtant sur les enjeux politiques, sociaux et culturels du moment. La violence reste très largement visible dans les mots utilisés, les caricatures politiques ou encore les multiples photos, du fait des guerres au Congo ou de la guerre des Infiltrés13. Lorsque se termine la période de transition en 2003, la majorité des titres de presse a disparu tant pour des raisons financières que politiques.

Mobiliser la presse rwandaise en historien : défis et usages

En 2020, les universitaires sont encore loin de pouvoir feuilleter la presse rwandaise « par giga-octets », du fait de l’absence de numérisation des principaux journaux passés et existants (Gaillard 2018). Cependant, la difficulté ne réside pas uniquement dans un accès à des collections numérisées, mais aussi papier14. À l’exception de collections privées, rarement déposées dans les centres archivistiques ou les bibliothèques, il n’existe pas en France de fonds de presse rwandaise15. Ensuite, il est difficile de trouver des fonds de presse au Rwanda, en l’absence de guide des sources ou de catalogue en ligne disponible pour les bibliothèques rwandaises16. Au début de mes recherches au Rwanda, l’identification de lieux possédant des fonds de presse relevait d’un savoir largement informel entre universitaires étrangers et rwandais, qui a considérablement progressé au cours des dix dernières années17. S’il n’existe pas de lieu possédant des collections complètes, il est possible d’avoir accès à un vaste type de publications par la fréquentation de multiples bibliothèques : Université du Rwanda, Académie rwandaise de la Culture et de la Langue, Bibliothèque nationale, Centre de documentation et de recherche pastorale des dominicains, Parlement rwandais. Le morcellement des collections de presse rend cependant délicat (et très long) un dépouillement intégral de journaux spécifiques18.

Une autre difficulté dans l’étude de la presse rwandaise concerne la question linguistique. Si le kinyarwanda est la langue nationale, parlée par tous les Rwandais, le français a été la langue d’enseignement dans les établissements du secondaire et le monde universitaire jusqu’à la fin des années 2000, marquées ensuite par un tournant anglophone. Selon le public visé, mais aussi selon les rédacteurs, la presse rwandaise est principalement en kinyarwanda et en français. Pour la majorité des chercheurs non rwandais, le dépouillement de la presse en kinyarwanda prend plus de temps et nécessite un travail de traduction qui est chronophage et coûteux, lorsque l’aide d’un assistant de recherche est indispensable19. Cette situation explique la forte visibilité dans les publications universitaires de la revue Dialogue, qui rend compte de débats politiques, culturels et religieux rwandais en français.

Les rares universitaires non rwandais qui utilisent la presse rwandaise post-génocide comme source sont des chercheurs ayant vécu au Rwanda au cours des années 1970-1980, avec des réseaux leur permettant d’y avoir accès20. De leur côté, les universitaires rwandais écrivent régulièrement à partir de la presse rwandaise en kinyarwanda. Leurs travaux sont cependant souvent publiés dans des ouvrages ou revues mal distribuées en dehors des frontières du Rwanda. La situation aboutit à un paradoxe : les universitaires rwandais mobilisent la presse rwandaise de la période de transition, mais cela est invisibilisé par les conditions de production et de diffusion de leurs travaux. Notons encore que divers mémoires étudiants de l’Université nationale portent sur l’histoire des médias ou la presse comme source21.

La focale sur les titres de presse francophone dans la littérature universitaire non rwandaise conduit à des effets de source évidents. Cela est d’autant plus regrettable que l’étude de la presse permet de s’intéresser au vocabulaire utilisé, en kinyarwanda ou en français, sur les questions mémorielles. L’enjeu est particulièrement important au cours de la période de transition, avant qu’un vocabulaire officiel de la mémoire ne soit véritablement institué dans les années 200022.

L’usage de la presse rwandaise comme source pose ainsi un certain nombre de défis, avec de multiples usages possibles. Deux dimensions peuvent être ici soulignées, à partir du cas de la controverse sur le rôle de l’Église catholique lors du génocide des Tutsi. Tout d’abord, la constitution d’un corpus de presse et de revues permet de cartographier les acteurs de la controverse : journalistes, religieux, intellectuels, mais aussi politiques. Une telle étude rend compte d’une logique générale de réponses et contre-réponses, de tribunes et pétitions interposées, à l’échelle d’un même journal, entre différents journaux rwandais ou entre des publications rwandaises et étrangères23.

Ensuite, utiliser la presse rwandaise comme source permet d’appréhender la circulation de la controverse au niveau international en rendant compte de la circulation d’une documentation provenant de milieux militants, français en particulier. C’est particulièrement le cas pour les débats relatifs au rôle de la France au Rwanda, mais aussi celui de l’Église catholique. Au sein de ces débats, la revue catholique française de gauche Golias devient une référence dès 1995 : des articles publiés dans cette revue inspirent des journalistes rwandais ou sont repris in extenso dans des journaux rwandais, y compris le journal gouvernemental, La Nouvelle Relève.

La circulation fonctionne aussi dans l’autre sens, Golias pouvant reproduire des articles de la presse rwandaise24. Cette circulation entre la presse francophone et la presse rwandaise, mais aussi au sein de la presse rwandaise s’accompagne d’une multitude de modifications des textes : du français au kinyarwanda ou du kinyarwanda au français, textes qui sont parfois résumés25. Un journal comme La Nouvelle Relève utilise largement les publications militantes françaises de l’association Survie, des articles de la presse belge ou française, ainsi que des travaux universitaires français. De fait, pour comprendre cette circulation, il est nécessaire de différencier les récits rwando-rwandais des récits rwando-français ou franco-rwandais.

Dès lors, on voit que la recherche sur le Rwanda s'enrichirait d'un usage plus systématique des sources de presse rwandaise. Leur faible mobilisation s'explique pour l’instant par le manque d’histoire des médias, de guide des sources ainsi qu'à des défis méthodologiques et linguistiques. Lorsque ces difficultés sont résolues, il est possible de proposer de nouvelles approches pour l'étude des controverses.

Un débat mémoriel : l’Église catholique rwandaise et le génocide des Tutsi

Sociologie et cartographie des acteurs de la controverse

L’histoire du rôle de l’Église catholique dans le génocide des Tutsi a fait l’objet d’un nombre particulièrement élevé de publications universitaires depuis 199426. Les sources mobilisées sont multiples, notamment entretiens, rapports, articles de presse. L’usage des archives publiques ou privées, en particulier de l’Église catholique, est extrêmement restreint pour la période contemporaine, depuis les années 1980. Les sources de presse rwandaise sont principalement utilisées par les universitaires rwandais, comme l’historien Paul Rutayisire qui a publié plusieurs articles et chapitres d’ouvrages majeurs sur la controverse, malheureusement peu accessibles hors du Rwanda27. L’historien Philippe Denis a également mené un travail d'ampleur sur l’Église catholique post-génocide et l’Église presbytérienne à partir d’une vaste enquête d’histoire orale, d’archives, et de sources de presse (Denis 2019, et plus particulièrement Denis 2018).

L’étude de la presse rwandaise de la période de transition et la constitution d’un corpus permettent une cartographie des acteurs publiant sur les controverses mémorielles, en particularité ici concernant le rôle de l’Église catholique. Celui-ci permet de nuancer le positionnement censé être homogène des acteurs, leur évolution dans le temps, mais aussi selon l’organe médiatique dans lequel ils s’expriment. Le fait qu’un document soit signé par tous les évêques rwandais ne signifie en effet pas un consensus dans les représentations de ces derniers. Le journal Kinyamateka publiait en 1997 une série d’entretiens rendant compte de cette diversité d’opinions chez les évêques28. En outre, le discours des évêques rwandais change selon qu’il est adressé à un journaliste, un homme politique ou à un missionnaire ou encore en fonction du contexte d’énonciation, en particulier dans une période de guerre civile avec des épisodes de violence et de massacres jusqu’au début des années 2000.

L’analyse des sources de presse permet de proposer une typologie des acteurs de la controverse sur le rôle de l’Église catholique et de distinguer trois grandes tendances : les dénonciateurs, les partisans d’un « droit d’inventaire » et les défenseurs (plus ou moins intégraux) de l’Église. Tous ces acteurs se connaissent, pour certains ont étudié et travaillé ensemble. De nombreux articles sur le rôle de l’Église catholique font écho à des publications passées avec lesquelles ils s’inscrivent en continuité ou en opposition. Cette logique de réponse et contre-réponse peut aussi se situer à un niveau individuel avec une personnification des débats (par exemple Rutumbu 1997 ; Bizimana 1997).

Les dénonciateurs produisent les analyses les plus critiques sur le bilan de l’Église catholique, considérée comme un acteur à part entière du génocide. Ces idées se retrouvent le plus régulièrement dans la presse officielle, La Nouvelle Relève ou Imvaho Nshya, ou des journaux tenus par des intellectuels proches du FPR29. Elles trouvent rapidement un écho favorable en Europe, en particulier auprès d’universitaires ou de personnalités critiques de l’Église en général. La revue Golias, située à Lyon, a ainsi joué un rôle majeur dans l’étude et la dénonciation des responsabilités de l’Église catholique au cours du génocide30. C’est d’ailleurs en France que démarre dès 1995 une polémique concernant Wenceslas Munyeshyaka, ancien prêtre de l’église Sainte-Famille à Kigali, accusé d’avoir participé au génocide. Dans le contexte commémoratif du cinquantenaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, cette histoire est considérée par ces militants, et une partie de la presse française, comme un équivalent de l’affaire Touvier. Les nombreuses publications de Golias ont servi de support à d’autres productions, dont des films documentaires récents31.

De leur côté, les partisans du droit d’inventaire s’interrogent sur le rôle historique de l’Église au Rwanda dans une approche critique, mais ils se veulent aussi force de proposition. Cette approche est principalement portée par d’anciens religieux ou des religieux en exercice après 1994. Les revues catholiques telles Urunana, les Cahiers Lumière et Société et dans une moindre mesure Dialogue se font l’écho de ces opinions après 1994. Certains ecclésiastiques sont particulièrement engagés, tels le dominicain Bernardin Muzungu ou encore le jésuite Octave Ugirashebuja. Des réunions de prêtres ont également lieu au niveau national afin d’évaluer les conséquences du génocide pour l’Église et appellent à une nouvelle pastorale. Concrètement, des prêtres espèrent une réflexion théologique en lien avec le génocide ainsi qu’une évolution des organisations catholiques, exhortant au repentir de l’Église pour certaines de ses actions passées. Les plus importantes rencontres se déroulent au Centre Christus en mai et novembre 1995. Siège des jésuites, ce lieu est symbolique, ayant été l’un des premiers sites de massacres contre des religieux à Kigali en avril 1994. Ces réunions conduisent à la création de l’assemblée des prêtres rwandais (APRERWA), qui essaie régulièrement d’opérer un bilan critique de l’histoire de l’institution catholique32.

Enfin, les défenseurs de l’Église se recrutent majoritairement chez des religieux rwandais hutu en exil ou des missionnaires et laïcs ayant vécu au Rwanda jusqu’en 1994. La revue Dialogue, « momentanément » basée à Bruxelles après le génocide, sert en partie de caisse de résonance à ces thèses ainsi que les publications missionnaires. De nombreux Pères blancs se font les défenseurs du « bilan intégral » de l’Église au Rwanda, tels Guy Theunis (figure historique de la revue Dialogue) ou encore Serge Desouter (proches de réseaux flamands et président du Comité des Instituts missionnaires en Belgique). Ces positions sont appuyées par des organismes et individus catholiques en Europe, engagés sur la cause rwandaise, le plus souvent avant 1994. En France, Madeleine Raffin, missionnaire laïque au Rwanda de 1968 jusqu’à son expulsion en 1997 et proche de Mgr Misago, participe à la circulation de documents et de rapports critiques à l’égard des nouvelles autorités au sein des organismes missionnaires33.

Si les controverses sont multiples après 1994, elles prennent une ampleur particulièrement grande en 1998 et 1999. Au cours de cette période, le pays est en effet marqué par diverses évolutions politiques, culturelles et sociales, dans un contexte économique et géopolitique très tendu, avec la Deuxième Guerre du Congo. Parmi ces évolutions, notons l’organisation des débats nationaux à la Présidence de la République sur les orientations des politiques publiques, mais aussi de plusieurs colloques et séminaires à l’Université nationale en vue de la « réécriture de l’histoire du Rwanda34 ». Ce moment de « grand déballage » concerne là aussi le bilan de l’Église catholique.

L’Église catholique rwandaise et les missionnaires en procès : 1998-1999

L’année 1998 est marquée par une longue suite de tensions diplomatiques entre le Saint-Siège, l’Église catholique rwandaise et le gouvernement rwandais qui se déroule principalement dans la presse rwandaise et internationale35. Elle commence après un communiqué de presse commun des Conférences épiscopales rwandaise et burundaise du 17 février 1998 appelant à la « responsabilité des chrétiens pour la restauration de la paix dans nos deux pays ensanglantés par les massacres massifs de population et le génocide entre ethnies », qui est très mal reçu par les autorités rwandaises (Ndorimana 2001). Ce texte est suivi rapidement d’une réponse par un groupe de religieux et intellectuels rwandais qui dénoncent ces propos et l’utilisation de l’expression « génocide entre ethnies », considérée comme une variante de la thèse du double génocide36. Les signataires regrettent qu’au « moment où les tribunaux rwandais commencent à condamner des membres du clergé à la peine capitale pour crime de génocide, nos Églises devraient réviser leurs discours et éviter toute position partisane, susceptible de compromettre ou discréditer leur autorité morale dans la société » (Ndorimana 2001, 16137).

La tension montante entre l’Église et l’État s’explique aussi par le sort de plusieurs religieux au cours du premier semestre de l’année 1998. Le père Vjeko Curic est assassiné à Kigali à la fin du mois de janvier 1998 dans des conditions troubles. L’abbé André Sibomana, harcelé par les responsables politiques et militaires pour ses positions critiques, meurt de maladie peu de temps après, le 9 mars 199838. Enfin, vient s’ajouter la condamnation à mort en avril 1998 des prêtres Édouard Nturiye et Jean-François Emmanuel Kayiranga pour participation au génocide dans les paroisses de Nyundo et de Nyange.

Cette peine capitale provoque un vif émoi dans l’Église à l’échelle internationale, dans un contexte où se préparent dans différents lieux du Rwanda les premières exécutions de condamnés pour génocide. L’annonce par le gouvernement rwandais des exécutions à venir est accompagnée de nombreuses réactions diplomatiques, à commencer par celle du Saint-Siège. Les critiques redoublent d’intensité dans les milieux missionnaires après les exécutions publiques de vingt-deux condamnés à mort à Kigali et dans plusieurs préfectures, le 24 avril 199839. La publication par l’Agence missionnaire MISNA (Missionary International Service News Agency) d’un texte virulent envers le gouvernement est suivie d’une réponse sèche du ministre des Affaires étrangères, qui fait mention des mauvaises relations entre l’Église et le gouvernement rwandais40. La conférence épiscopale s’étonne ouvertement de ces déclarations, rappelant les nombreuses activités communes qui sont menées41.

À la fin du printemps et à l’été 1998, une série d’articles de presse et de communiqués reviennent sur le bilan de l’Église catholique au Rwanda. La presse officielle rwandaise, La Nouvelle Relève en tête, dénonce le rôle de l’Église dans le génocide. L’ONG African Rights appuie ces critiques en écrivant une lettre ouverte au pape (African Rights 1998). Des organes de presse missionnaires accusent par la suite le gouvernement rwandais ainsi que l’ONG African Rights (MISNA 1998). Des articles parus dans La Nouvelle Relève sont analysés par certains missionnaires comme la volonté des autorités de mettre en place une « Église patriotique », sur le modèle chinois42. L’agence vaticane Fides reprend la même argumentation, dénonçant une campagne gouvernementale visant à créer une « Église nationale ». Peu de temps après, l’APRERWA (association des prêtres rwandais) tient ses assises à Kabgayi du 16 au 18 juin et appelle à étudier le rôle historique de l’Église catholique Rutazibwa (2009, 171).

Plusieurs textes sont publiés dans la presse à l’encontre des missionnaires, par exemple le 30 juin 1998 dans le journal gouvernemental La Nouvelle Relève. Deux articles peuvent être ici mentionnés spécifiquement. Tout d’abord, une note de « chrétiens rwandais » adressée aux missionnaires d’Afrique, qui s’inscrit dans la longue histoire des tribunes collectives et pétitions signées par des acteurs mémoriels et/ou religieux, critiques du rôle de l’Église catholique à l’époque coloniale, sous le Rwanda indépendant et en particulier au moment du génocide (Collectif 1996). Les auteurs condamnent aussi les missionnaires pour avoir protégé des religieux accusés de génocide ou refusé de faire leur autocritique. Ils concluent :

Il importe que votre présent chapitre général considère la présence des Pères Blancs au Rwanda comme une question importante, très importante, à examiner avec une attention particulière. Nous vous suggérons de vous retirer momentanément de ce pays, quitte à revenir plus tard avec un personnel ayant l’avantage de n’avoir jamais été mêlé au drame rwandais.

Document 1. Collectif, « Note des chrétiens rwandais au chapitre des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) »

Document 1. Collectif, « Note des chrétiens rwandais au chapitre des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) »

La Nouvelle Relève, n° 362, 30 juin 1998 : 5.
Identifiant permanent : https://doi.org/10.34847/nkl.fa64e60h.
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Comme pour toute tribune ou pétition, il est difficile d’affirmer avec certitude que les signataires indiqués ont réellement eu connaissance du texte, ou ont réellement approuvé le document43. De plus, on peut remarquer ici que les noms de signataires incluent avant tout des députés du FPR (comme Tito Rutaremara), mais aussi de divers partis politiques critiques vis-à-vis de l’Église catholique tels que Médard Rutijanwa (président du Parti socialiste rwandais), Antoine Somayire, Adrien Rangira (président de l’Union démocratique du peuple rwandais), Protais Mitari (Parti libéral) ou Deus Kagiraneza. S’ajoutent des journalistes tels que Ephrem Rugiriza et Goretti Uwibambe qui travaillent alors pour La Nouvelle Relève. On peut encore signaler le cas particulier de Jean-Baptiste Rucibigango, député du Parti socialiste rwandais et administrateur du journal La Nouvelle Relève, dont la trajectoire révèle la multipositionnalité des acteurs de cette controverse.

Dans le même journal du 30 juin 1998 est publiée une lettre ouverte de Privat Rutazibwa, ancien religieux catholique et auteur d’un des premiers ouvrages édités après le génocide au Rwanda (Rutazibwa 1995). Dans ce texte, il étudie et dénonce les prises de positions de Pères blancs au cours de la période coloniale, de la guerre civile et du génocide des Tutsi, avec un constat d’échec sans appel :

Le négationnisme rampant, la complicité objective et la profonde sympathie envers les génocidaires, la diabolisation constante du FPR associé aux Tutsi et au pouvoir actuel constituent des indices d’un immense dépit de nombreux missionnaires viscéralement hostiles au nouvel ordre politique et frustrés de voir que la restauration de l’ancien ordre n’est pas chose évidente. Le choix du 7 avril, date de commémoration du génocide pour publier votre lettre qui appelle au dialogue avec les génocidaires n’est pas du tout innocent. On se souvient également du deuil et de la rage dans lesquels de nombreux missionnaires ont été plongés par l’exécution de 22 génocidaires. (…) Tout porte donc à croire que pour nombre de missionnaires, la victoire du FPR contre les forces du génocide constitue la catastrophe majeure dans l’histoire politique dans notre pays.

Document 2. Privat Rutazibwa, « Missionnaires de l’évangile ou apôtres de la haine : Lettre ouverte aux responsables de l’ASUMA/Rwanda » (première page)

Document 2. Privat Rutazibwa, « Missionnaires de l’évangile ou apôtres de la haine : Lettre ouverte aux responsables de l’ASUMA/Rwanda » (première page)

La Nouvelle Relève, n° 362, 30 juin 1998 : 12-16.
Document complet :
Identifiant permanent : https://doi.org/10.34847/nkl.b8dd88pw.
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La montée des tensions au cours de l’année 1998 se déroule principalement par articles de presse interposés et déclarations publiques. Nouvellement nommé dans le diocèse de Ruhengeri, l’évêque Kizito Bahujimihigo défend ainsi le travail des missionnaires, rares étrangers à rester dans des conditions difficiles auprès des populations au nord du Rwanda44 (Bahujimihigo 1998b).

La controverse prend une tournure encore plus forte en 1999. La cinquième commémoration du génocide est organisée le 7 avril 1999, sur le site de l’église de Kibeho. Au cours de la cérémonie, l’évêque de Gikongoro Mgr Augustin Misago est ouvertement accusé par des rescapés d’avoir joué un rôle dans les massacres. Le président de la République, Pasteur Bizimungu, réitère ces accusations lors de son discours indiquant que « même s’il est prouvé que Mgr Misago est innocent, nous demandons aux responsables de l’Église de le muter ailleurs » (Vidal 2001, 36). Quelques jours après, le prélat est arrêté. Commence à ce moment-là une nouvelle phase de cette controverse, portant sur la situation de Mgr Misago, la patrimonialisation des églises sites de massacre et, de façon plus générale, sur le rôle de l’Église catholique au Rwanda. En quelques mois, plusieurs centaines d’articles sont publiés dans la presse rwandaise et internationale. À la fin du mois de mai 1999, une violente charge contre l’État rwandais est publiée par L’Osservatore Romano, le journal officiel du Vatican. Anonyme, cet article est signé de trois astérisques, ce qui indique qu’il émane d’un département de la Curie romaine et non d’un journaliste45. Ce texte est un indice de la colère et l’engagement de certains religieux au Saint-Siège sur la question rwandaise, de la circulation des articles sur une dimension transnationale ainsi que la personnification des débats, comme le montre l’extrait suivant :

La campagne de dénigrement a commencé il y a quelques années. Parmi les principaux organisateurs, on trouve Privat Rutazibwa, un ancien prêtre qui est directeur d’une agence de presse gouvernementale. Il soutient que « l’Église catholique est trop dépendante de Rome » et qu’il est nécessaire de « créer une Église nationale rwandaise ». D’autres organes d’information – comme la revue La Nouvelle Relève – ont affirmé que les missionnaires ne sont plus nécessaires au Rwanda, et ils souhaitent la naissance d’une Église nationale. Dans une lettre ouverte, le même Privat Rutazibwa a qualifié les missionnaires d’« apôtres de la haine » (…).

Cet article critique plus spécifiquement le projet de « transformer un certain nombre d’églises catholiques en mausolées du génocide » et indique que le « Saint-Siège s’est opposé à cette intention en soulignant que les églises sont un lieu de culte et de réconciliation pour toute la communauté et qu’elles ne peuvent être monopolisées comme ossuaires par une partie de la population ». Il est aussi suggéré que le gouvernement rwandais contraint la population à ne célébrer qu’un seul souvenir à Nyamata : celui des défunts tutsi. Surtout, l’article dénonce une « vérité oubliée », celle d’un deuxième génocide commis contre les Hutu par les Tutsi :

Les églises, mémorial du génocide ?
De ce projet fait partie la volonté qu’ont exprimée les Autorités de transformer un certain nombre d’églises catholiques en « mausolées » du génocide. Cela laisse transparaître l’intention de graver et de lier dans la mémoire des citoyens rwandais les deux mots : génocide-Église. Le Saint-Siège s’est opposé à cette prétention, soulignant que les églises sont un lieu de culte et de réconciliation pour toute la communauté (tutsie et hutue) et ne peuvent pas être monopolisées comme ossuaires par une partie de la population. En juillet 1997, le gouvernement a pourtant réquisitionné l’église de Nyamata, avec obligation que toute célébration dans le sanctuaire soit une célébration pour les défunts et seulement pour les défunts tutsis massacrés en 1994. (…)
Un aspect inexploré de l’affaire : le double génocide
Actuellement, l’attention de la population est polarisée sur le génocide de 1994. En réalité, il faut sans cesse préciser qu’il y a eu un double génocide au Rwanda : celui contre les Tutsis (et certains Hutus modérés), perpétré après le 6 avril 1994, qui a fait plus de 500 000 victimes, et celui contre les Hutus, à partir d’octobre 1990 jusqu’à la prise du pouvoir par le Front patriotique Rwandais (FPR), tutsi, en juillet 1994. Ce génocide des Hutus a continué ensuite dans la forêt zaïroise, où les fugitifs hutus furent massacrés pendant des mois, sans même bénéficier de la protection de la communauté internationale. Le nombre des victimes hutues se monte à près d’un million. Chacun de ces génocides a été horrible et tous deux doivent être rappelés, d’une manière autre que celle à laquelle s’essaye une propagande unilatérale.

Document 3. « Génocide rwandais : dernier acte »

Document 3. « Génocide rwandais : dernier acte »

L’Osservatore Romano n° 21, 25 mai 1999 : 2.
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Fait remarquable, la Conférence épiscopale du Rwanda publie peu de temps après un communiqué critiquant ces positions vaticanes, dans le journal catholique Kinyamateka. Celui-ci est signé par tous les évêques du Rwanda, à l’exception de Mgr Misago alors emprisonné. Ces derniers reconnaissent une « campagne diffamatoire contre l’Église » et regrettent les conditions d’arrestation de Mgr Misago. Cependant, ils remettent aussi en cause la réquisition des églises sites de massacre par l’État, rappelant l’existence d’une commission mixte ayant statué sur cette question. Enfin, les évêques critiquent, poliment, l’affirmation avancée d’un double génocide :

Quant à l’affirmation d’un double génocide, elle devrait être étayée par des arguments autres que des estimations approximatives de tueries dont il faudrait en outre prouver la planification. Nous pensons que l’article a indéniablement le mérite d’aborder un sujet de grande actualité comme celui de l’arrestation et l’incarcération d’un Évêque. Il insiste sur la gravité déjà soulignée par le Saint-Siège. Il nous a paru cependant opportun d’émettre ces quelques observations qui aideraient à mieux percevoir la réalité d’une situation complexe.

Document 4. Conférence des évêques catholiques du Rwanda. « Observations à propos de l’article intitulé “Génocide Rwandais : dernier acte” »

Document 4. Conférence des évêques catholiques du Rwanda. « Observations à propos de l’article intitulé “Génocide Rwandais : dernier acte” »

Kinyamateka n° 1526, juillet 1999 : 8.
Identifiant permanent : https://doi.org/10.34847/nkl.9b847g14.
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Du côté de la presse gouvernementale, les critiques se concentrent sur certaines figures missionnaires historiques, en particulier Mgr Perraudin, qui fête son jubilé en Suisse en avril 1999. Archevêque du Rwanda au tournant de l’indépendance, il est alors considéré par une partie des autorités et intellectuels rwandais comme un théoricien des idées extrémistes, ayant mené au génocide (Byanafashe 2004). Pour nombre de ces intellectuels, les débats des années 1990 trouvent leur source dans la période coloniale :

Rome a eu la main heureuse en choisissant Mgr Bigirumwami, personnalité de haute stature qui, par l’exemple, a clairement montré qu’on peut être à la fois profondément rwandais et chrétien. Il avait rassemblé au tour de lui des Rwandais de toutes origines, prêtres et laïcs ainsi que des missionnaires, religieux et laïcs, avec lesquels il avait formé des équipes solides qui ont longtemps opposé au couple contre nature du colon et du missionnaire. L’union de ce couple diabolique, représenté au tournant des années 1960 par André Perraudin et le tandem Harroy-Logiest donnera un fruit maudit qui depuis lors n’a cessé d’empoisonner les Rwandais et leurs voisins et divisé le monde en Hutu et Tutsi, considérés, pour les besoins de la cause comme ennemis. Les succès de cette alliance a porté un coup sévère non seulement à la Nation rwandaise mais également à l’Église catholique du Rwanda qu’elle a engagée dans une zone de tempêtes. L’Église évitera de répéter l’erreur commise en recrutant une personnalité aussi incontrôlable que Mgr. Bigirumwami : on recrutera désormais des personnages essentiellement ternes, médiocres, dociles et parfaitement à l’aise dans le PARMEHUTU de Kayibanda et l’équilibre ethnique et régional de Habyarimana. Théories et pratiques racistes et donc en contradiction avec les préceptes de l’évangile que l’Église prêche publiquement : on n’y verra aucune contradiction !

Document 5. Mwaniwabo, « Église catholique du Rwanda : de la tornade à la tourmente » (première page)

Document 5. Mwaniwabo, « Église catholique du Rwanda : de la tornade à la tourmente » (première page)

La Nouvelle Relève, n° 385, 15 juin 1999 : 15-16.
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L’année 1999 est marquée principalement par l’affaire de l’évêque Misago et le début de son procès. Le journal catholique Kinyamateka propose ainsi un compte rendu régulier des audiences. En l’absence d’accès aux archives judiciaires, le travail mené par Kinyamateka est une source du procès de premier ordre46. L’article suivant rend compte de l’audience du 14 septembre 1999. Les journalistes de Kinyamateka essaient de décrire objectivement les enjeux lors des audiences (Rwagahirima 1999) :

Jeudi le 14 septembre, le procès de Monseigneur Augustin Misago, commencé le 20 août 1999, s’est poursuivi à la Chambre Spécialisée du Tribunal de Première Instance de Kigali. Le Président du Siège a omis de donner lecture des 5 chefs d’accusations retenues contre Mgr Misago puisque cela avait été fait au début du procès, lui demandant de produire ses moyens par rapport à sa part présumée de responsabilité dans l’assassinat des trois abbés Canisius Mulinzi, Irenée Nyamwasa et Musoni Aloys (deuxième chef d’accusation). Suite à un questionnement des juges, Monseigneur Augustin Misago a précisé qu’il connaissait effectivement les trois prêtres mais n’avait pas de détails des circonstances de leur assassinat, hormis certains incidents ayant précédé leur arrestation et dont il a fait le récit suivant : « Au début des tribulations de 94, ces prêtres ont pris refuge chez-moi à l’évêché, je les ai accueillis, je me suis occupé d’eux comme j’ai pu (…). Par exemple en date du 21 avril 1994, alors que l’évêché de Gikongoro fut l’objet de deux attaques, avant et après midi, d’hommes armés qui voulaient qu’on leur livre les prêtres et les laïcs qui s’étaient cachés dans les enceintes de l’évêché, j’ai affronté seul les agresseurs, les autorités alertées n’intervenant pas, ou pas à temps (…). »

Document 6. A. Rwagahirima, « Monseigneur Misago nie toute responsabilité dans la mort des trois abbés »

Document 6. A. Rwagahirima, « Monseigneur Misago nie toute responsabilité dans la mort des trois abbés »

Kinyamateka n° 1533, septembre 1999 : 8.
Identifiant permanent : https://doi.org/10.34847/nkl.3c211fvv.
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De son côté, la presse gouvernementale diffuse des articles à charge contre l’évêque et de façon plus large sur l’histoire de l’Église catholique rwandaise. Pour exemple, la Présidence de la République publie en août 1999 un texte de quatre pages, proposant une histoire très critique de l’Église catholique au Rwanda, qui se concentre principalement sur son rôle à l’époque coloniale. Après trois pages consacrées à une description historique du rôle de l’Église catholique à l’époque coloniale, l’article conclut :

Comme on le voit dans tout ce qui précède, l’église catholique joua un rôle terriblement destructeur d’un bout à l’autre de l’histoire douloureuse du Rwanda. Elle sema les grains de haine et de destruction dont le génocide n’a été que l’aboutissement direct. Dans ce qui précède aussi, nous avons largement laissé la place aux autres pour raconter la mise à mort de la nation rwandaise. En ne répétant que ce que les autres ont dit ou écrit avec autorité comme le fait le gouvernement rwandais aujourd’hui, comment pouvons-nous être accusé de diffamation envers l’église catholique ? Malheureusement celle-ci n’est pas encore revenue de ses errements passés (…).
Quant à la théorie du double génocide, en le répétant, le Vatican ne fait que ressasser les outrances de François Mitterrand proférés dès le début des tueries en 1994 pour brouiller la réalité. Nul ne doute que le Vatican, tout comme F. Mitterrand n’est pas loin de penser aussi que ce génocide sur les Africains est un “génocide sans importance”. Vu tout son passé chargé au Rwanda, on ne s’en n’étonnera pas. Avant, durant et après le génocide, l’Église catholique au Rwanda affiche une continuité et un acharnement sans faille : de quoi pleurer pour ce pays.

Document 7. Département chargé de la politique et administration du territoire à la Présidence de la République rwandaise, « Le rôle de l’Église catholique » (première page)

Document 7. Département chargé de la politique et administration du territoire à la Présidence de la République rwandaise, « Le rôle de l’Église catholique » (première page)

La Nouvelle Relève, n° 388, 15 août 1999 : 8-11.
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Identifiant permanent : https://doi.org/10.34847/nkl.9cbc1j04.
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Passé très largement inaperçu, ce document rend compte de l’évolution politique rwandaise au cours de la période de transition, marquée par une véritable laïcisation. Au-delà de la controverse entre l’Église et l’État, il indique l’apparition d’une politique publique de l’histoire, portée amplement depuis 1998 par la Présidence. La référence finale au rôle de la France vient rappeler la dimension croisée des controverses, à ce jour encore non étudiée. En effet, les acteurs engagés dans les controverses sur la responsabilité de la France et de l’Église catholique au Rwanda sont très souvent les mêmes au Rwanda, mais aussi en France.

Enfin, notons que si les articles de la presse rwandaise sont parfois dénonciateurs à l’encontre de religieux rwandais ou missionnaires, des intellectuels mobilisent également des analyses particulièrement fines des débats, en particuliers théologiques. Par exemple, Jean-Pierre Karegeye revient à la fin du mois de mai 1999 – en pleine affaire Misago – sur les enjeux liturgiques de la controverse dans le journal gouvernemental La Nouvelle Relève, concernant notamment la profanation des églises au cours du génocide :

Le débat devient éthique et théologique lorsqu’on sait que le défunt baptisé, pour les chrétiens, continue à faire partie de la communauté des croyants peu importe l’état du corps. Les os des nôtres sont dans une certaine mesure des objets sacramentels. Par ce fait, d’après le canon 1176, les funérailles ecclésiastiques est une obligation ; l’inhumation est un droit social et un devoir religieux rendu au défunt.

Il ajoute :

La célébration liturgique du génocide, d’une part, rend honneur aux restes de corps et d’autre part, est nécessaire pour le bien de nos frères défunts. Les rescapés qui ont perdu les leurs se retrouvent pour confesseur leur foi en la résurrection. La prière de l’Église leur apporte consolation et espérance.

Document 8. Jean-Pierre Karegeye, « Génocide et liturgie » (première page)

Document 8. Jean-Pierre Karegeye, « Génocide et liturgie » (première page)

La Nouvelle Relève n° 384, 30 mai 1999 : 11-12.
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Par ces mots, il vient rappeler qu’il ne s’agit pas d’un débat portant uniquement sur la laïcisation de la mémoire du génocide ou d’un conflit entre l’Église et l’État, mais aussi d’une discussion sur le sens de l’événement au sein de l’Église catholique et de la communauté des croyants.

Conclusion

Les sources de presse contemporaine ont des atouts spécifiques dans des contextes où la consultation d’archives publiques et privées est peu aisée et en l’absence d’outils permettant d’identifier les intellectuels47.

Dans le cas du Rwanda, il rend compte de leur intérêt spécifique pour la construction d’une histoire intellectuelle de la période post-génocide, en particulier concernant les controverses mémorielles. Si la presse mentionne les événements se déroulant en société, elle est aussi l’espace même des débats, avec un nombre particulièrement élevé de tribunes, notes, pétitions lettres ouvertes, réponses et contre-réponses. L’étude de ces multiples publications permet de cartographier les acteurs, leur sociabilité, les récits qu’ils déploient dans le temps et selon les espaces de publication. Au-delà des acteurs et des récits, une pluralité de mémoires et leur discussion s’observent ainsi dans la presse de transition, ce qui disparaît ultérieurement.

Les débats relatifs au rôle de l’Église catholique au Rwanda évoluent très largement au début des années 2000. L’élection en mars 2000 à la présidence de la République de Paul Kagame est suivie de multiples transformations. Mgr Misago est acquitté le 15 juin 2000. Quant aux relations entre l’Église et l’État, elles s’améliorent avec la fin du contentieux concernant les églises sites de massacre. Cette dynamique s’inscrit de façon générale dans une volonté de déconflictualiser la situation politique, avec notamment l’arrêt de la Deuxième Guerre au Congo et de la « guerre des Infiltrés », le vote d’une nouvelle Constitution et le passage à la Troisième République en 2003. Enfin, commence au cours de cette même période les procès Gacaca.

Du point de vue des médias, le contexte évolue également rapidement. Le nombre de publications de presse écrite diminue radicalement en raison de pressions financières et politiques. Ne résistent ainsi que les journaux gouvernementaux, le journal catholique Kinyamateka ou encore le journal anglophone The New Times. Surtout, l’autorisation en 2004 des radios privées conduit à l’apparition de nouveaux médias. Pour l’historien, l’accès aux archives radio reste difficile, voire impossible lorsqu’il n’existe pas d’enregistrement des émissions48. Les difficultés de transcription et traduction sont aussi accrues pour ce type de sources, ce qui constitue des défis majeurs pour les historiens. Enfin, les autorités rwandaises, qui utilisent la presse gouvernementale ou pro-gouvernementale dans les années 1990 comme lieu d’expression de leurs choix politiques, commencent à publier de façon plus importante à la fin des années 2000. De fait, les espaces de controverses se sont aujourd’hui largement déplacés, de la presse aux sites internet et maintenant aux réseaux sociaux.

L’étude de la presse de la décennie 1990 permet toutefois d’éclairer et de complexifier les controverses mémorielles post-génocide. Entre histoire des médias et source pour l’histoire, elle apparaît comme un enjeu majeur pour les universitaires travaillant sur les premiers débats mémoriels, et de manière générale sur les enjeux politiques et sociaux de la période post-génocide. Au niveau méthodologique, ces sources de presse peuvent être considérées comme une porte d’entrée pour la recherche d’archives et la conduite d’entretiens49. Elles mériteraient ainsi d’être intégrées dans une réflexion plus large sur l’histoire des médias, avec une étude de la diffusion et circulation de la presse (combien d’exemplaires imprimés, vendus, disponibles dans des centres), mais aussi la réception par le public (combien de lecteurs et quelle participation au courrier des lecteurs etc.). Il serait nécessaire de proposer des travaux complémentaires sur les revues rwandaises, en particulier Dialogue ou les Cahiers Lumière et Société50.

Du point de vue de l’histoire des intellectuels, les sources de presse sont une entrée majeure. Elles forment un « observatoire de premier plan de la sociabilité de microcosmes intellectuels, [et] sont un espace précieux pour l’analyse du mouvement des idées »51. Plusieurs approches pourraient néanmoins être systématisées : l’analyse de réseaux, la démarche prosopographique ou encore l’étude de discours. Les sources de presse facilitent l’étude des réseaux de sociabilité intellectuelle, politique et religieuse qui se déploient à l’échelle nationale, mais aussi régionale. Croisée avec des entretiens et des archives, la presse simplifie une recherche biographique et la réalisation d’itinéraires individuels. Enfin, en mobilisant un corpus d’articles de presse bien plus large, il serait possible de proposer une analyse lexicométrique, une étude du vocabulaire mémoriel et plus généralement des controverses dans un contexte multilingue52. Ces différentes réflexions méthodologiques supposent cependant la création préalable d’instruments de travail (tables de journaux, index analytiques, inventaires, etc.) qui sont chronophages à l’échelle d’un chercheur seul.

1 Pour une synthèse des débats historiographiques, voir Straus (2008) ; Dumas (2014) ; Robinet (2017).

2 Ce constat partagé sur les sources est en partie à l’origine du projet de recherche collectif RwandaMAP, qui porte une attention spécifique aux

3 Voir par exemple le dossier « Writing the History of Africa after 1960 », History of Africa 42, juin 2015 : https://www.cambridge.org/core/journals

4 Par exemple Fouéré (2012) et Askew (2014). Bien que portant principalement sur la presse coloniale, l’ouvrage collectif édité en 2016 par Derek

5 Selon l’historien Paul Rutayisire, plusieurs points font controverse : « L’absence de réaction de la hiérarchie catholique pendant les massacres à

6 Il n’existe pas de chiffre précis, même s’il est souvent mentionné que 70 % du clergé était tutsi. Cependant, les modalités du génocide contre les

7 Sur l’histoire des intellectuels développée à partir du cas de la France, voir entre autres Sirinelli (1988), Racine et Trébitsch (1992). L’

8 Le politiste Valentin Behr montre à partir du cas polonais l’intérêt d’une étude de presse afin de comprendre la multipositionnalité des acteurs

9 Sur le parcours d’Annie Bart, voir Dakhlia & Robinet (2016). Cette sous-partie sur l’histoire des médias rwandais reprend des éléments qui ser

10 Concernant l’histoire de la revue, voir Bart (1992). Notons que Dialogue est en partie accessible en ligne : http://www.genocidearchiverwanda.org.

11 Plusieurs hypothèses peuvent être proposées pour expliquer ce faible recours à la presse post-génocide comme source. La majorité de la recherche

12 À propos de l’évolution de la revue Dialogue, voir Cristofori (2009).

13 A l’été 1994, le gouvernement intérimaire rwandais qui a organisé le génocide des Tutsi fuit au Zaïre voisin, emmenant dans son sillage plus d'un

14 Il faut noter qu’il est plus aisé de trouver des fonds de presse papier ou micro-filmés au sein d’universités nord-américaines ou dans des

15 Voir cependant le fonds presse et périodique déposé par Hervé Deguine à la Contemporaine, à l’université de Nanterre. (« Inventaire détaillé du

16 Cette difficulté avait fait l’objet d’un premier billet de carnet en début de thèse (Korman 2011).

17 Des échanges multiples ont ainsi eu lieu à ce sujet au Rwanda, en France en Belgique avec Hélène Dumas, Florence Rasmont, Ornella Rovetta, Florent

18 Notons que l’évolution des techniques de numérisation et de travail collaboratif par et pour les chercheurs au cours des dix dernières années a

19 S’ajoutent des enjeux financiers, en raison du coût des traductions, mais aussi éthiques concernant le rôle des assistants de recherche.

20 Par exemple Filip Reyntjens qui mobilise la presse rwandaise dans ses bilans annuels de l’évolution politique au Rwanda au sein de l’Annuaire des

21 Voir Habimana (2000); Mulinda (2000); Nahayo (1999); Mubiligi (1997). Notons que Joseph Jyoni wa Karega, historien et doyen de la faculté des

22 Sur l’évolution du vocabulaire mémoriel, voir Ntakirutimana (2010).

23 L’historien Jean-François Sirinelli note concernant la France que « l’étude des pétitions constitue (…) un observatoire précieux pour localiser, à

24 La circulation se fait cependant principalement par le biais de la revue Dialogue « momentanément à Bruxelles » et de sa revue de presse.

25 Aucun travail n’a été mené à ce jour sur ce processus.

26 La majorité de ces travaux concerne cependant l’histoire de l’Église catholique, ou des églises chrétiennes, des années 1950 à 1994 et ne porte

27 Parmi ses publications, citons en particulier Rutayisire (1995) ainsi qu’un chapitre d’ouvrage de grande ampleur mobilisant largement la presse en

28 Voir Kinyamateka n° 159-160, janvier 1997. Notons que l’étude de la presse permet de confirmer que les enjeux mémoriels autour de l’Église

29 Leur profil est extrêmement divers. Premier exemple, Privat Rutazibwa, ancien abbé ayant participé à l’effort de communication et de propagande au

30 L’ONG African Rights a très largement contribué à ce processus critique, publiant dès le printemps 1994 des rapports sur le génocide contenant des

31 Pour exemple, le documentaire distribué sous le titre « la Machette et le Goupillon » (Sarfati et Bublex 2014). Voir Hoyeau (2014) ; Chaudon (2014

32 Aucun travail universitaire n’a été mené sur l’APRERWA, qui disparaît au tout début des années 2000. Notons que tous les prêtres ne se

33 Voir Raffin (2012). Madeleine Raffin a aussi été militante et vice-présidente de l’association France Turquoise, dont l’objet est de « défendre et

34 Une longue description des réunions organisées par la présidence de la République en 1998 et 1999 se retrouve dans Kimonyo (2017, 211‑221). Voir

35 La focale proposée dans cet article sur la période 1998-1999 ne signifie pas qu’il s’agit du plus grand moment de tension de l’après-génocide, et

36 « Note à l'intention des Évêques du Rwanda et du Burundi au sujet de leur communiqué de presse du 17/02/1998 paru dans l'Osservatore Romano n°8 (

37 Les signataires sont François Masabo, Romain Rurangirwa, Jean-Bosco Gakwisi, Roger Rubakisibo, Jean-Marie Vianney Sebunati, Félicien Mubiligi

38 Voir Sibomana, Guilbert & Deguine (2008).

39 Aucun condamné à mort ne fut exécuté par la suite et la peine capitale fut abolie en 2007. Aucun religieux ne figure parmi les 22 personnes

40 Kinyamateka n° 1492, mai 1998, cité in Dialogue n° 204, mai-juin 1998 : 75-78.

41 Ibid. Voir aussi CEPR (1998). Malgré les tensions persistantes, le gouvernement rwandais et l’Église catholique collaborent de façon régulière sur

42 Voir La Nouvelle Relève, numéros 361 et 362 de juin 1998.

43 Cela est d’autant plus important que plusieurs fausses pétitions circulent en dehors de la presse.

44 Mgr Bahujimihigo est nommé évêque de Ruhengeri le 8 mai 1998. Voir aussi ses réflexions générales sur la situation post-génocide (Bahujimihigo

45 La Curie romaine désigne l’ensemble des institutions du Saint-Siège ayant pour mission d’assister le pape dans l’exercice de sa fonction.

46 Une partie de ces comptes rendus est accessible sur la base du Réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs africains. Voir

47 Il manque à ce jour un dictionnaire des principaux acteurs rwandais, ce qui se révèlerait majeur pour la recherche sur le Rwanda contemporain.

48 Sur la question des archives audio-visuelles au Rwanda, voir Réra (2016).

49 Citons entre autres l’importance des archives de journaux, les correspondances privées et archives d’intellectuels, etc.

50 Sur l’étude des revues pour l’histoire des intellectuels, voir Pluet-Despatin (1992).

51 Sirinelli, Jean-François. 1996. « Os intelectuais ». In Por uma história política, sous la direction de René Rémond, 249. Rio de Janeiro : UFRJ.

52 Peu de chercheurs ont proposé jusqu’ici l’étude de corpus de discours politiques post-génocide, à l’exception de quelques travaux universitaires

Documents

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Document 6 : A.Rwagahirima, « Monseigneur Misago nie toute responsabilité dans la mort des trois abbés », Kinyamateka, n° 1533, septembre 1999, p. 8. https://doi.org/10.34847/nkl.3c211fvv.

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Sirinelli, Jean-François. 1988. « Guerre d’Algérie, guerre des pétitions ? Quelques jalons ». Revue historique T. 279, Fasc. 1 (565) : 73‑100. https://www.jstor.org/stable/40954650.

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Fac-similés et transcriptions des documents

L’orthographie, la graphie et la composition des textes originaux ont été fidèlement retranscrits, fautes comprises.

Document 1. Note des chrétiens rwandais au chapitre des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs)

Collectif. « Note des chrétiens rwandais au chapitre des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) ». La Nouvelle Relève, n° 362, 30 juin 1998 : 5.

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Document 1

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Transcription

Eglise Catholique

Courant mai, au moment où se tenait à Rome le chapitre (réunion au sommet) de la congrégation des Pères blancs, un groupe de fidèles catholiques ainsi que de religieux rwandais a jugé nécessaire d’interpeller, par écrit, les supérieurs de cette congrégation. La lettre ouverte qui leur est adressée évalue le bilan désastreux - c’est le moins qu’on puisse dire - de leur action missionnaire en Afrique des Grands-Lacs, singulièrement au Rwanda.

La tragédie rwandaise vous accuse!

Nous sommes certains que vous êtes tous informés de la crise que la société des missionaires d’Afrique est en train de vivre face aux problèmes rwandais. Ne soyez pas tentés de fermer les yeux là-dessus. Que ce soit par faiblesse ou par tactique. Vous n’y trouveriez aucun intérêt car cela, n’éloignerait pas le danger qui menace votre présence au Rwanda. Vous pouvez sans doute compter sur votre capacité habituelle à étouffer toute question gênante. Il est évident que vous maîtrisez pas mal de données notamment celles qui dépendent de votre puissance financière et médiatique. Mais d’autres et pas des moindres, vous échappent. Vos justifications ne sont pas arrivées au bout de vos problèmes par rapport au Rwanda.

Vous avez inventé de toutes pièces la propagande d’une persécution de l’Eglise au Rwanda. On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien. Il s’agit seulement d’une stratégie que vous avez mise en place pour que toutes les accusations portées contre vous soient mises au compte de cette prétendue persécution. De telle sorte que vous seriez lavés de vos trahisons à peu de frais. Vous êtes peut-être déçus de ne pas être de grands choyés du régime actuel, comme vous l’avez toujours été dans le passé, avec toutes les connivences et les collusions que vous avez entretenues tout en cultivant la politique éthnocentriste.

Celui qui observe attentivement votre manière d’exercer l’apostolat au Rwanda se rend vite compte que vous avez atteint le plafond et que vous ne pouvez plus vous renouveler. Il y a l’âge avancé de la plupart de vos missionnaires. Il y a la résistance devant les changements de notre société. Il y a enfin l’isolement dans lequel vous vous confinez autour du Nonce Apostolique loin du clergé rwandais qui vous considère à raison, comme un obstacle à son épanouissement spirituel, moral et social. Vous avez créé artificiellement deux Eglises parallèles dans notre pays: celle des missionnaires qui tiennent le haut du pavé et celle du clergé indigène réduit à l’état de dépendance atavique.

Mais de quoi est-ce qu’on vous accuse?

1) D’avoir systématisé et accentué les divisions ethniques.

Si vous faites une analyse honnête de l’histoire de votre action missionnaire au Rwanda, vous verrez vous-mêmes en quoi vous êtes coupables en ce qui concerne cette question.

2) D’avoir, de connivence avec le pouvoir colonial, fait massacrer des tutsi en 1959 sous le couvert d’une prétendue révolution sociale hutu.

A cette époque, l’alibi de participer à la libération du menu peuple étrangement identifié aux seuls hutu, a permis aux pères blancs, dont le fer de lance était monseigneur André Perraudin, de cautionner et de bénir le premier génocide des tutsi au nom d’une douteuse application de “la doctrine sociale de l’Eglise”. La vérité est que vous étiez de mèche avec vos compagnons d’armes, le pouvoir colonial, contre les nationalistes qui revendiquaient l’indépendance de leur pays. Beaucoup de tutsi furent alors massacrés, souvent sur incitation d’un bon nombre de pères blancs, pour qui le fait de tuer un tutsi n’était plus un péché comme l’a assidûment prêché le père Janssens à Kaduha en 1961.

Aujourd’hui cette haine des pères blancs contre les tutsi se retrouve dans les déclarations de certains, comme le père Guy Theunis, qui ose dire que “… la violence vient toujours du même côté. D’un seul côté. Du côté des tutsi. Ce sont les tutsi qui provoquent, qui d’une façon ou d’une autre gâtent les choses”. (in Wereldwijd, Belgique. Juin 1997-Traduction ANB-BIA n°326 p.16).

3) De protéger abusivement des prêtres et religieux accusés du crime de génocide.

Que n’avez-vous pas fait pour soustraire ces génocidaires à la justice? Le Provincial de Paris, le père W.Schonecker à Naïrobi, plusieurs de vos missionnaires au Rwanda, dans l’ex-Zaïre, à Rome etc… s’adonnent à cette tâche avec une étonnante assiduité.

4) D’empêcher l’Eglise du Rwanda de reconnaître sa culpabilité.

Vous faites cela sans doute pour couvrir votre propre culpabilité. Ne dites pas que les responsables sont des individus pour plaider l’innocence de l’institution. Lorsque les individus sont des “leaders” de cette institution, le problème est tout autre. C’est bel et bien l’institution qui est concernée.

5) D’avoir inventé la propagande de la persécution de l’Eglise au Rwanda.

Il est clair que tout n’est pas parfait entre l’Eglise et l’Etat, et pour cause. Mais de persécution, il n’en est pas question! Il y a peut-être des individus qui sont visés, mais l’église garde son rôle dans la vie sociale et sa part dans la reconstruction du pays reste grande. Devant la nouvelle situation, certains de vos missionnaires éprouvent un malaise et provoquent par leur indisposition mentale de mauvais contacts avec le nouveau pouvoir. Habitués aux honneurs et à un traitement de faveur, ils ont de la peine à passer par la porte étroite, à être traités comme les autres. Ils en concluent vite à la persécution.

6. De ne pas reconnaître que l’évangélisation du Rwanda est un échec.

Il s’agit pourtant d’un échec de taille! Vous essayez de rassembler des témoignages de hutu qui ont protégé des tutsi au prix de leur vie pour prouver que votre mission a réussi. Les très rares exceptions connues ne suffiront pas pour convaincre, d’autant plus qu’ils ne l’ont pas fait nécessairement au nom de leur foi. En toute situation critique, il y a des héros, des personnalités exceptionnelles dont les motivations ne sont pas toujours d’ordre surnaturelle. Allez-y donc doucement. Rien n’est moins évident!

Conclusion

Il importe que votre présent chapitre général considère la présence des Pères Blancs au Rwanda comme une question importante, très importante, à examiner avec une attention particulière. Nous vous suggérons de vous retirer momentanément de ce pays, quitte à revenir plus tard avec un personnel ayant l’avantage de n’avoir jamais été mêlé au drame rwandais.

Les signataires

Document 2. Missionnaires de l’évangile ou apôtres de la haine : Lettre ouverte aux responsables de l’ASUMA/Rwanda

Privat Rutazibwa. « Missionnaires de l’évangile ou apôtres de la haine : Lettre ouverte aux responsables de l’ASUMA/Rwanda ». La Nouvelle Relève n° 362, 30 juin 1998 : 12-16.

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Document 2

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Transcription

EGLISE CATHOLIQUE

“Contrairement aux instances politiques étrangères qui se sont compromises avec les forces du génocide pour des raisons d’intérêt politique ou stratégique immédiat, les hommes d’Eglise entretiennent avec les mêmes forces des liens psychlologiques [sic] plus étroits. Voilà pourquoi, contrairement aux autres pays ou organisations dans le génocide, l’Eglise Catholique reste la seule institution qui refuse la reconnaissance sincère et le repentir vrai quant à son rôle dans l’élaboration, la diffusion et même la mise en œuvre de l’idéologie ethniste, source des divisions et du génocide.”

Au révérend père Jan Lenssen, missionnaire d’Afrique (père blanc), président de la COSUMA,
A la révérende sœur Frieda Schaubroeck, bernardine, présidente de l’USUMA.

Révérend père,
Révérende sœur

Je vous écris en référence à votre lettre du 7 avril dernier et en vos qualités respectives de président de la COSUMA (congrégations masculines) et de présidente de l’USUMA (congrégations féminines); deux organes qui forment -si je ne m’abuse- l’Assemblée des Supérieurs et supérieures Majeurs; -ASUMA en sigle-; une sorte de confédération des congrégations religieuses et missionnaires œuvrant au Rwanda.

A première vue, votre lettre n’a rien de particulier qui la distingue de la littérature habituelle du genre. Mais certains passages d’apparence innocente renferment des non-dits et des insinuations aux implications terribles dont le sens véritable n’apparaît clairement que lorsqu’on les rapproche avec d’autres actions ou déclarations du même ordre.

Voilà pourquoi, dans la présente lettre, je m’attacherai à relever quelques faits et déclarations saillants, -essentiellement des milieux religieux et missionnaires- en les rapprochant avec vos propres déclarations dans la lettre tout en montrant leur caractère pernicieux et préjudiciable à notre société. Il va sans dire que la critique qui s’y dégage va bien au-delà du questionnement habituel sur le rôle et les responsabilités de l’Eglise dans le drame rwandais. Il s’agit davantage d’une remise en question radicale de la présence et de l’action missionnaire dans notre pays.

1. Quand des missionnaires étrangers appellent le Rwanda “notre pays”!

L’objet repris en marge de votre lettre s’intitule: “situation de notre pays et des communautés religieuses” 1. Ce n’est pas par xénophobie si l’on s’étonne de cette aisance à faire du Rwanda “votre pays”. Presque 40 ans avant vous, votre aîné Mgr André Perraudin utilisait le même possessif dans son Mandement de Carême du 11 février 1959; un texte resté célèbre pour avoir théorisé et légitimé l’ethnisme au Rwanda et cautionné en termes voilés, la création imminente à partir d’une association préexistante, d’un parti raciste –le PARMEHUTU-, dont cet évêque était le principal inspirateur.

“Dans notre Rwanda, écrivait alors Perraudin, les inégalités sociales sont pour une grande part liées aux différences de race”. Et pour légitimer a priori la création, quelques mois plus tard du PARMEHUTU, il ajoutait: “l’Eglise est contre la lutte des classes entre elles, que l’origine de ces classes soit la richesse ou la race ou quelque autre facteur que ce soit, mais elle admet qu’une classe sociale lutte pour ces intérêts légitimes par des moyens honnêtes, par exemple en se groupant en associations.” 2

La suite est bien connue de tous. Le génocide des Tutsi devait commencer en novembre de la même année sous une appellation commode de “révolution sociale”. Perraudin et beaucoup de missionnaires -Pères Blancs- s’y sont fortement investis. Avec l’appui du pouvoir colonial belge, ils ont promu le PARMEHUTU au pouvoir au prix des massacres, pillages et exil de populations essentiellement Tutsi. Les nationalistes qui réclamaient l’indépendance étaient soit tués, soit emprisonnés ou exilés. Au même moment, les missionnaires mettaient beaucoup de zèle à justifier et à légitimer ce génocide auprès de l’opinion internationale.

Perraudin est demeuré longtemps l’éminence grise du régime PARMEHUTU et sous les deux républiques, les missionnaires comme beaucoup d’autres expatriés ont prospéré dans ce pays où les dirigeants étaient leurs clients, un pays ou des nationaux étaient discriminés et cycliquement massacrés; un pays dont une bonne partie des citoyens en exil constituait déjà le lot des tout premiers réfugiés africains. Dans ces conditions, Perraudin et ses congénères avaient bien raison de dire “notre Rwanda” puisque le pays leur appartenait véritablement. Cette usurpation du droit de cité par des missionnaires au détriment des nationaux condamnés à la mort et à l’exil explique l’agressivité des premiers lorsque trente ans plus tard, le Front Patriotique Rwandais (FPR) a entrepris une guerre de libération. Le combat du régime Habyarimana devint alors le combat des missionnaires: dans leurs écrits comme dans leurs déclarations, les missionnaires qualifient spontanément le FPR/INKOTANYI d’“ennemi”, d’“agresseurs”, etc… Leur animosité à l’égard du mouvement rebelle trahit une mobilisation générale en vue de l’accomplissement, dirait-on, d’une obligation civique ou patriotique. Et, une fois de plus, les missionnaires n’omettent pas d’exprimer leur paternalisme et leur instinct possessif à l’égard du pauvre Rwanda. Dans un rapport du 10 Février 1992 signé par 16 prêtres du doyenné du Mutara, -tous missionnaires expatriés- on décèle contre le FPR, une rage telle que ces missionnaires donnent l’impression d’être personnellement attaqués. Jugez-en par ces extraits:

“Sans doute, la plupart d’entre vous suivent avec anxiété les péripéties de ces agressions. Mais nous craignons que beaucoup, aussi bien au Rwanda qu’à l’étranger, ignorent l’ampleur de nos malheurs et la vraie nature de cette guerre. ...Ne pas faire connaitre au Rwanda et au monde entier ce qui s’abat sur le pays fait le jeu de nos agresseurs, eux, qui manipulent sans vergogne ta désinformation.”

“Malheureusement la victoire d’octobre 1990 et les succès de ces derniers jours n’ont pas mis un terme à l’agression. Les autorités savent bien que c’est le problème à résoudre avant tous les autres, car sans paix rien de valable ne sera réalisé. Notre région est plongée dans l’insécurité avec quotidiennement comme toile de fond le branle-bas de combat Nous faudra-t-il abandonner ces paroisses faisant ainsi le jeu des agresseurs dont l’ambition est d’occuper le vide?”

“Nous vous invitons à prier pour et avec ceux au milieu desquels nous vivons et souffrons: les militaires si souvent en danger, les civils terrorisés, les personnes déplacées, les réfugiés rapatriés de Tanzanie, les malades, les sinistrés, les orphelins handicapés, les blessés. Nous n’oublions pas les âmes généreuses s’emploient à soulager tant de misères. Prions pour la paix” 3

Il est remarquable de constater que ces missionnaires après avoir injurié et dénigré à profusion les agresseurs invitent à prier pour les FAR (“militaires si souvent en danger”) pour les émigrés Hutu expulsés de Tanzanie et toutes les autres catégories de la population rwandaise. Mais par contre ils ne font la moindre allusion ni la moindre intention de prière pour les réfugies Tutsi en exil et encore moins pour les combattants du FPR, pourtant rwandais eux aussi. Et ils appellent cela “une prière… pour la paix”!

La même attitude d’hostilité apparaît dans les fax(es) envoyés régulièrement par la maison régionale des Pères Blancs à Kigali tout au long de la guerre, fax(es) destinés à leurs communautés à l’étranger ainsi qu’à “certains services” selon des sources bien informées. Dans l’un de ces fax(es) signé par le Régional des Pères Blancs de l’époque, Jeef Vleugels, -fax repris par le périodique des Pères Blancs ANB/BIA-, on peut lire ces extraits significatifs:

“Le 16 novembre, l’armée rwandaise bloque l’accès à Runaba: une attaque a eu lieu à Nyamiyaga, succursale de Runaba, à l’est de la paroisse, attaque stoppée par l’armée, plusieurs ennemis tués”… “Le 1er décembre, nouvelle invasion ennemie au sud-ouest de Rwempasha, par les ranchs de Tabagwe.” 4

II est donc révélateur que des missionnaires étrangers puissent traiter d’ennemis et d’agresseurs des citoyens rwandais qui luttent pour recouvrer leur droit à la patrie. Dans un autre texte signé au début de la guerre (18 octobre 1990) par 115 expatriés dont une majorité de religieux et religieuses (tous occidentaux sauf une zaïroise), on perçoit les raisons profondes d’une telle attitude. Après avoir fermement et passionnément développé des arguments propagandistes en vue de redorer l’image du régime Habyarimana fortement ébranlée dès le début de la crise, les auteurs du document concluent sur ces mots:

“Même dans cette période de crise, des journalistes étrangers attentifs ont constaté la propreté de la capitale, le fonctionnement des institutions, l’avancée du débat politique en direction d’un multipartisme à penser à la rwandaise, la qualité de la gestion de l’Etat et une profonde hospitalité envers les étrangers. Comment ne pas aimer ce peut pays qui se bat pour sa survie?” 5 Comme le montre cet extrait, ces étrangers aiment effectivement ce petit pays qu’est le Rwanda et ils se plaisent bien de la profonde hospitalité dont leur témoigne un régime qui niait le droit au retour à ses ressortissants condamnés à l’exil depuis plus de 30 ans!

Ce n’est donc pas par amour authentique, ni par une quelconque affection missionnaire pour leur lieu d’apostolat que ces missionnaires disent “notre Rwanda” ou “notre pays”. C’est bien par intérêt, par instinct trop séculier de domination, par une volonté irrépressible de régenter la vie religieuse et politique de ce pays sur lesquels ils régnaient en maîtres depuis qu’ils avaient réussi à faire placer au pouvoir un régime raciste et génocidaire de leur obédience. Sinon, comment expliquer qu’en 1959, un évêque suisse comme Perraudin et des prêtres belges comme Dejemeppe, Ernotte, etc… aient pû choisir de se mettre au devant de la scène politique au nom d’une Eglise qui ne manquait pourtant pas d’ecclésiastiques autochtones valables pour jouer plus correctement ce rôle?

Nul doute qu’une telle option aurait pu nous éviter la tragédie, si tant est que l’Eglise avait besoin de se mêler de politique. A l’époque, le Rwanda comptait 117 prêtres rwandais dont un Évêque, 89 frères autochtones et 211 religieuses du pays 6. Outre Monseigneur Bigirumwami qui était l’aîné de Perraudin dans l’épiscopat, non moins instruit que lui, et un homme dont la sagesse et la connaissance profonde de la réalité rwandaise étaient connus de tous, il y avait également de nombreux prêtres rwandais remarquables.

Mais ces missionnaires ont choisi de les ignorer et même de les combattre par toutes sortes d’intrigues en s’impliquant profondément dans la politique du pays, en usant au maximum de l’influence que leur conférait à l’époque le statut de “blancs”. Pourtant, dans les autres pays en décolonisation, les missionnaires se faisaient généralement plus discrets en politique, laissant la place à des nationaux de peur d’être confondus à leurs congénères coloniaux, mais aussi par conviction qu’en cas de nécessité, ce rôle revenait en premier lieu à des ecclésiastiques autochtones. Le cas de Malula au Congo/Kinshasa est un exemple parmi tant d’autres. Au Rwanda, cette inversion des rôles était signe que les objectifs poursuivis n’avaient rien à voir avec l’avenir ou les intérêts de l’Eglise. Et pour preuve, cet activisme des missionnaires a engendré les drames que l’on connaît: pogroms cycliques, exil et génocide des Tutsi.

Et que dire de ce nouvel excès de zèle intempestif de la part de vous deux, missionnaires belges flamands, responsables de l’ASUMA, dans un pays qui totalise actuellement plus de 70 congrégations religieuses dont près de la moitié ont à leur tête des supérieurs rwandais. Je ne suis pas curieux de savoir par quel mécanisme vous avez pu être élus respectivement président de la COSUMA et présidente de l’USUMA, charges qu’à mon avis, des nationaux auraient été bien mieux indiquées à occuper.

Mais qu’importe, l’Eglise est universelle. Toutefois, cela ne devrait nullement justifier l’ambition parfois malsaine de certains missionnaires. Ce qui m’inquiète le plus, c’est ce retour à la politique avec une fausse affection -juste à la manière de Perraudin de triste souvenir-, faisant du Rwanda “votre pays”, votre petite propriété ! Et lorsque ces fonctions officielles vous servent de tremplin pour distiller un message politique et idéologique partisan et pervers, alors votre activisme frise la provocation.

2. Quand des missionnaires préconisent le dialogue avec des génocidaires

L’une des recommandations essentielles de votre lettre est ainsi formulée “Nous souhaitons que s’instaure et se développe en ce pays un dialogue susceptible de porter des fruits de paix. La violence, d’où qu’elle vienne, ne peut être une solution aux conflits.” Dans le contexte actuel du Rwanda, l’on sait pertinemment qui sont à la base de la violence qui sévit dans certaines contrées du pays. Ce sont les résidus des ex-FAR (Forces Armées Rwandaises) et miliciens Interahamwe, responsables du génocide de 1994, qui poursuivent encore aujourd’hui leur logique génocidaire. Certes, leurs provocations peuvent parfois entraîner des actes de répression de la part de certains éléments de l’armée régulière. Mais cela n’excuse nullement la violence génocidaire des premiers, pas plus que ça ne condamne fondamentalement et globalement l’armée nationale qui finalement n’a pas beaucoup d’alternatives pour mettre un terme définitif à la nuisance de ces criminels.

Il est donc inadmissible que vous puissiez recommander comme partenaires au dialogue des génocidaires qui ne cachent même pas leurs intentions à travers des tracts et des faits précis (appel à l’élimination totale des Tutsi, attaques sur des camps de réfugiés ou agglomérations tutsi, massacre ciblé de Tutsi ou agents de l’administration et depuis un certain temps, massacre des populations Hutu qui se désolidarisent d’eux, etc.). Votre recommandation se veut équilibriste et par conséquent hypocrite lorsqu’en condamnant “la violence d’où qu’elle vienne”, vous cherchez subtilement à légitimer les extrémistes Hutu génocidaires tout en diabolisant l’Armée Patriotique Rwandaise.

Naturellement, votre attitude ne surprend pas puisque le soutien des missionnaires à l’idéologie et aux forces du génocide ne date pas d’aujourd’hui. Déjà en septembre 1994, quelques semaines après la mise en déroute des forces génocidaires, le père Guy Theunis recommandait, au nom des missionnaires d’Afrique (Pères Blancs), le dialogue entre le Gouvernement d’Union Nationale issu de la victoire militaire du FPR, et le gouvernement intérimaire et génocidaire de Jean Kambanda, 1’homme qui vient de plaider coupable devant le TPIR à Arusha.

“Si le Rwanda veut sortir de la logique de guerre dans laquelle (sic) il se trouve depuis 1990, il faut un dialogue direct entre les deux belligérants, les deux groupes opposés (des membres des deux gouvernements)”, déclarait le père blanc lors d’une conférence internationale sur le Rwanda 7.

Il est particulièrement significatif que votre empressement à réclamer le dialogue ne se manifeste que lorsque vos clients et protégés -les génocidaires- se retrouvent en situation de faiblesse. Lorsqu’ils avaient encore le contrôle du pouvoir et que le FPR était encore au maquis, le mot dialogue n’apparaissait jamais dans les déclarations des missionnaires. Ceux-ci affichaient plutôt une hostilité belliqueuse à l’égard du FPR, hostilité parfois plus violente que celle des tenants du régime eux-mêmes. Ainsi, de nombreux missionnaires se sont-ils livrés à une propagande haineuse à l’égard du FPR et des Tutsi, de même qu’à toute initiative susceptible d’apporter du soutien au régime Habyarimana contre l’“ennemi commun”, le FPR et les Tutsi.

Dès le tout premier mois de la guerre, le 18 octobre 1990 exactement, 115 expatriés dont une majorité de missionnaires signaient une lettre propagandiste de soutien au régime Habyarimana dont nous avons déjà mentionné un extrait. Avec un militantisme outrancier, les auteurs de la lettre s’insurgeaient contre le départ précipité des autres blancs, départ qui selon eux contribuait à isoler le régime et à semer la panique. Ils se déchaînaient également contre la nouvelle image médiatique du Rwanda en Europe: “on a tué en quelques jours l’image de calme, de stabilité, de travail consciencieux que le Rwanda s’était acquis au fil des années sous la présidence de Juvénal Habyarimana”, s’indignaient-ils.

Quant à la question des réfugiés qui constituait la principale source d’embarras pour le régime, les missionnaires et leurs compagnons prétendaient qu’“on ne peut pas reprocher au régime du président Habyarimana de ne pas s’en être soucié puisqu’il y a fait allusion dans nombre de ses discours.” Et comble de cynisme, ils reprenaient la thèse du régime en condamnant à un exil éternel une bonne partie de la population. “avec 26.000 Km2, … des densités de plus de 800 habitants au km2 sur des terres (…) que l’érosion menace gravement, comment loger une population de 2 millions de réfugiés supplémentaires?

Décidés à redorer le blason du régime sur tous les fronts, les 115 expatriés réfutaient ainsi l’accusation de corruption portée contre le régime: “d’une manière générale, les expatriés qui ont connus d’autres pays africains savent que les hauts responsables de l’Etat se comportent nettement mieux que dans la majorité des pays africains.” Parlant des conflits ethniques, la lettre affirmait que “le gouvernement Habyarimana a tenté de résoudre en douceur cette question et au fil des années les ouvertures se sont faites de plus en plus grandes.”

Une telle affirmation faisait fi de la discrimination qui, sans être aussi violente que celle du temps de Kayibanda, n’en était pas moins institutionnalisée: mention ethnique sur les cartes d’identité, quotas ethniques pour l’admission dans les écoles et les emplois, etc… Dans cette lettre destinée à dédouaner le régime, le souci de propagande et le cynisme des missionnaires et autres expatriés était poussé jusqu’au point d’occulter les massacres qui avaient déjà débuté à Gisenyi et au Mutara, de même que les rafles et les brutalités infligées aux Tutsi et quelques opposants Hutu juste après l’attaque simulée de la nuit du 4 au 5 octobre 1990.

“L’espérance vient du fait qu’il n’y eut aucun instant pogrom, tentative de liquidation systématique des Tutsi”, affirment les expatriés. “Lors des opérations de ratissage dans la capitale, des consignes extrêmement fermes avaient été données aux militaires et autres agents de sécurité afin qu’ils se comportent correctement”. Pour ces expatriés dont nombre de missionnaires, le choix partisan et militant en faveur du régime Habyarimana se justifiait ainsi: “se mobiliser pour apporter le maximum d’aide à ce régime ne sera en aucune manière une intrusion dans un conflit intérieur, mais un soutien à un Etat de droit, chaleureusement appuyé par la population et aujourd’hui agressé de l’extérieur”.

Il est à rappeler que l’initiative de ce document et la mobilisation des signataires reviennent principalement à des missionnaires dont certains passaient à l’époque pour être parmi les principaux conseillers de Habyarimana. La lettre a été aussitôt reproduite dans un dossier spécial de propagande consacré par le magazine Jeune Afrique au Rwanda, ainsi que dans un livre de même nature publié par le célèbre tortionnaire attaché à la présidence de Habyarimana, le capitaine Pascal SIMBIKANGWA. 8 Dans ce dernier livre, la publication in extenso du document accompagné de la liste des signataires est assortie du commentaire final suivant “en lisant le témoignage de ces blancs, blancs parce qu’ils visent clair dans leurs propos, je me suis demandé s’ils n’étaient pas plus rwandais que moi par leur convaincante analyse”!

Au-delà de ces prises de position partiales et engagées, il y a eu également des déclarations franchement haineuses et racistes contre le FPR et les Tutsi. Parlant au nom du Comité des Instituts Missionnaires (belges), le jésuite flamand Fernand Goedts écrivait ceci fin 1990 9: “un bon nombre de journalistes ont dû tout apprendre sur le Rwanda au moment de la crise; (…). Il n’y a pas d’échos dans la presse de la réaction de l’homme de la rue ou de l’homme des collines. Or, ceux-ci sont les premiers concernés par les événements. (…), ceux qui ont étudié hésitent à donner leur point de vue à des journalistes qu’ils ne connaissent pas; les paysans sont prudents ! Devant cette difficulté, il était tentant de se mettre à l’écoute, uniquement de ceux qui offraient un message clair: les Tutsis Front Patriotique. De la part de ceux-ci, c’était de bonne guerre d’utiliser la presse écrite, la radio et la TV pour faire passer leur message. Comme les Tutsi appartiennent à une sous-culture où l’art de la parole est poussé très loin, ils ont réalisé une percée étonnante dans les médias.

“Les seuls à être mal à l’aise étaient ceux qui connaissent le Rwanda. (…) Il est bien tard pour dire la vérité; mais il n’est pas trop tard peut-être. Nous espérons entendre ce que vit et ressent ce peuple des collines qu’on a laissé muet. (…) qu’on nous donne son avis: était-il vraiment nécessaire d’ajouter à ses difficultés la violence et la guerre ? Est-ce que les sept cent mille Tutsi vivant au Rwanda désiraient voir venir leurs cousins d’Ouganda déranger leur paix et diffuser la peur?” (…) Quelles sont les difficultés d’intégration des réfugiés dans les pays d’accueil et les raisons de ces difficultés ?”

Selon l’état d’esprit de ce missionnaire, il est évident que la guerre d’octobre 1990 n’avait aucune justification. Question des réfugiés? Un faux problème! Puisque Habyarimana était sur le point de la régler. Les Tutsi réfugiés n’avaient aucune revendication à faire valoir! Surtout pas venir troubler la paix de “ce peuple des collines resté muet” ou encore celle des “sept cent mille Tutsi vivant au Rwanda.” La seule solution pour eux? S’intégrer dans les pays d’accueil. S’ils ne réussissent pas à s’intégrer, les raisons de ces difficultés sont à chercher dans la mauvaise nature des Tutsi!

Tel est le raisonnement qui se dégage de ce texte particulièrement haineux du missionnaire flamand. L’auteur, F.Boedts, qui se trouvait être à l’époque président du Comité des Instituts Missionnaires belges, a pris soin de préciser qu’il parlait au nom de 157 instituts regroupés dans le fameux comité qu’il dirigeait. Le bulletin des Pères Blancs ANB/BIA lui servait également de tribune. C’est donc dire que ce racisme et cette haine contre les Tutsi étaient et restent une doctrine commune des missionnaires, puisque personne d’entre eux n’a jamais exprimé le moindre désaveu.

Les preuves qui illustrent la position raciste, partiale et partisane de nombreux missionnaires sont bien multiples et il serait impossible de les présenter toutes ici. Mais relevons encore au passage ces extraits des fameux fax(es) des Pères Blancs de Kigali qui montrent à quel point les missionnaires étaient profondément investis dans la propagande du régime Habyarimana en plein milieu de la guerre.

Dans un fax du 19 mars 1992 reproduit par ANB/BIA, le Régional des Pères Blancs de l’époque assimile la guerre du FPR au mythe de la conquête du Rwanda de l’historiographie coloniale. Et citant une lettre des évêques du Rwanda aux évêques Français de décembre 1990, il poursuit: “l’agression dont le Rwanda a été victime a été présentée comme une tentative des réfugiés pour revenir dans leur pays d’origine. (…) Mais nous savons que sous ce prétexte il y a eu principalement l’ambition d’un groupe féodo-monarchiste de renverser le pouvoir actuel et de restaurer un régime rejeté par la très grande majorité de la population” 10.

Il est étonnant de voir des responsables ecclésiastiques répéter à ce point la propagande du régime pour expliquer la guerre, eux qui avaient reçu de nombreux avertissements bien avant l’éclatement de la guerre en 1990; préférant prendre le parti du régime au lieu de contribuer à résoudre dans la justice les problèmes du Rwanda. Citons à titre d’exemple cette lettre du Comité International sur les Réfugiés Rwandais, adressée aux évêques du Rwanda peu après la tenue à Washington en août 1988, de la Conférence Internationale sur les Réfugiés Rwandais 11.

Après avoir évoqué en détail l’historique et les tribulations de l’exil dans les pays voisins, la lettre fait part aux évêques de l’intention des réfugiés rwandais de rentrer dans leur pays: “Depuis que le gouvernement du Rwanda actuel a déclaré qu’il règne paix et concorde dans le pays, les réfugiés rwandais veulent rentrer dans le pays natal. Ils n’ont jamais exigé des dédommagements ni des privilèges; ils veulent recouvrer leur nationalité et être traités comme leurs autres compatriotes. Ils croient que les écoles et les emplois devraient être distribués sans ségrégation ni avantage d’un groupe quelconque de la population.”

Réfutant l’argument du gouvernement rwandais de l’époque selon lequel les exilés Tutsi ne pouvaient rentrer sous prétexte que le pays est “trop petit, trop pauvre et trop surpeuplé”, la lettre précise: Le Rwanda n’est ni le plus petit, ni le plus pauvre, ni le plus surpeuplé du monde et les raisons qui ont causé l’exode des Rwandais ne sont en aucune relation avec les arguments avancés. La santé d’une nation n’est pas fonction de ses dimensions. Elle a plutôt rapport à l’unité dans la paix et au travail assidu de son peuple. Les réfugiés rwandais veulent participer au développement économique, culturel et politique de leur pays.”

Et prenant l’Eglise à témoin malgré le lourd contentieux qu’elle porte dans ce dossier, la lettre conclue: “Les Tutsi en général et les réfugiés rwandais en particulier ne jouissent pas des droits de l’homme et de citoyen, soit au Rwanda, soit dans les pays d’asile (…). Ils croient que l’Eglise catholique rwandaise les a abandonnés à leur sort. Ils ne couvent pourtant pas des pensées ni de vengeance ni de haine. Ils sont pour la plupart de tradition catholique. En 1988, ils ont pris unanimement la décision indéfectible de regagner leur patrie: le Rwanda.

“Excellences, les réfugiés Rwandais vous envoient par ce canal cette lettre pour la seule raison de faire parvenir leur message à l’Eglise Catholique Rwandaise. Au jour où l’exaspération aura dicté leur pas, vous vous sentirez informés.”

Effectivement, ce jour tant annoncé est arrivé. Au lieu de jouer un rôle positif de médiation conforme à son statut d’instance morale, l’Eglise Catholique a fait le choix de s’engager dans la bagarre aux côtés du régime contre ceux qu’on traitait unanimement d’ “ennemis”, “d’agresseurs.” A travers des lettres, des articles de presse et messages divers, évêques et missionnaires rivalisaient de zèle pour faire la propagande du régime en occultant la nature exacte du conflit. Ils affirmaient que “le Rwanda est l’objet d’une agression extérieure”, ougandaise en l’occurrence; que “le problème des réfugiés rwandais était en voie d’être réglé”; que “Habyarimana et son régime font tout pour sortir le pays de la crise”, etc…

Dans les fameux fax(es) du régional des Pères Blancs à Kigali par exemple, on pouvait lire des titres impressionnants comme: “le terrorisme ougandais continue” 12, ou encore cette description digne d’un spécialiste de la désinformation: “plus aucun observateur ne met en doute la présence active de l’armée ougandaise au sein des assaillants. Une partie des uniformes militaires proviendrait de la Libye. Ils ont des Kalachnikovs dernier modèle, et certains équipements perfectionnés proviendraient également de la Libye, tout en étant de fabrication anglaise.” 13

Dans ces mêmes fax(es) ou autres messages des missionnaires, la diffusion des thèses officielles du régime va de pair avec un parfait cynisme et une volonté puissante d’occulter, de justifier ou de banaliser les crimes et violences infligées aux populations tutsies. Après l’attaque simulée de la nuit du 4 au 5 octobre 1990, nuit au cours de laquelle des militaires rwandais avaient tiré en l’air pour justifier, dès le lendemain, des rafles massives et des brutalités inouïes contre les populations tutsi et quelques opposants hutu sous le prétexte d’une infiltration rebelle, un missionnaire expliquait ainsi la situation:

“Dans tout le pays l’armée perquisitionne, trouve des armes (parfois en grand nombre) des rebelles infiltrés et cachés depuis huit, quinze jours avant le début des hostilités et venus de l’Uganda. La visite du pape avait facilité la circulation des personnes venues des pays voisins. Beaucoup de commerçants tutsi semblent avoir versé de l’argent au Front Patriotique Rwandais, d’autres ont importé des armes. Beaucoup de gens sont arrêtés pour avoir hébergé des rebelles. 14

Le même missionnaire justifiait aussi le massacre des populations tutsi dans le Mutara par les Forces Armées Rwandaises (FAR) de l’époque. Après avoir précisé que le “Rwanda a été attaqué par des troupes en uniforme de l’armée ugandaise” - passage souligné dans le texte publié par ANB/BIA-, le missionnaire explique: “on brûle des ranchs (chaque ranch comprend une cinquantaine de familles d’éleveurs, tutsi pour la plupart, avec leurs troupeaux) où les rebelles se cachent en civil et se sont mêlés à la population, dont ils parlent parfaitement la langue. 15”. L’on ne saurait trouver délateur et condamnations à mort plus explicites !

Quant aux massacres des Tutsi du Bugesera (Kigali rural) au début de l’année 1992, un fax des Pères Blancs de Kigali les rapporte sous le titre de “luttes ethniques au Bugesera”, avec les explications suivantes: “Depuis plusieurs mois il y avait des tensions dans certaines communes du Bugesera, c.-à-d. à Kanzenze (paroisse de Nyamata) et à Ngenda (paroisse de Ruhuha). N’oublions pas non plus qu’environ 200 jeunes Tutsi de la région avaient rejoint les rangs du Front Patriotique Rwandais en Uganda, en passant par le Burundi voisin. (…) Depuis plusieurs jours on ne brûle plus et le calme semble généralement revenu. Au Bugesera surtout, mais aussi ailleurs, c’est l’heure de la chasse aux fauteurs de trouble. Il est donc faux de dire qu’à l’heure actuelle les massacres de Tutsi continuent. 16

A travers ces déclarations et prises de position, le rôle de nombreux missionnaires dans le drame rwandais apparaît clair et net. Ils ont pris fait et cause pour l’idéologie ethniste dont ils sont les promoteurs ainsi que pour les régimes hutistes et génocidaires qui en sont issus. Par contre, leur cynisme et leur haine envers le Tutsi, envers le FPR plus tard et envers le régime actuel assimilé aux Tutsi et au FPR aujourd’hui n’ont jamais été un secret. En 1959 déjà, devant le spectacle des massacres, des incendies et de l’exil des Tutsi, Perraudin, principal démiurge de la “révolution sociale Hutu” expliquait: “on ne peut pas manger une omelette sans casser les œufs”.

Dans une série d’articles publiés à la même époque dans la célèbre revue des Pères Blancs “Vivante Afrique”, un autre père Blanc, Walter Aelvoet, expliquait fièrement cette “révolution” comme étant une “conséquence de l’enseignement de l’Eglise.” Il justifiait l’engagement des Pères Blancs dans ce drame au nom de la “doctrine sociale de l’Eglise” et interprétait la tragédie des Tutsi comme une conséquence des “courants historiques irréversibles.” Après le génocide de 1994, les deux missionnaires et beaucoup de leurs collègues ont continué à témoigner d’une réelle “compréhension” et d’une profonde sympathie pour les génocidaires Hutu.

Les initiatives actuelles réclamant le “dialogue” avec les génocidaires s’inscrivent ainsi dans le cadre normal de ce combat de toujours. Les soutiens antérieurs n’ayant pas empêché la défaite du camp favori, “le dialogue politique” semble être la dernière alternative, la dernière arme susceptible de remettre les clients génocidaires -dans les actes ou dans l’idéologie- au pouvoir. Ce qui choque dans tout cela, c’est que l’ASUMA -une institution d’Eglise- sert de couverture à une telle revendication politicienne moralement abominable. Et puisque vos choix politiques et idéologiques sont déjà bien connus, pourquoi ne pas mener votre combat à visage découvert, sans devoir continuer à l’Eglise?

3. Hérauts et artisans d’un messianisme diabolique

Dès les premiers paragraphes de votre lettre, vous dites: “consacrés au service de l’Evangile du Christ, consacrés au service de l’Eglise et du peuple tout entier, nous nous sentons solidaires de la souffrance de tant d’hommes, de femmes et d’enfants qui sont les victimes innocentes, depuis près de huit ans, d’un conflit qui les dépasse.” A lire cet extrait, on comprend que selon votre analyse, le conflit rwandais dure depuis huit ans, pratiquement depuis le déclenchement de la guerre par le Front Patriotique Rwandais (FPR) en octobre 1990. Or, cette vision des choses fait écho à une thèse très répandue dans les milieux missionnaires et pro génocidaires, thèse selon laquelle le drame du Rwanda commence avec la guerre du FPR. Certains vont même jusqu’à imputer au FPR la responsabilité du génocide!

Pourtant, la vérité historique est toute différente. Les malheurs du Rwanda -dont nous subissons encore les contrecoups aujourd’hui- commencent en réalité en novembre 1959, date à laquelle des massacres à caractère ethnique inspirés par une idéologie raciste ont eu lieu pour la première fois dans l’histoire du pays. Ce fut alors l’inauguration d’une tradition génocidaire dirigée contre les Tutsi et jalonnée de pogroms répétitifs et pillages, incendies, exils et tribulations multiples, tradition qui devait culminer dans le grand génocide de 1994. Or, le rôle de l’Eglise dans ces malheurs et spécialement, l’activisme funeste de nombreux missionnaires étrangers ne sont plus à démontrer.

Mais comme ces derniers ont toujours su s’attribuer le beau rôle, à savoir celui d’interpréter notre histoire tout en étant les principaux inspirateurs de nos tragédies, le génocide entamé en 1959 a été baptisé “révolution sociale” et l’avènement d’une république ethniste et génocidaire sous l’égide du PRMEHUTU présenté comme l’instauration d’un régime “républicain”, “démocratique” et “chrétien”. Ceux qui ne partageaient pas une telle vision dans l’Eglise furent combattus, marginalisés, persécutés ou bannis. On connait ainsi les désagréments et les intrigues qu’a dû endurer Mgr Aloys Bigirumwami de la part de Perraudin, ou encore les expulsions - et départs plus ou moins volontaires - de quelques rares missionnaires européens qui désapprouvaient l’idéologie ethniste et les menées divisionnistes et génocidaires anti-Tutsi au temps de Guy Logiest et de Kayibanda.

Aux yeux de nombreux missionnaires donc, la première et la deuxième république constituent “l’âge d’or” de l’histoire politique du Rwanda. L’institutionnalisation de la discrimination ethnique, les violations flagrantes des droits de l’homme, les pogroms et exactions répétitifs contre les Tutsi, le génocide; tout cela n’est que faits divers. A la limite, les Tutsi sont déclarés responsables de leur propre malheur, et le Front Patriotique Rwandais, un trouble-fête dans cette république ethniste de Kayibanda et Habyarimana, terre inhospitalière pour nombre de ses ressortissants, mais véritable paradis des missionnaires et autres expatriés. L’incontournable père Blanc Walter Aelvoet résume parfaitement cette vision du reste commune à de nombreux missionnaires ainsi qu’a tous les supporters de l’ancien régime rwandais.

Rappelant ses souvenirs juste au début de la guerre en 1990, le père blanc raconte: “pour nous, l’histoire a commencé en 1959; tout ce qui a précédé, c’était la culture des Tutsi. La révolte des Hutus, je l’ai vécue de manière très douloureuse, car il y avait des cadavres. Mais dans le fond, j’étais heureux. Il se passait quelque chose d’historique: la libération d’un peuple. Je me souviens encore de la mort du Mwami: j’ai communiqué la nouvelle à mes élèves du Collège, et je leur ai dit que le lendemain nous allions célébrer une messe de requiem. Mais j’ai ajouté qu’en réalité c’est un Te deum que nous devrions chanter 17.”

Et dans un article publié en 1991, le même missionnaire écrivait: “Lorsqu’en novembre 1959 le Rwanda se débarrassa de la féodalité séculaire, il se passa quelque chose de véritablement historique, qui avait des conséquences considérables pour le développement. (…) Là se trouve à mon avis l’explication du fait qu’en 30 ans d’indépendance le Rwanda est dans une situation favorable. (…) Le Rwanda n’a pratiquement connu qu’un seul gouvernement, avec deux présidents, Grégoire Kayibanda et Juvénal Habyarimana, qui resteront dans l’histoire comme deux personnages remarquables. (…) Ce que le FPR a réalisé, c’est un immense champ de ruines: une catastrophe économique et, au point de vue des relations Tutsi -Hutu, qui en 30 ans s’étaient fort améliorées, une énorme méfiance réciproque 18.

Dans deux interventions séparées mais toutes consécutives au génocide, 1’ancien évêque de Kabgayi, Mgr Perraudin fait preuve exactement de la même vision de l’histoire: idyllique par rapport aux deux républiques ethniques, et “compréhensive” par rapport à leur violence; banalisante et cynique par rapport au drame des Tutsi; catastrophique dès que le FPR entre en jeu 19. Dans un article au journal La Croix en 1995, le prélat écrivait: “il est faux également d’affirmer qu’au moment de la révolution de 1959 il y eut le massacre de “dizaines de milliers de Tutsi”. En 1959 il n’y en eut que quelques centaines; si on additionne toutes les victimes de la révolution qui va de 1959 à 1963, on atteint au maximum le chiffre de 5000… on est loin des dizaines de milliers ou même des centaines de mille dont certains écrits font état. Il faut souligner d’ailleurs que les affrontements qui provoquèrent ces victimes résultaient des attaques venant de tutsis réfugiés à l’extérieur du pays”.

Parlant de la guerre menée par le FPR au début des années 1990 Perraudin explique: “je n’étais pas en fonction lorsqu’éclata la guerre d’invasion du 1er octobre 1990, soutenue par l’Ouganda dont on peut dire qu’elle a assassiné le pays.” Plus d’un an auparavant, en plein génocide, un journal suisse publiait déjà cette interview du même Perraudin: “Condamner et comprendre. Le prélat condamne vivement les massacres perpétrés ces derniers jours par des extrémistes hutus, mais s’il condamne, il ajoute: “je les condamne mais j’essaye de comprendre. Ils agissent par colère et par peur. Par colère contre le meurtre de leur président, et par peur de retomber dans l’esclavage.”

Cette vision idyllique d’un “âge d’or” coïncidant avec les “républiques ethnistes hutus”, et le regard horrible porté sur le FPR présenté comme un trouble-fête, justifient l’hostilité constante de nombreux missionnaires à l’égard du nouveau Rwanda. Tout porte à croire en effet que ces hommes et femmes d’Eglise regrettent le “paradis” perdu. Aussi, leur haine, leur amertume et leurs frustrations se transforment en un militantisme ou mieux, un messianisme diabolique: travailler à la restauration de l’ordre originel, c’est-à-dire, l’ordre politique inauguré par le génocide de 1959 dite “révolution sociale”, dont les missionnaires étaient les “démiurges” et dont ils se veulent à présent les “hérauts”. Et qu’importent si les nouveaux “messies”, les nouveaux “Kayibanda” soient aussi des criminels de son acabit. L’Eglise catholique au Rwanda s’en est toujours accommodée. D’ailleurs, l’ironie veut que les artisans de ce nouvel ordre - “infiltrés” et autres génocidaires- se disent eux-mêmes “combattants du Christ” (Ingabo za Kristu)!

Ce militantisme ou ce messianisme politique des missionnaires prend plusieurs formes: entretien d’un climat d’hostilité, de mensonge et de méfiance à l’égard du nouveau pouvoir assimilé au FPR et aux Tutsi; soutiens divers à toutes les factions ou initiatives supposées représenter une portion d’opposition, donc une alternative plausible au nouveau pouvoir. Depuis l’arrêt du génocide en 1994 et la mise en place d’un gouvernement d’Union Nationale, ces attitudes des missionnaires ont pris des formes variées.

A l’époque où le Rwanda était encore entouré de camps de réfugiés surarmés, l’attitude des missionnaires et autres sympathisants de l’ordre ancien était plutôt empreinte de hargne et de suffisance. Tous accordaient au “nouveau régime FPR” un sursis maximal de 3 à 6 mois. Obéissant a la même logique de “déportation” que les concepteurs du génocide qui avaient entraîné les populations hors des frontières pour incommoder le nouveau pouvoir, certaines congrégations missionnaires s’implantèrent “définitivement” en exil (Bukavu ou ailleurs), refusant de retourner au Rwanda et en attendant de revenir en force avec les réfugiés armés !

Certains sont même allés jusqu’à saboter les œuvres dont ils avaient la charge auparavant dans le pays, le cas le plus cité étant l’incendie mystérieux du Groupe Scolaire de Butare. Rentrés chez eux au moment du génocide, de nombreux missionnaires refusaient de revenir au Rwanda poursuivre leur pastorale ou différents projets qu’ils avaient abandonnés. Ceux qui revenaient le faisaient en touristes ou en humanitaires, juste pour des voyages de courte durée au Rwanda et dans la région en “missions de renseignement”. Même ceux qui étaient sur place prêchaient l’immobilisme, attendant visiblement le passage du cyclone - retour en force des miliciens et ex-FAR, coup de balai sur le régime FPR, restauration de l’ordre ancien - pour pouvoir reprendre véritablement le travail!

Cette période d’attentisme et de sabotage calculé se trouve parfaitement résumée dans cette politique officielle des Pères Blancs à l’époque, telle que décrite par un membre de cette congrégation: “Nous ne retournerons pas massivement au Rwanda, tant que deux millions de Rwandais sont réfugiés ou déplacés, tant que ceux qui ont essayé de rentrer, qu’ils soient Hutu modérés ou non, sont emprisonnés, torturés et même assassinés, surtout s’ils réclament leurs biens et leurs maisons occupées par d’anciens réfugiés revenus du Burundi, tant que le gouvernement n’a rien à dire, nous refusons de sembler approuver une telle situation. Quelques-uns d’entre nous, une vingtaine, sont dans des camps de réfugiés au Zaïre, au Burundi et en Tanzanie. Quelques-uns sont à l’intérieur, à l’écoute de ce qui se dit et se prépare.” 20

En dehors de cette attitude d’hostilité passive, de méfiance entretenue et d’espionnage, d’autres missionnaires faisaient preuve, au même moment, de plus d’activisme: désinformation, procès d’intention et culture de la méfiance à l’égard du nouveau régime, pressions en vue d’amener le nouveau pouvoir à négocier avec les génocidaires, appels à la communauté internationale en vue de refuser l’aide au nouveau Rwanda, etc…Dans un fax de juillet 1994 par exemple les pères blancs J. Vleugels et Guy Theunis écrivaient:

“Nous nous posons beaucoup de questions sur l’avenir politique du pays: va-t-on vers un rétablissement du régime de 1959 ou bien le pays pourra-t-il évoluer vers la démocratie (comme le promet le FPR)? Tous les réfugiés rwandais récemment partis en Tanzanie, au Burundi, au Zaïre, vont-ils pouvoir rentrer rapidement dans leurs terres, maintenant que “la guerre est finie”? Ou volontairement, va-t-on les laisser mourir de faim?… 21 Et lors d’une rencontre internationale réunissant à Bruxelles plus d’une trentaine d’organisations humanitaires catholiques en janvier 1995 à l’initiative du CIDSE-CARITAS INTERNATIONALIS, les participants, - dont de nombreux missionnaires- faisaient l’analyse et les recommandations suivantes:

“Par ailleurs on dénote aucun geste concret du gouvernement de Kigali indiquant son désir sincère d’un retour des réfugiés. Il n’y a qu’une solution: que la communauté internationale prenne enfin la responsabilité d’empêcher l’éruption de nouvelles vagues de violence en exerçant des pressions politiques sur le gouvernement actuel afin que celui-ci élargisse sa base politique et accélère le processus de démocratisation” 22

Ces pressions en vue du rétablissement de l’ordre ancien n’ont cependant pas abouti. Les bailleurs ont progressivement libéré les fonds et les réfugiés ont été rapatriés dans la grande surprise vers la fin de l’année 1996, à la faveur de la rébellion congolaise. Le rêve de la reconquête venait donc d’échouer. Beaucoup de missionnaires ont été profondément affectés, eux qui auparavant accusaient hypocritement le nouveau pouvoir de ne pas souhaiter le retour des réfugiés. Mais leur militantisme ne s’est pas arrêté pour autant, d’aucuns ont continué à espérer que les forces génocidaires allaient se réorganiser et revenir en force et cela jusqu’à leur défaite retentissante à Kisangani. Avec amertume et ressentiment, certains se sont alors rabattu sur la désinformation et beaucoup d’autres initiatives destinées à nuire au nouveau Rwanda.

L’on sait par exemple avec certitude que la plupart des organisations et groupuscules politiques ethnistes opposés au régime actuel de Kigali naissent dans le sillage des milieux missionnaires dont ils continuent à bénéficier des appuis divers. Le RDR (Rassemblement pour la Démocratie et le Retour des Réfugiés) est né dans le sillage de “Dialogue” en 1995 à Bruxelles. Le fameux père blanc Serge De couter, ancien président du Comité des Instituts Missionnaires Belges, passe pour être l’un des principaux conseillers de François Ndahimana, président du RDR et ancien président du comité de rédaction de “Dialogue” dont il a démissionné juste pour prendre la direction de ce parti. Le Centre de Lutte contre l’Injustice et l’Impunité au Rwanda, connu pour ses pamphlets outranciers et réguliers, a été lui aussi monté et continue d’être soutenu en grande partie par des cercles missionnaires qui utilisent un exilé rwandais proche des extrémistes génocidaires qui sèment la violence dans le nord du Rwanda.

De nombreux organes de presse proches des milieux missionnaires rivalisent de zèle dans la diffusion des idées révisionnistes, négationnistes et ethnistes ainsi que dans la désinformation systématique orchestrée contre le nouveau Rwanda. En tête de file se trouve naturellement “Dialogue”, fondé et édité au Rwanda jusqu’à la fin du régime Habyarimana et exilé en Belgique comme beaucoup d’autres avec le changement de pouvoir. Quatre ans après, c’est là qu’il continue d’être édité “momentanément” comme l’indiquent régulièrement tous ses numéros en première page de couverture à chaque parution ! Il existe évidemment beaucoup d’autres organes de même inspiration aussi bien en Belgique, en Italie, en Allemagne et ailleurs.

L’on assiste également à la prolifération de nouveaux et puissants moyens de communication créés et animés par des missionnaires comme les agences de presse “Fides” et Misna”. Peut-être que les objectifs poursuivis par ces agences et le travail qu’elles réalisent ailleurs dans le monde sont irréprochables. Mais s’agissant du Rwanda, force est de constater qu’elles versent littéralement dans l’irrationnel! L’illustration la plus récente est cette réaction de l’agence Misna (Missionary Service News Agncy) à la lettre ouverte de l’organisation londonienne African Rights au Pape Jean Paul II datée du 13 mai, lettre qui recommande au Pape la création d’une commission chargée d’examiner l’implication de certains ecclésiastiques dans le génocide des Tutsi de 1994 ainsi que le rôle de l’Eglise dans l’histoire tragique du Rwanda. Citant en “exclusivité” le mensuel “Nigritia” des missionnaires comboniens édité à Rome, Misna écrit:

“On ne comprend pas finalement comment une organisation de défense des droits de l’homme s’occupe du passé sans regarder le présent; le génocide des hutu rwandais dans l’Est du Zaïre, en 1996-97. Est-ce que franchement, les activités d’African Rights ignorent que dans les hautes sphères militaires de Kigali, on dit ouvertement que “l’unique réconciliation est l’extermination” (des hutu)? Mais restons quand même dans le passé: qu’est-ce à dire des civils massacrés par les tutsi du FPR (par exemple les 792 dans la zone qu’ils contrôlaient dans la période 1991-92 de septembre à septembre, contre les 600 massacrés sur le territoire contrôlé par le gouvernement). Et encore, est-il possible de continuer à répéter le chiffre de “un million de tutsi” massacrés alors que ceux-ci étaient, selon le recensement de la population de 1991, environ 600.000, et le considérable pourcentage des victimes étant des hutu modérés? 23

Le négationnisme rampant, la complicité objective et la profonde sympathie envers les génocidaires, la diabolisation constante du FPR associé aux Tutsi et au pouvoir actuel constituent des indices d’un immense dépit de nombreux missionnaires viscéralement hostiles au nouvel ordre politique et frustrés de voir que la restauration de l’ancien ordre n’est pas chose évidente. Le choix du 7 avril, -date de commémoration du génocide- pour publier votre lettre qui appelle au dialogue avec les génocidaires n’est pas du tout innocent. On se souvient également du deuil et de la rage dans lesquels de nombreux missionnaires ont été plongés par l’exécution de 22 génocidaires.

Le scandale survenu au lendemain de ces exécutions dans une paroisse catholique de Nyamirambo (Kigali) desservie par trois pères blancs traduit à sa façon le même état d’esprit. Des chrétiens courroucés étaient sortis de cette église au cours de l’homélie d’un des trois missionnaires, chose jamais arrivée dans l’histoire presque centenaire de l’Eglise au Rwanda. La cause de l’incident n’était autre que la prédication particulièrement virulente du prêtre contre la mesure d’exécution et l’attitude favorable manifestée la veille par ses ouailles! Pour ceux qui connaissent bien cette paroisse, il semble qu’il existe une division du travail stricte dans les fonctions de ces missionnaires: il y a un qui fait chaque jour un ou plusieurs tours de la ville à la recherche des informations; un autre qui en fait la synthèse à l’intention des communautés et “services” de l’étranger; et un troisième commis à la provocation, par des homélies idéologiquement épicées!

Tout porte donc à croire que pour nombre de missionnaires, la victoire du FPR contre les forces du génocide constitue la catastrophe majeure dans l’histoire politique de notre pays. D’où l’acharnement, la haine et la diabolisation de ce mouvement dont on conteste la légitimité et auquel on cherche à empêcher par tous les moyens, d’arriver à une victoire complète. Les sympathies et les appels au dialogue avec les génocidaires, les campagnes de désinformation et les appuis de toute nature aux forces de déstabilisation,… tout cela dénote une volonté farouche de restauration d’un ordre à jamais aboli, puisque politiquement inacceptable et moralement abominable. Le sens de l’histoire est irréversible sur cette question, même si de nombreux missionnaires ne le comprennent pas.

Or, ils ne sont tout simplement pas à mesure de le comprendre. Contrairement aux instances politiques étrangères qui se sont compromises avec les forces du génocide pour des raisons d’intérêt politique ou stratégique immédiat, les hommes d’Eglise entretiennent avec les mêmes forces des liens psychologiques plus étroits. Voilà pourquoi contrairement aux autres pays ou organisations dans le génocide, l’Eglise catholique reste la seule institution qui refuse la reconnaissance sincère et le repentir vrai quant à son rôle dans l’élaboration, la diffusion et même la mise en œuvre de l’idéologie ethniste, source des divisions et du génocide.

Le rôle des missionnaires étant prépondérant dans la détermination d’une telle attitude d’impénitence et même de récidive, il est évident que notre société continuera à vivre sous la menace constante de leur obstruction ou de leur activisme pervers. Aussi, seules deux solutions me paraissent acceptables si l’on veut sauvegarder l’harmonie et l’avenir de notre société sans nuire aux intérêts de l’Eglise.

1. Tout en souscrivant au principe d’universalité de l’Eglise, nous pensons que le rôle des missionnaires devrait se faire de moins en moins prépondérant. Il y a presque cent ans qu’ils nous ont apporté l’évangile et de nombreux signes attestent que les Rwandais ont massivement adhéré au Christ. L’influence des missionnaires ne se justifie donc plus par un besoin d’évangélisation, mais bien par un instinct de domination néo-coloniale et impérialiste voulant régenter la vie religieuse et sociopolitique de ce pays en lieu et place des Rwandais.

Or, cette ambition -du reste très séculière- serait elle-même supportable si elle n’avait pas entraîné depuis des décennies des tragédies que certains d’entre nous ont vécu dans leur chair et dans leur âme. Et puisque nous ne pouvons plus supporter de souffrir injustement des drames qu’ils alimentent, il est temps que les missionnaires pensent eux-mêmes à s’effacer ou à s’occuper d’un apostolat réellement constructif, sans devoir obliger les Rwandais à les y contraindre.

2. La plupart des missionnaires appartiennent à une certaine génération, ce qui rend leur capacité de conversion presque nulle. Certains ont contribué à l’élaboration et à la diffusion de l’idéologie ethniste, d’autres ont été formés dans la même idéologie. Leur militantisme diabolique résiste aussi bien à la grâce de l’Esprit qu’à la force de l’évangile, contre lesquelles ils semblent définitivement immunisés. Aussi, il me semble que le changement des équipes serait la dernière alternative possible. Les missionnaires qui ont passé un certain nombre d’années au Rwanda devraient se faire remplacer par de tout nouveaux, sans passé idéologique et politique de compromission et de parti pris.

En conclusion

Il est probable que mes propos soient jugés excessifs par plus d’un. En parlant du rôle funeste des missionnaires en général, j’ai tâché pourtant d’accorder la parole à ceux d’entre eux qui paraissent les plus représentatifs. Mes réflexions ont été dégagées sur base de leurs propres actions et déclarations. Cela dit, je n’englobe pas dans la même réprobation quelques rares missionnaires qui, malgré les contrariétés de la politique unanime et quasi officielle, tentent de se démarquer de l’idéologie ethniste et des comportements anti-évangéliques. Mais cette mise au point me paraissait opportune, pour que des personnes de bonne foi mais peut-être mal informées parmi les missionnaires se réveillent davantage à la Vérité.

Il est inutile de se voiler la face en criant à la persécution ou à une quelconque hostilité envers les missionnaires; encore moins en faisant accroire “une tentative de diviser l’église et de favoriser la création d’une église nationale” comme le prétendent certains d’entre vous 24. L’unité de l’église ne se fera pas dans une unanimité aveugle et dangereuse autour des idées funestes professées par certains missionnaires et responsables ecclésiastiques, fussent-ils influents. L’unité et le salut de l’église passent plutôt par une conversion de tous à la vérité. Tenter d’étouffer cette vérité par des faux-fuyants, recourir à l’injure et à la diffamation contre ceux qui vous y interpellent revient à combattre l’Esprit, ce qui est une gesticulation désespérée.

Fait à Kigali, le 7 juin 1998

Rutazibwa Privat
CRID a.s.b.l / Kigali

Notes

1. ASUMA/Rwanda, situation de notre pays et des communautés religieuses, in Bulletin Hebdomadaire AR/RNA, n°31/4-6/5 1998.
2. PERRAUDIN, A., Mgr, Super Omnia Caritas, mandement de carême, Kabgayi, 11 février 1959.
3. Rapport des prêtres du doyenné du Mutara-Rukomo, 10 février 1992. In Peuples et Solidarités, n° 289, mai; p.9-11.
4. Fax du Régional des Pères blancs à Kigali; in, ANB/BIA, n°184, p.7, du 15 janvier 1991.
5. “Des Expatriés témoignent ensemble une colère de temps de guerre au Rwanda”, lettre du 18 octobre 1990.
6. W Aevoet, “L’Eglise au Rwanda”, in Vivante Afrique, n° 212, Janv-Février, 1961.
7. Theunis, Guy, “la présence des Missionnaires d’Afrique, (Pères Blancs) parmi les Rwandais, aujourd’hui”, exposé à la “Conférence internationale sur le Rwanda dans son contexte régional: droits de la personne, réconciliation et réhabilitation”, Bruxelles, 12 sept. 1994.
8. Jeune Afrique, octobre 1990, pp. 96-98; capitaine Simbikangwa, la guerre d’octobre, Kigali, 1991.
9. F. Boedts, in ANB/BIA, n° 181, du 1er décembre 1990.
10. Jeef Vleugels (Régional des Pères Blancs), fax du 19 mars 1992;
11. Jean Marie Masabo (pour les Réfugiés Rwandais), (Coordinator, International Committee on Rwandan refugiees), lettre aux évêques du Rwanda.
12. Jeef Vleugles, … fax du 28 février 1992.
13. id., fax du 1er février 1992.
14. ANB/BIA n 178, 15 octobre 1990
15. ibid.
16. Maison Régionale des Pères Blancs, fax(es) du 10 mars 1992.
17. Voir c. Braeckman, Rwanda-Histoire d’un génocide, Fayard, 1994; p.42.
18. W.Alevoet,“voies de démocratie en Afrique”, in ANB/BIA, n° spécial de septembre 1991
19. A.Perraudin,“Rétablir la vérité”; in La Croix, 19 oct. 1995, déclarations citées par La Tribune de Genève, 18 avril 1994.
20. André Pirmey, lettre au Recteur d’Arzon (France), fin 1994.
21. Jeef Vlugels et Guy Theunis, fax du 19 juillet 1994.
22. CIDSE-CARITAS INTERNATIONALIS, Rapport de la rencontre internationale sur le Rwanda, Bruxelles, 4 au janvier 1995, p11, point 4.
23. Agence de presse MISNA, “pourquoi African Rights nous laisse perplexes”, dépêche de mai 1998.
24. Agence FIDES, “Rwanda-La spirale de la violence étouffe l’œuvre de réconciliation de l’église", dépêche du 22 mai 1998.

Document 3. Génocide rwandais: dernier acte

Collectif. « Génocide rwandais: dernier acte ». L’Osservatore Romano n° 21, 25 mai 1999 : 2.

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Document 3

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Transcription

RWANDA. Cinq ans après le génocide rwandais, S.Exc. Mgr Misago, Evêque de Gikongoro, est arrêté et soupçonné de complicité

Une situation qui risque de mettre en crise tout l’avenir de la coexistence sur le continent africain

Au Rwanda a lieu actuellement une véritable campagne diffamatoire à l’égard de l’Eglise catholique, visant à la faire apparaître responsable du génocide de l’ethnie tutsie, qui a bouleversé le pays en 1994. La première victime publique de cette campagne est Mgr Augustin Misago, Evêque de Gikongoro depuis 1992, arrêté le 14 avril dernier sur la route de Kigali. L’Evêque est accusé d’avoir participé au meurtre de 150.000 Tutsis dans son diocèse; il est tenu pour responsable en particulier du meurtre de 30 étudiantes qui auraient demandé sa protection.

L’accusation portée contre l’Evêque émane d’une très haute instance, c’est-à-dire du Président de la République du Rwanda lui-même, Pasteur Bizimungu qui, le 7 avril dernier, au cours des célébrations pour le cinquième anniversaire du génocide, a publiquement dénoncé la complicité du prélat. Les attaques contre l’Evêque et l’Eglise ont déjà suscité diverses réactions de la part de l’opinion publique mondiale. Ou côté ecclésiastique, les épiscopats du Burundi, de Tanzanie, de France et l’Archevêque de Bukavu (République démocratique du Congo) etc. ont déjà exprimé leur solidarité à Mgr Misago. Tous expriment leur préoccupation pour l’attaque massive qui risque de mettre en crise l’avenir de la coexistence sur tout le continent africain.

Une arrestation selon un scénario établi

L’arrestation de Mgr Misago a été précédée par une dure campagne de presse. Les journaux du régime le voient même condamné avant même que le procès ait eu lieu: le journal progouvernemental The New Times du 12 avril (avant son arrestation) le représentait sur un dessin humoristique, entouré de crânes qui le regardaient, stupéfaits; l’Evêque ceint de cartouchières et armé de machettes, la tête coiffée d’une mitre marquée d’une croix nazie.

Le déroulement de l’arrestation de Mgr Misago est une sorte de modèle. Le 18 avril, l’Archevêque de Kigali lui-même, Mgr Thaddée Ntihinyurwa a été accusé -cette fois-ci par de simples “rescapés”, ayant échappé au génocide - d’avoir participé au génocide. Tout a eu lieu selon un scénario établi: au cours des jours précédents, une série d’articles dans les journaux - tous contrôlés par le gouvernement - accusent l’Archevêque; une célébration est organisée en mémoire du génocide, à laquelle l’Evêque est prié de participer; au cours de la cérémonie religieuse, les accusateurs se lèvent, les journalistes et les médias sont prêts à immortaliser l’événement.

Même scénario pour Mgr André Perraudin, un Père Blanc, Evéque émérite de Kabgayi. Le 4 avril dernier, à l’occasion de la fête pour le soixantième anniversaire de son sacerdoce à Veyras (Suisse), un groupe ethnique de Rwandais émigrés a manifesté aux portes de l’église, distribuant des illustrations et des polycopiés, l’accusant de “génocide”. Le génocide tutsi a eu lieu en 1994. Mgr Perraudin, qui est resté au Rwanda pendant 38 ans, s’est retiré en Suisse depuis le 15 septembre 1993. Mais cela ne suffit pas à ne pas le considérer comme responsable. Le groupe l’accuse d’avoir écrit une lettre pastorale en 1959 (!) dans laquelle, au nom de la charité, il demande que cessent les privilèges d’une ethnie sur l’autre, suggérant des réformes sociales et une plus grande démocratie. A cette époque, le Rwanda, qui n’était pas encore une monarchie, était gouverné par l’ethnie tutsie, tandis que les Hutus, majoritaires, étaient considérés comme des esclaves.

Campagne diffamatoire des médias progouvernementaux

Le 26 avril dernier, a eu lieu une rencontre entre les évêques rwandais et le Président de la République. Selon l’édition de Radio Rwanda du lendemain, le Président Bizimungu a voulu préciser que Mgr Misago a été arrêté «en tant qu’individu, non pas en tant que membre de l’Eglise catholique».

L’impression qui ressort est en revanche l’inverse: dans le cadre des tentatives visant à faire éclater les procès contre les évêques et les missionnaires, se déroule un projet pour rendre l’Eglise catholique responsable in toto du génocide contre les Tutsis.

L’arrestation de Mgr Misago, cinq ans exactement après les massacres, doit être considérée comme le dernier acte d’une stratégie du gouvernement rwandais visant à réduire ou à éliminer le rôle de réconciliateur qu’a joué l’Eglise dans l’histoire du Rwanda, dans le passé et aujourd’hui encore, cherchant de toutes les façons possibles d’en ternir l’image.

Pourtant, parmi les victimes, figurent 3 évêques, 123 prêtres et plus de 300 sœurs. La police a fait disparaître un autre évêque, Mgr Fokas de Ruhengeri, il y a deux ans, à son retour de l’étranger. On n’a plus de nouvelles de lui. Récemment encore, des hommes et femmes missionnaires ont été tués précisément parce qu’ils voulaient contribuer à la réconciliation au Rwanda, mais qu’ils étaient des témoins gênants des abus.

La campagne diffamatoire a commencé il y a quelques années. Parmi les principaux instigateurs figure Privat Rutazibwa, un ancien prêtre directeur d’une agence de presse gouvernementale. Il soutient que «l’Eglise catholique est trop dépendante de Rome» et qu’il est nécessaire de «créer une Eglise nationale rwandaise». D’autres organes d’information — comme la revue La Nouvelle Relève — ont affirmé que les missionnaires ne sont plus nécessaires au Rwanda et souhaitent la naissance d’une Eglise nationale. Privat Rutazibwa lui-même, dans une lettre ouverte, a défini les missionnaires «apôtres de la haine».

Les Eglises, mémoriaux du génocide

Ce projet est lié à la volonté exprimée par les Autorités de transformer un certain nombre d’églises catholiques en mausolées du génocide. L’intention qui transparaît est de relier dans la mémoire des citoyens rwandais le binôme génocide-Eglise. Le Saint-Siège s’est opposé à cette intention, en soulignant que les églises sont un lieu de culte et de réconciliation pour toute la communauté (Tutsis et Hutus) et qu’elles ne peuvent être monopolisées comme ossuaires par une partie de la population. En juillet 1997, le gouvernement a cependant réquisitionné l’église de Nyamata, obligeant à ce que chaque célébration ayant lieu dans le sanctuaire soit une célébration pour les défunts et uniquement pour les défunts tutsis massacrés en 1994.

Aux racines du conflit

Dans un conflit ethnique comme celui qui se déroule au Rwanda, la première victime est la vérité. Avant tout en ce qui concerne les accusés. Le Président Bizimungu a dit que Mgr Misago «ne s’est jamais justifié» face aux accusations portées contre lui. Au contraire, de 1996 à aujourd’hui, l’Evêque a subi divers interrogatoires, a accordé des interviews et a écrit des pétitions qui n’ont trouvé aucun écho dans la presse locale et internationale. Le 23 avril dernier, l’Agence Internationale Fides a publié des extraits d’une pétition écrite par Mgr Misago dans laquelle il démontre son innocence. Par exemple, il est accusé d’avoir refusé d’accueillir, le 11 avril 1994, des réfugiés chez lui et de les avoir abandonnés à la merci des tueurs. En réalité, les réfugiés avaient été accueillis par le directeur de la Caritas dans des locaux adéquats (une école proche de la cathédrale), alors que Mgr Misago était absent du diocèse. Le massacre des trente étudiantes dans l’école de Kibeho qui lui est imputé, a été perpétré par des «groupes de génocide» infiltrés dans la police, alors que l’Évêque demandait précisément des renforts aux Autorités, afin qu’elles augmentent le personnel de sécurité et de surveillance. «La responsabilité de ces morts, — affirme Mgr Misago — revient à ceux qui étaient investis de l’autorité, aux forces de sécurité et aux assassins».

Les accusations portées contre Mgr Perraudin sont encore plus invraisemblables. Sa lettre pastorale du 11 février 1959 (de la «haine» selon les accusateurs) est en réalité une lettre qui demande la justice et la charité. On y lit: «Dans notre Rwanda, les différences et les inégalités sociales sont en grande partie liées aux différences de race, dans le sens où la richesse, le pouvoir politique et également judiciaire sont en réalité - dans des proportions considérables - entre les mains de personnes d’une même race». Il soulignait donc le problème de la marginalisation sociale subie par la population hutue, qui constituait la majorité. Il ajoute que «cet état de choses est l’héritage d’un passé que nous ne devons pas juger»; dans le même temps, il demande que soient assurés «à tous les habitants et à tous les groupes sociaux légitimes les mêmes droits fondamentaux». Il apparaît clairement que la propagande politique contre l’Evêque et les missionnaires tente de faire retomber sur l’Eglise (comme une faute) l’œuvre de «politisation des Hutus» (environ 85% de la population) qui aurait conduit à l’écroulement de la monarchie tutsie (environ 12%) à l’époque de l’indépendance, à leur exclusion du pouvoir jusqu’en 1994 et au génocide.

Un aspect inexploré de l’affaire: le double génocide

Actuellement, l’attention de la population est concentrée sur le génocide de 1994. En réalité, il faut constamment préciser qu’il y a eu un double génocide au Rwanda: celui contre les Tutsis (et certains Hutus modérés), perpétré après le 6 avril 1994, qui a provoqué plus de 500 000 victimes, et celui envers les Hutus, à partir d’octobre 1990 jusqu’à la prise de pouvoir par le Front patriotique rwandais (FPR) tutsi en juillet 1994. Ce génocide des Hutus s’est poursuivi ensuite dans la forêt zaïroise, où les fugitifs hutus ont été massacrés pendant des mois, sans même bénéficier de la protection de la Communauté internationale. Le nombre des victimes hutues s’élève à environ un million. Les deux génocides ont été horribles et doivent être tous deux rappelés, sous peine de risquer une propagande unilatérale.

Une justice unilatérale

Aujourd’hui encore, on ne cherche les coupables que de l’un des deux génocides. Les tribunaux ont déjà jugé pour génocide plus de 300 personnes, les condamnant à mort (parmi lesquelles également deux prêtres). De nombreuses sentences et l’administration de la justice en général ont soulevé des critiques de la part d’organisations internationales comme Amnesty International, en raison du manque de garanties accordées aux accusés et des exécutions spectaculaires des condamnations à mort. L’ombre de procès politiques tristement célèbres de certains régimes européens se profile à nouveau à l’horizon, mais cette fois-ci sur le sol africain. Entretemps, les prisons du Rwanda regorgent de détenus: leur nombre s’élève à plus de 130.000. De nombreux détenus meurent des privations ou de l’entassement dans les prisons.

La façon unilatérale dont on œuvre risque d’accroître non seulement la division, mais aussi la destruction du pays. Si la focalisation ethnique croît, après des décennies de focalisation idéologique, non seulement le Rwanda, mais toute l’Afrique risque d’être détruite. Ou mieux: les Africains. Car le continent ses richesses, ses matières premières sont exploités par d’autres, tandis que les peuples africains gaspillent du temps et des vies à se faire la guerre avec des armes fournies par des puissances et des personnes dont les intérêts sont très éloignés de ceux de l’Afrique.

Document 4. Observations à propos de l’article intitulé « Génocide rwandais: dernier acte »

Conférence des évêques catholiques du Rwanda. « Observations à propos de l’article intitulé “Génocide rwandais: dernier acte” ». Kinyamateka n° 1526, juillet 1999 : 8.

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Document 4

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Transcription

CONFERENCE DES EVEQUES CATHOLIQUES DU RWANDA

Kigali 21 Juillet 1999

Secrétariat Général

BP. 357 Kigali/Rwanda

Réf.: C. 36-99

Objet: Observations des Évêques sur l’article sorti dans L’Osservatore Romano du 19 mai 1999

OBSERVATIONS A PROPOS DE L’ARTICLE INTITULE “GENOCIDE RWANDAIS: DERNIER ACTE”

L’article paru dans OSSERVATORE ROMANO le 19 mai 1999 sous le titre “Génocide Rwandais: dernier acte”, tout en ayant le mérite de s’attaquer à une situation problématique, appelle des éclaircissements.

C’est dans ce but que les membres de la conférence épiscopale du Rwanda ont estimé devoir faire les observations suivantes:

1. La campagne diffamatoire contre l’Eglise Catholique existe bel et bien, et nous, Evêques, avons eu plusieurs fois l’occasion d’en parler aux hautes responsables.

La réponse a été le constat commun que nos médias sont au stade où les faits d’interprétations tendancieuses et les procès d’intention se mêlent de façon regrettable. Nous devons déplorer cette tare et chercher les voies et moyens pour y remédier.

2. L’arrestation de S.E. Mgr Augustin MISAGO a été pour le moins précipitée. Les précautions nécessaires pour sa santé ont été prises. Nous suivons attentivement le travail de la justice

3. S’agissant des églises mémoriaux du génocide, les discussions d’une commission mixte Eglise-Etat, ont abouti au compromis de mettre dans les églises désignées, des signes commémoratifs qui favoriseraient la réconciliation et ne nuiraient pas au culte. Ce compromis ne comporte pas une intention quelconque d’accusation ou de ségrégation.

4. Toute suppression d’une vie humaine est absolument condamnable. La tragédie rwandaise de 1994 a été reconnue par la Communauté Internationale comme un génocide. Nous, les Evêques Catholiques du Rwanda, condamnons comme par le passé cette horreur qu’est le génocide. Nous condamnons tous les massacres qui ont endeuillé le peuple rwandais.

Quant à l’affirmation d’un double génocide, elle devrait être étayée par des arguments autres que des estimations approximatives de tueries dont il faudrait en outre prouver la planification.

Nous pensons que l’article a indéniablement le mérite d’aborder un sujet de grande actualité comme celui de l’arrestation et l’incarcération d’un Evêque. Il insiste sur la gravité déjà soulignée par le Saint-Siège. Il nous a paru cependant opportun d’émettre ces quelques observations qui aideraient à mieux percevoir la réalité d’une situation complexe.

Les Evêques Catholiques du Rwanda

1. S.E. Mgr Thaddée NTIHINYURWA, Archevêque de Kigali, Président de la C.EP.R, Sé
2. S.E. Mgr Frédéric RUBWEJANGA, Evêque de Kibungo, Vice-Président de la C.EP.R, Sé
3. S-E. Mgr Anastase MUTABAZI. Evêque de Kabgayi, Sé
4. S.E. Mgr Servilien NZAKAMWITA, Evêque de Byumba, Sé
5. SE Mgr Alexis HABIYAMBERE. Evêque de Nyundo, Sé
6. S-E. Mgr Jean Damascene BIMENYIMANA, Evêque de Cyanguou, Sé
7. S.E. Mgr Philippe RUKAMBA,Evêque de Butare.Sé
8. S.E. Mgr Kizito BAHUJIMIHIGO, Evêque de Ruhengeri. Sé

Document 5. Église catholique du Rwanda : de la tornade à la tourmente

Mwaniwabo. « Église catholique du Rwanda : de la tornade à la tourmente ». La Nouvelle Relève n° 385, 15 juin 1999 : 15-16.

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Document 5

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Transcription

MEMOIRE DU GENOCIDE

L’arrestation de Mgr Misago remet au centre de l’actualité le rôle et les responsabilités de l’Eglise catholique dans l’évolution du pays. Il est évident que pour la justice rwandaise, Mgr Misago répondra des accusations portées contre lui et que son statut pourra donner lieu à des circonstances aggravantes ou atténuantes. Que la justice s’intéresse uniquement aux responsabilités du citoyen Misago, cela va de soi. Mais compte tenu des responsabilités qu’il exerce au sein de l’Église catholique du Rwanda - il est évêque de Gikongoro - l’opinion publique qui, elle, n’est pas tenue par ce carcan juridique, ne peut manquer de s’interroger sur les responsabilités de l’Eglise dans la sélection, le choix et le comportement des pasteurs qu’elle donne au Rwanda et, par delà le Rwanda, aux autres églises d’Afrique.

Les années sont marquées au Rwanda par des conversions massives. Les missionnaires et leurs assistants indigènes (le clergé indigène avait à l’époque un statut inférieur à celui des missionnaires) baptisaient alors à tour de bras. Dans la littérature triomphaliste, on traduisait ce phénomène en disant que “l’Esprit soufflait en tornade”.

Une mission jugera plus tard avec amertume ces conversions massives: “au lieu de christianiser, nous avons baptisé”. Cette réflexion est à ranger dans la catégorie de fausses idées reçues qui ne résistent pas à une simple analyse. La traite négrière et l’esclavage des noirs que l’Assemblée Nationale Française vient de déclarer crimes contre l’humanité sont l’œuvre de peuples de vieille chrétienté. Le nazisme a germé et s’est épanoui dans un pays qu’on ne peut pas identifier avec une terre de missions. Bien d’autres exemples sont là pour réfuter ce refus d’examiner avec lucidité les raisons d’un échec.

Rome a eu la main heureuse en choisissant Mgr Bigirumwami, personnalité de haute stature qui, par l’exemple, a clairement montré qu’on peut être à la fois profondément rwandais et chrétien. Il avait rassemblé au tour de lui des Rwandais de toutes origines, prêtres et laïcs ainsi que des missionnaires, religieux et laïcs, avec lesquels il avait formé des équipes solides qui ont longtemps opposé au couple contre nature du colon et du missionnaire. L’union de ce couple diabolique, représenté au tournant des années 1960 par André Perraudin et le tandem Harroy-Logiest donnera un fruit maudit qui depuis lors n’a cessé d’empoisonner les Rwandais et leurs voisins et divisé le monde en Hutu et Tutsi, considérés, pour les besoins de la cause comme ennemis. Les succès de cette alliance a porté un coup sévère non seulement à la Nation rwandaise mais également à l’Eglise catholique du Rwanda qu’elle a engagée dans une zone de tempêtes. L’Eglise évitera de répéter l’erreur commise en recrutant une personnalité aussi incontrôlable que Mgr. Bigirumwami: on recrutera désormais des personnages essentiellement ternes, médiocres, dociles et parfaitement à l’aise dans le PARMEHUTU de Kayibanda et l’équilibre ethnique et régional de Habyarimana. Théories et pratiques racistes et donc en contradiction avec les préceptes de l’évangile que l’Eglise prêche publiquement: on n’y verra aucune contradiction!

En 1972, un groupe de prêtres hutu, devançant de quelques mois - ou préparant - les massacres de 1973 et la doctrine de l’équilibre ethnique et régional chère à Habyarimana, a adressé une lettre ouverte et un mémorandum à leurs évêques, documents qui ne connaîtront pas le retentissement qu’ils auraient mérité.

Pour ce groupe de prêtres hutu, les Hutu représentent plus de 80% de la population rwandaise tandis que les Tutsi sont moins de 20%. Or, constate ce groupe, ces proportions sont inversées quant aux personnes consacrées. Il faut dès lors rétablir l’équilibre! Normalement, les personnes consacrées sont “appelées”, “élues” individuellement par Dieu. Dieu est donc responsable de cette situation anormale: il n’a pas respecté l’équilibre ethnique dans le recrutement. Quelle a été la réponse des évêques interpellés et de l’Eglise universelle à cette revendication peu chrétienne? Quelle suite pratique a été donnée à cette requête? Quelles responsabilités ont assumées dans la suite des prêtres aussi peu orthodoxes? Quel rôle ont-ils joué dans la préparation immédiate du pogrom anti-Tutsi de 1973 et lointaine du génocide de 1994? Alexis Kagame a interpellé à ce sujet son évêque qui, apparemment, n’a pas jugé utile de lui répondre. Si, conformément aux préceptes de l’évangile qu’elle prêche, l’Eglise avait, à cette époque précise, ramené dans le droit chemin ces brebis égarées, l’évolution du Rwanda aurait pris une tournure plus chrétienne. Occasion ratée qui sera suivie de bien d’autres. Mgr Joseph Sibomana était évêque de Ruhengeri mais il avait tort d’être originaire du sud du Rwanda! Qu’à cela ne tienne, on va le muter à Kibungo et le remplacer par un confrère du cru. L’archevêque de Kigali a été pendant de nombreuses années membre du Comité Central du parti unique qui a érigé la discrimination en système de gouvernement. Non seulement il a souvent troqué sa soutane contre des chemises colorées à l’effigie du président - signes extérieurs - mais il proclame publiquement son adhésion à l’idéologie et aux pratiques du régime dont il couvre toutes les dérives. L’Eglise ne trouve rien à redire à cette collusion entre l’Eglise et l’Etat. A la fin des années 1980, la presse nationale et internationale dénonce les crimes du régime et commence même à parler d’atmosphère de fin de règne. C’est curieusement cette période que choisit l’épiscopat rwandais pour adresser un message de carême lu dans toutes les églises et qui n’est rien d’autre qu’une proclamation officielle de l’allégeance de l’Eglise du Rwanda au régime du Rwanda et à la personne de son Président. “… vous n’ignorez pas que la politique de l’équilibre ethnique sur les lieux de travail et dans les écoles est destinée à corriger cette inégalité qui a pu favoriser les uns au détriment des autres…” Des prêtres, dont le regretté Augustin Ntagara adressent à leurs évêques une lettre, qui, comme bien d’autres lettres restera sans suite, sauf celle d’être inscrits à la liste des ennemis du régime, crime qu’ils paieront de leur vie. “Si l’Eglise ne s’était pas engagée à soutenir à la lettre la politique du pays, mais s’était appliquée à oser suggérer fermement à l’Etat les vrais principes d’une justice sociale, alors elle aurait bien assumé sa mission prophétique… Que de grâce pour confier des charges ou pour recruter des futurs consacrés, l’on se garde de tenir compte des ethnies et des régions (cfr. les fiches d’admissions)…”

Pendant la guerre civile, le Rwanda avait besoin d’une voix forte, claire et unanime de l’Eglise. Certains ont souvent parlé de l’Eglise du silence, ce qui n’est pas du tout vrai car l’Eglise officielle se rangera sagement derrière le régime. On entendra ça et là des voix faibles et isolées parmi lesquelles on peut remarquer le “Convertissons-nous” du presbyterium de Kabgayi. Dans un document du 26 décembre 1990 et destiné à une très large diffusion, le Régional - des Pères blancs au Rwanda n’hésite pas à parler d’ennemis pour désigner les combattants du FPR et surtout dans sa conclusion, il utilise les termes que Habyarimana et les siens affectionnent: “Militairement sans issue pour eux, elles (NDLR les attaques des Inkotanyi) ne font qu’attiser le feu de l’opposition ethnique à l’intérieur du pays. Au profit de qui? Ces attaques ne peuvent que renforcer la ligne hutu dure. Même des hutu modérés finissent par dire que pendant toutes ces années de paix on a trop bien intégré les Tutsi et que ces derniers en ont profité pour préparer la guerre…” Au début de la guerre civile, des expatriés parmi lesquels, les missionnaires constituent une très grande majorité, apportent publiquement leur soutien au régime de Habyarimana. Mgr Misago fera deux sorties remarquées. Avec les grands séminaristes de Nyakibanda, il enterrera dans l’allégresse Fred Rwigema, geste peu chrétien, acte indigne d’un éducateur! Qu’en dit l’Eglise du Rwanda et surtout l’Eglise universelle qui aujourd’hui prend sa défense? Mystère. D’après un confrère à Misago qui rapporte les propos tenus devant le Cardinal Etchegaray, Le Vatican aurait été invité à trouver un endroit où mettre les prêtres et religieux tutsi car la population majoritaire n’en voulait plus. On ne connaît pas la réaction de l’envoyé spécial du Pape à ces propos inattendus dans la bouche d’un prélat, mais faute d’une réponse rapide de la part de Rome, les ouailles de Mgr Misago tout comme les chrétiens d’autres diocèses appliqueront la solution finale.

Quand on parle du nombre d’évêques, de prêtres, de religieux et de religieuses massacrés en 1994, on évite soigneusement de signaler que la grande majorité d’entre eux était tutsi. Le Cardinal a violemment protesté aux “Vive la France” qui lui étaient adressés par la population majoritaire. Il tenait, à juste titre à rappeler qu’il était au Rwanda comme envoyé du Pape et non comme représentant de la France. On ne connaît malheureusement pas sa réaction à la lettre ouverte que lui a adressée le 6 mai 1993, la Jeunesse Estudiantine Catholique de Gisenyi et Ruhengeri. Cette missive aurait mérité de la part du représentant de l’Eglise universelle une réponse sans ambiguïté car son contenu montre clairement que l’on ne peut pas à la fois se proclamer catholique et tenir des propos aussi éloignés des préceptes de l’Evangile. C’est, à notre avis, une autre occasion ratée par l’Eglise.

Au cours d’une émission radio télévisée organisée après l’arrestation de Mgr Misago, un prêtre rwandais, agacé, a fait une réflexion de simple bon sens que les responsables de l’Eglise ont tout simplement ignorée. Je le cite de mémoire. “Si un loup décime votre troupeau de moutons et que celui qui en a la garde s’en tire sans même une égratignure qui montrerait qu’il a lutté contre ce loup, oserez-vous confier à ce pasteur un nouveau troupeau de moutons que vous auriez réussi à reconstituer?”. Ici, il est clair que ce n’est pas le pasteur qui a décimé le troupeau mais le propriétaire des moutons aura au moins perdu confiance dans ce pasteur qui ne produit aucune preuve d’avoir lutté pour protéger les moutons qui lui avaient été confiés.

Après le génocide et les massacres de 1994, prêtres et séminaristes réfugiés dans le diocèse de Goma ont adressé au Pape, deux lettres qui sont le modèle même de missives peu chrétiennes: non seulement l’idéologie du génocide est clairement exprimée mais également le négationisme [sic] est officiellement professée. Qu’a répondu le Vatican? Mystère encore. Quelles responsabilités exercent aujourd’hui au sein de l’Eglise des personnages qui ont ainsi publiquement montré une conception aussi peu chrétienne de leur mission?

Deux tendances semblaient émerger chez les chrétiens du Rwanda et surtout dans l’Eglise. Un courant entendait insister sur la réconciliation des chrétiens en évitant tout examen de conscience de la part des responsables de l’Eglise. Un deuxième courant, estimant qu’un examen de conscience de la part des responsables de l’église était incontournable avait lancé des pistes de réflexion. C’est ainsi que le diocèse de Butare avait lancé des cahiers d’allure fort modeste mais au contenu d’une très grande profondeur. Ces cahiers ne paraissent plus et on se demande pourquoi. Un groupe de prêtres et de laïcs avait lancé une série de publications qui visaient également à réfléchir sans complaisance sur les origines, les causes, les responsabilités dans la tragédie du Rwanda. Ces publications semblent également s’être évanouies sans qu’on sache pourquoi.

L’arrestation de Mgr Misago aurait pu relancer ce travail de réflexion de la part des chrétiens du Rwanda et de tous ceux qui ont pris partie dans le conflit rwandais. La polémique engagée par l’Observatore Romano du 19 mai 1999 commenté par la Croix dans son édition du même jour noua éloigne d’une réflexion sereine et constructive. Comme tout citoyen, un évêque est responsable de ses actes et peut être donc poursuivi par la justice. Mgr. Misago a été arrêté mais pas encore jugé: pourquoi ne pas attendre son procès et, le cas échéant, organiser sa défense conformément aux lois du pays? Pourquoi identifier son emprisonnement avec une persécution de l’Eglise? L’article de l’Obsservatore Romano, non signé, contient une série de contre-vérités. Les chefs d’accusations sont manifestement erronés: “L’évêque est accusé d’avoir participé au massacre de 150.000 Tutsi dans le diocèse…” L’auteur de l’article a oublié de signaler que des démentis sont venus condamner la prise de position faite au nom de la conférence épiscopale burundaise. L’auteur de l’article considère toute la presse rwandaise qui a publié des articles accusant Mgr Misago et l’archevêque de Kigali, Mgr Ntihinyurwa, comme étant “tous contrôlés par le gouvernement”, information qui est erronné. Il aurait fallu produire des preuves plus solides pour la défense de Mgr Perraudin. Il aurait eu intérêt à lire ce que dit de lui le Colonel Logiest qui, lui, a eu le courage de publier le récit de son aventure rwandaise. A notre connaissance, Privat Rutazibwa est toujours prêtre et l’Agence Rwandaise d’Information qu’il dirige n’est pas du tout gouvernementale. On se serait attendu à une position plus mesurée de la part de l’Eglise sur la façon de gérer les églises que les criminels ont transformées en abattoirs d’une population innocente. Ce manque de sensibilité à l’égard des victimes qui avaient cru trouver refuge dans l’église ainsi que la thèse du double génocide et les références aux thèses de Hutu majoritaires et de Tutsi minoritaires ou même de révolution hutu de 1959, du million de Hutu massacrés dans les forêts du Zaïre trahissent l’origine de l’article à savoir les milieux ecclésiastiques proches du Hutu power. Les auteurs de l’article ont été mal inspirés en reprenant l’idéologie qui a détruit la Nation rwandaise que le MDR vient de rejeter et de condamner publiquement après un examen qui, de par son courage, sa rigueur et ta générosité aurait pu servir d’exemple aux responsables de l’Eglise.

Dans cette prise de position faite au nom de l’Eglise universelle, on sent une réaction corporatiste à courte vue et aux abois qui n’avance aucune preuve pour réfuter les accusations auxquelles elle fait référence: Exemple: [l’]Eglise a-t-elle effectivement pris part à la “révolution hutu?” Si oui, comment? Les accusations portées contre Mgr Perraudin sont-elles fondées ou non? Dire qu’en s’attaquant à la personne de Mgr. Misago, on s’attaque à l’Eglise et que surtout on cherche à s’attaquer à tout ce qu’il y a de sacré aurait mérité une argumentation plus solide car, peut-être que le comportement de certains représentants de l’Eglise a précisément fait perdre à l’Eglise son caractère de référence morale. Une lecture attentive du “Convertissons-nous” de Kabgayi apporterait des réponses que les auteurs de l’article de l’Osservatore Romano semblent ignorer.

MWANIWABO(ARI)

Document 6. Monseigneur Misago nie toute responsabilité dans la mort des trois abbés

A. Rwagahirima. « Monseigneur Misago nie toute responsabilité dans la mort des trois abbés ». Kinyamateka n °1533, septembre 1999 : 8.

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Document 6

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Transcription

Tribune libre

Jeudi le 14 septembre, le procès de Monseigneur Augustin Misago, commencé le 20 août 1999, s’est poursuivi à la Chambre Spécialisée du Tribunal de Première Instance de Kigali. Le Président du Siège a omis de donner lecture des 5 chefs d’accusations retenues contre Mgr Misago puisque cela avait été fait au début du procès, lui demandant de produire ses moyens par rapport à sa part présumée de responsabilité dans l’assassinat des trois abbés Canisius Mulinzi, Irenée Nyamwasa et Musoni Aloys (deuxième chef d’accusation).

Suite à un questionnement des juges, Monseigneur Augustin Misago a précisé qu’il connaissait effectivement les trois prêtres mais n’avait pas de détails des circonstances de leur assassinat, hormis certains incidents ayant précédé leur arrestation et dont il a fait le récit suivant: “Au début des tribulations de 94, ces prêtres ont pris refuge chez-moi à l’évêché, je les ai accueillis, je me suis occupé d’eux comme j’ai pu (…)

Par exemple en date du 21 avril 1904, alors que l’évêché de Gikongoro fut l’objet de deux attaques, avant et après midi, d’hommes armés qui voulaient qu’on leur livre les prêtres et les laïcs qui s’étaient cachés dans les enceintes de l’évêché, j’ai affronté seul les agresseurs, les autorités alertées n’intervenant pas, ou pas à temps (…)

J’ai donné mon accord pour que les deniers du culte contenues dans une petite caisse que le curé de la Paroisse Mbuga, Abbé Irenée Nyamwasa avait emportée dans sa fuite, soient cédés aux “assaillants” de l’avant midi, espérant qu’ils allaient nous laisser la vie sauve (…)

Les agresseurs de l’après-midi se sont montrés plus exigeants puisqu’ils demandaient 2 millions de francs rwandais pour qu’ils nous épargnent. En les persuadant que je ne pouvais pas trouver un si grand montant, ils ont accepté au bout du compte d’empocher les 500 000 francs disponibles. Si j’en voulais à la vie de ces gens, je ne me serais pas “dépouillé” de la sorte. Après ces attaques, toutes ces gens qui craignaient pour leur vie sont restés chez moi jusqu’au mois de mai 1994”.

Monseigneur Misago a avoué que sa résistance a été brisée dès lors que des gens sont venus le trouver investis des pouvoirs que leur confèrent les lois rwandaises, allusion faite à la visite du commandant de la Gendarmerie Major Bizimana et de l’officier de police judiciaire qui se sont portés à l’évêché munis d’un mandat d’amener, dans le but de conduire les trois abbés à la brigade de Gikongoro pour les besoins d’un interrogatoire. Après une supplication de l’évêque Misago, le Major Bizimana et son compagnon ont accepté d’interroger les concernés sur place.

Ils sont revenus pour leur faire signer les procès-verbaux de leur audition. Et Monseigneur Misago de ponctuer “Si j’avais quelque chose contre les trois abbés, je ne me serais pas coupé en quatre pour intercéder en leur faveur”.

“Le troisième jour, le commandant de Brigade de Gendarmerie de Gikongoro est revenu à la charge cette fois-ci en forces, avec un cordon de gendarmes qui ont encerclé les bâtiments de l’évêché”, a-t-il poursuivi avant d’ajouter “Quand je lui ai demandé ce qu’ils étaient venus faire, il m’a répondu qu’ils étaient là pour arrêter les trois prêtres, (…) et quand j’ai voulu en savoir plus, ne réalisant pas ce retournement de situation, il a exhibé devant mes yeux des mandats d’arrêt provisoire individuels signés par un certain Celse Semigabo, Procureur de la République à Gikongoro.

Les 3 ecclésiastiques ont eu droit à une provision de 5 000 Frw distribuée par leur évêque et ont été conduits à la Prison de Butare, pour (c’est du moins l’explication qui a été donnée à Mgr Misago quand il a posé la question au Major Bizimana) qu’ils rejoignent les autres prévenus fraîchement arrivés et faciliter ainsi leur garde.

Dans un peu moins de deux semaines, les trois prêtres ont été ramenés en catimini à la prison de Gikongoro où ils furent passés par les armes.

Monseigneur Augustin Misago a affirmé à l’audience qu’il avait téléphoné à l’évêché de Butare pour l’informer du cours des événements (arrestation et mise en prison des 3 prêtres), mais qu’il n’a pas su que les personnes concernées avaient été reconduites à la prison de Gikongoro et qu’elles y avaient été lynchées avouant que l’information ne lui avait été transmise que plus tard le 15 mai par le curé de la paroisse de Gikongoro, l’abbé Edouard Ntaganda.

Après avoir écouté attentivement le prévenu Mgr Misago raconter les proches antécédents de l’assassinat des 3 victimes, le siège lui a posé une série de questions du genre “– Le jour où vous avez subi les deux attaqués, êtes-vous sorti de l’évêché?

–Lors de la deuxième attaque, quelles autorités avez-vous averties pour qu’elles viennent à votre secours et comment?

–Eu égard à la situation qui prévalait, aviez-vous l’espoir que le préfet de Butare allait vous venir en aide?

–Avez-vous reçu une aide quelconque de l’autorité après que l’attaque eût pris fin?

–Pensiez-vous que ces autorités qui n’avaient pas assuré la sécurité des tutsi à Kibeho alors qu’ils les savaient ciblés par les tueurs, alaient voler à votre secours?

–Butare se trouve à 28 kilomètre environ de Gikongoro, qu’est-ce-qui vous a empêché d’aller visiter vos prêtres pour vous rendre compte pour vous-même de leur sort?

–Vous nous avez révélé que le commandant de la brigade de Gikongoro a affirmé détenir des preuves de leur complicité avec le FPR-Inkotanyi, quelle importance ayez-vous accordée à ces allégations, vous semblaient-elles vraies ou fausses ?

–Lorsqu’ils emmenèrent les trois, avez-vous eu le sentiment que c’était dans le but de les interroger ou de les tuer?

Monseigneur Misago a répondu point par point:

Le 21 avril 1994, il n’est pas sorti de l’évêché mais il a téléphoné le Préfet de Gikongoro Monsieur Bukibaruta Laurent pour lui demander des secours (qui ne sont pas arrivés).

A la question de savoir comment il pouvait attendre des autorités qu’elles interviennent alors qu’elles ne l’avaient pas fait lors des tueries de Kibeho, il a répondu par un adage rwandais qui dit que “quand une maison brûle, ses occupants tentent n’importe quoi pour en sortir” (Uhiriye mu nzu ntaho adapfunda imitwe). Pour expliquer pourquoi il n’a pas visité ses prêtres en taule à Butare, il a invoqué le laps de temps très courts entre le jour où ils ont été arrêtés et celui de leur assassinat, ainsi que la situation trouble qui régnait à Gikongoro ajoutant qu’à ce moment, il a estimé qu’ils ne manqueraient de rien tant qu’à l’évêché de Butare habitaient des confrères à eux, des prêtres.

Mais avant qu’ils ne soient embarqués pour être détenus à Butare, Monseigneur Misago avait, comme il l’a expliqué, manifesté sa surprise de voir qu’ils étaient accusés de complicité avec le FPR, alors que celui-ci depuis les accords d’Arusha était une formation politique agréée. Raison pour laquelle a-t-il ajouté, il était difficile de deviner le sort qui les attendait, une considération qui ne peut qu’être brouillée par 5 années de recul.

Après ces précisions de l’accusé, la parole a été accordée à l’officier du ministère public. Il a relaté le déroulement du génocide rwandais et le rôle que Monseigneur Misago y aurait joué.

Il voulait par cette démarche, montrer aux juges comment les agissements antérieurs de Mgr Misago s’inscrivaient dans la logique génocidaire et conduisaient fatalement à la fin tragique qu’a connue les trois prêtres. Mais quand il a commencé de parler des réunions auxquelles Mgr Misago Augustin aurait participée en insinuant que dans ces rencontres il était question de planifier la génocide, un des avocats de la défense, Maître Mutembe a fait remarquer à la cour que ce discours n’avait rien à voir avec l’assassinat des abbés C Mulinzi, I Nyamaswa et A. Musoni. Le Président du siège a ensuite rappelé les parties à la discipline, en précisant que leurs interventions doivent s’en tenir au chef d’accusation qui les occupe tous.

L’avocat A. Rwangampuhwe de la partie civile a ensuite pris la parole pour demander à l’accusé de convenir avec lui sur certaines dates importantes. Pour Me A. Rwangampuhwe les 3 abbés ont été appréhendés le 29 avril 1994, ils ont regagné la prison de Gikongoro le 13 mai 1994 et ont été tués le 14 mai 1999. Mgr A.Misago a affirmé ne plus se rappeler les dates précises pour chaque fait. Me A.Rwangampuhwe a alors voulu rafraîchir la mémoire du prélat, sur l’identité de celui qui l’a informé à propos de l’assassinat des 3 abbés dans la prison de Gikongoro, il voulait qu’il convienne que c’est une religieuse dénommée Sarto et non l’Abbé Edouard Ntaganda qui le lui appris. Mais Mgr A. Misago a persisté à dire que c’est le curé de la paroisse de Gikongoro qui l’a informé, après une confidence lui faite par un geôlier de la prison de Gikongoro, qui était une connaissance à lui.

L’avocat de la partie civile est revenu sur la question de savoir ce qui l’a empêché de rendre visite aux 3 prêtres durant leur séjour à la prison de Butare.

Aux éléments de réponse déjà fournies, Mgr A. Misago a ajouté qu’après leur arrestation, le Collège Marie Merci de Kibeho a connu un problème cuisant de sécurité qu’il fallait aider à résoudre: “Après les massacres des élèves ayant pris refuge dans cet établissement scolaire, les sœurs qui étaient restées devaient être évacuées et placées en lieu sûr, ce qui a été fait”, a-t-il expliqué.

Me A. Rwangampuhwe a ensuite égrené un certain nombre de questions demandant aux sièges de les poser à l’accusé. – “Si Mgr Misago dit avoir donné aux prêtres uns somme de 5 000 Frs de provision chacun pour entre autres acheter du savon pour la lessive, qu’il vous dise dans quelle tenue ils l’ont quitté pour la prison? (…). Qu’on lui demande s’il n’a pas rencontré le Préfet Bucyibaruta avant la période du 29/4/1994 au 15/5/1994.

C’est à ce moment que Me Muligande a fait remarquer à la cour que si chacun formulait des questions à être adressées à l’accusé, on allait pas s’en sortir.

Concernant la tenue des 3 abbés à leur départ de l’évêché, selon Mgr A.Misago, ils sont partis en tenue civile “c-à-dire avec les habits qu’ils portaient sauf pour l’abbé Irenée Nyamwasa à qui on a conseillé d’enlever la soutane (qu’il ne quittait pas ) pour des raisons de commodité.

Pour ce qui est des rencontres avec le Préfet Bucyibaruta, il a avoué avoir vu le Préfet Bucyibaruta à l’école Marie Merci de Kibeho où il s’était déplacé suite au problème de sécurité qui y prévalait. Un des juges lui a demandé s’il n’a pas fait preuve de négligeance en ne téléphonant pas une deuxième fois à l’évêché de Butare pour s’enquérir du sort de ses prêtres et en ne voulant pas en savoir plus long auprès du Préfet, du commandant de gendarmerie et du procureur de la République sur le fondement du mandat d’arrêt provisoire qui a ouvert les portes de la prison pour les 3 membres du clergé.

Non, dit l’accusé, “J’avais tout espoir que l’évêché de Butare était en mesure de leur prodiguer toute forme d’assistance, ensuite il était hors de question de m’adresser aux autorités de Gikongoro, les prêtres ayant été emprisonnés à Butare.

L’audience a été levée après que Me Alfred Pognon ait posé une série de questions destinées à faire comprendre les temps troubles de 1994, de façon à placer la responsabilité présumée de son client dans la contexte. Il voulait prouver que Monseigneur Misago, qui n’avait pas les moyens de s’opposer à ce que des personnes habilitées, avec un mandat d’arrêt régulier arrachent les 3 prêtres à sa protection, pouvait raisonnablement espérer une certaine clémence de la part de ceux-là qui avaient daigné leur épargner la vie lors des deux dernières “visites”, alors ils étaient armés et en position de les liquider.

Cette troisième audience du procès de Misago s’est déroulée sans animosité de la part des deux des parties, du siège et de l’assistance.

A.RWAGAHIRIMA

Document 7. Le rôle de l’Église catholique

Département chargé de la politique et administration du territoire à la Présidence de la République rwandaise. « Le rôle de l’Église catholique ». La Nouvelle Relève n° 388, 15 août 1999 : 8-11.

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Transcription

MEMOIRE DU GENOCIDE

En date du 25 mai 1999, le quotidien officiel du Saint-Siège, L’OSSERVATORE ROMANO, a publié un article intitulé: “Génocide Rwandais: dernier acte”.

A travers cet article, l’Eglise Catholique romaine prend le prétexte de l’arrestation de Mgr Misago Augustin, soupçonné de complicité dans le génocide rwandais, non pour régler les comptes avec son rôle passé dans cette société qu’elle a contribuée à détruire, mais pour faire de la fuite en avant en ne reculant même pas devant des calomnies et des outrances verbales.

L’article de l’OSSERVATORE ROMANO s’ouvre sur une campagne médiatique contre le Rwanda où l’auteur affirme sans ambages qu’une campagne diffamatoire à l’égard de l’Eglise Catholique est en cours au Rwanda “visant à la faire apparaître responsable du génocide de l’ethnie tut si qui a bouleversé le pays en avril 1994”, et “que Mgr Misago n’est que la première victime”.

Tout a été dit par des écrivains de toute sorte, y compris des serviteurs mêmes de l’église non suspects d’hérésie ou d’arrière-pensées, sur le rôle divisionniste de l’Eglise Catholique dès son implantation au Rwanda jusqu’à nos jours. Le plus étonnant est qu’à l’occasion de ces témoignages, l’Eglise Catholique ne s’est pas sentie diffamée, ni n’a remis en cause les accusations qui ont été portées contre elle. Epingler le pouvoir actuel au Rwanda, qui n’a de tort que d’encourager la réconciliation entre les Rwandais après avoir stoppé le génocide, prouve que, comme de par le passé, l’Eglise Catholique est déterminée à éliminer toute autorité qu’elle n’a pas mise en selle et qui n’évolue pas sous son ombre.

Depuis le Roi Musinga qui lui a résisté dans les années vingt et qui a été banni pour cela, puis son fils Rudahigwa intronisé par elle, qui fut longtemps sa coqueluche tant qu’il était son homme à tout faire, avant de tomber en disgrâce perdant au même moment le pouvoir et la vie, puis le Roi Kigeli qui lui fut imposé de façon inopinée par un agitateur, sur la tombe même de son prédécesseur, avant que celui-ci n’y soit descendu et qui de ce fait ne pourra régner; puis le Président Kayibanda, leur créature, qui eut le malheur de démériter et mourut comme un chien; jusqu’à Habyarimana surnommé la “sainte n’y touche” (MASENGESHO), leur favori, et qui, comme on s’y attend, fut le pape du génocide; l’Eglise Catholique n’a cessé depuis qu’elle a mis les pieds au Rwanda, de faire et défaire le pouvoir au grand dam des “sauvages” de ce pays.

Dans son livre, “Mission au Rwanda” (Hâtier 1988), le Colonel Belge Guy Logiest, qui se vante d’être l’instrument de “la révolution assistée” hutu de 1959, en collaboration avec l’Eglise Catholique, dit en particulier: Au Rwanda,

“L’administration indirecte n’existait que de nom. En choisissant de favoriser une race minoritaire qu’elle intégrait dans l’appareil du pouvoir, la Tutelle, contribua à créer les conditions d’un conflit racial qu’elle fut incapable de prévenir. Les Hutus se sentirent discriminés… Pendant de longues années, la Tutelle et les missions ont œuvré, la main dans la main, au point que pour le peuple, l’une et les autres se confondaient en un même pouvoir; un pouvoir qui soutenait et développait l’ascendant de la caste tutsi…” (pp.89,95).

Remarquons que du dire de l’auteur, la Tutelle et les missions religieuses créèrent les conditions d’un conflit racial qu’elles ne surent pas gérer et que ce sont elles qui soutenaient et développaient la thèse de la supériorité Tutsi en traitant les Hutus d’êtres humains de sous ordre. Le livre du Col. Logiest est à la fois un aveu, sans repentir, et une accusation.

Mais son témoignage est loin d’être isolé, bien au contraire. Ecrivant avant lui en tant qu’historien de profession et témoin de ce qu’il voyait de ses yeux, l’Evêque Louis de Lacger disait en 1949, dans son livre “Le Rwanda Ancien”:

“Le Rwanda se révéla aux Européens, à leur grande surprise, il y a quelques cinquante ans, dans la forme d’un état unitaire, organisé hiérarchiquement, amalgamant en un corps homogène des populations disparates, bref d’une entité politique comparable à celle des pays civilisés… Les indigènes de ce pays ont bien le sentiment de ne former qu’un peuple, celui des Banyarwanda, qui a donné son nom au territoire… Le sentiment national ne se fonde pas uniquement sur le loyalisme dynastique, mais encore sur les éléments qui lui sont antérieurs: L’unité linguistique, … l’unité d’institutions, de coutumes, et d’usages dans la vie privée, la vie sociale et la vie publique, entre les citoyens de races et conditions différentes; l’unité religieuse enfin. Il est peu de peuple en Europe chez qui se trouvent réunis ces trois facteurs de cohésion nationale: une langue, une foi, une loi (pp. 36, 37, 68).

Cette nation, car c’est comme cela qu’il faut appeler ce qui vient de nous être décrit, qu’est-elle devenue, après cent ans de civilisation européenne et de christianisme?

Alors qu’au départ des habitants de ce pays s’identifiaient comme des Banyarwanda, aujourd’hui les uns en sont venus à s’identifier comme des Hutus, les autres comme des Tutsis. Pis encore, le génocide qui, on s’en doute, n’a pas ses germes dans pareille société, a failli engloutir le Rwanda et son peuple en 1994.

Cette société “… est le fruit de la domination hamite”, ce qui veut dire dans le contexte rwandais, la domination des Tutsi, spécule de Lacger (idem, pp.68). Et de continuer à élaborer sa théorie:

Les Batutsis, (sont) une branche des Kouschites. Ethiopiens ou Hamités… Ces seigneurs bouviers ou vachers, qui sont-ils et d’où viennent-ils? Quand on arrive de la Haute Egypte ou des plateaux d’Abyssinie au Rwanda, on les reconnaît tout de suite… Ils ont le type caucasique et tiennent du sémite de l’Asie antérieure. Mais ils sont noirs de teint, parfois cuivrés ou olivâtres… Avant d’être ainsi négritisés, ces hommes étaient bronzés… L’histoire de ces propriétaires de bovins se perd et l’on ne peut préciser la contrée où s’opéra leur négritisation... (idem pp.56., 57)”.

L’évêque écrivain ne s’embarrasse pas de prouver comment et quand ces “blancs” caucasiens sont venus et sont devenus noirs. Dans son récit, la part de la fabrication et du réel tombe cependant aisément sous le sens.

La réalité qu’il observe et qui jure avec son élucubration, la voici, marquée bien sûr par ses partis pris:

“Le terme mututsi ne désigne plus aujourd’hui aussi exclusivement qu’à l’origine les “bien nés”, les eugéniques, ni même les métis qui se prévaudraient d’une hérédité supérieure... Mututsi et Muhutu sont des mots qui tendent à perdre leur sens proprement racial et à n’être plus que des qualificatifs, des étiquettes, sous lesquelles se rangent capitalistes et travailleurs” (pp.59,60).

Notons en passant que le choix du terme “race”, appliqué dès cette époque aux Hutus et aux Tutsis, n’est pas une pure coïncidence car précisément le projet du colonisateur et de l’église est de démontrer que la race blanche, à travers ces prétendus descendants que sont les Tutsis-Koushites, est responsable du bon ordonnancement de la société rwandaise, “contrairement aux Hutus Nègres: incapables de réalisations valables”. En fait, la théorie stipule que “Everything of value found in Africa was brought there by the Hamites, allegedly a branch of the caucasian race” (E.R Sanders, in Pouvoir et Droit au Rwanda par Filip Reyntjens. p. 103).

Rappelons enfin que d’après la généalogie juive, Kousch est le descendant de Cham, Ham en anglais (d’où le terme hamitique) qui est le frère de Sem, père d’Abraham. Ainsi les Tutsis sont non seulement considérés comme des “blancs”, mais encore les ancêtres de Jésus, le Messie: de quoi enchanter les missionnaires.

Les Européens - et il n’est plus besoin de distinguer entre l’administration coloniale et l’église catholique - entreprirent de faire correspondre la réalité à leur théorie. En 1926, par le Plan Mortehan, ils supprimèrent l’administration traditionnelle qui comprenait toutes les composantes de la population et décidèrent que seuls les Tutsis serviront dans l’administration coloniale et comme d’auxiliaires des missionnaires. Le Représentant de l’église, Mgr Classe, définissait ainsi cette politique:

“...Le plus grand tort que le gouvernement pourrait se faire à lui-même et au pays serait de supprimer la caste Mututsi. Une révolution de ce genre conduira le pays tout droit à l’anarchie et au communisme haineusement anti-européen. Cette révolution sera une révolution désastreuse parce que destructive et sans force pour reconstruire. Avec la jeunesse Mututsi, nous avons un élément incomparable de progrès. Avides de savoir, désireux d’imiter les européens… Il faut se rappeler qu’ils ne sont pas des Bantus. Puisqu’ils aiment savoir et sont capables de réflexion, pourquoi ne chercherait-on pas davantage à les former...? Chefs-nés, ceux-ci ont le tact, le savoir-faire, le sens du commandement” (in l’Essor Colonial du 21 décembre 1930).

Pour en faire des auxiliaires efficaces, l’église et la Tutelle réservèrent aux Tutsis le monopole de l’administration. Comme dans tous les systèmes de ségrégation raciale, la prétendue supériorité raciale doit être promue en fait et assurée par des institutions ad hoc. Mgr Classe précise par ailleurs:

“Encourager le mouvement mututsi vers la mission, c’est l’avenir de la religion qui est en jeu. Donc développer l’école tutsi. lui donner la plus grande attention et de vrais soucis, cela sera le moyen de garder cette jeunesse chez nous. Mais il faut que l’école marche, soit une véritable école où ces jeunes progressent”. (In La Christianisation du Rwanda 1900-1945, Paul Rutayisire, Université de Fribourg, Suisse, 1987, p.294).

L’Eglise Catholique se servit donc de l’école et de la discrimination pour assurer la conversion des Rwandais. Les écoles laïques, apparues plus tard, étaient en fait calquées sur le même modèle et poursuivaient les mêmes objectifs. De plus, elles étaient aussi entre les mains des missionnaires. Leur but était:

“… d’instruire et éduquer les fils des Chefs afin de les préparer aux devoirs de leur charge et d’en faire ainsi des auxiliaires éclairés de l’administration; de former des moniteurs pour les écoles du gouvernement; d’instruire les Batutsi, dont les parents n’exercent pas de fonction de chefs et de sous-chefs, pour en faire des clercs”. (in Christianisation du Rwanda, op. cit.p.296).

Ainsi, tout au début, l’école fut réservée exclusivement aux Tutsis. C’est plus tard que viendra l’école des Bahutu dont Mgr Classe dira:

“… l’école des Bahutu est nécessaire pour former les catéchistes, maîtres d’écoles, répétiteurs et pour instruire, et former la jeunesse en général… L’école des Batutsi, doit avoir le pas sur celle des Bahutu. C’est elle que le père chargé des écoles doit avoir le plus à cœur de développer. Elle prépare l’avenir en nous gagnant les futurs chefs, en gagnant les parents et le gouvernement... Elle doit passer avant celle des Bahutu, et le père chargé des écoles doit y aller chaque jour”, (in Gamaliel Mbonimana: l’instauration du Royaume Chrétien au Rwanda 1900-1931, Univ. Catholique de Louvain 1981, p.127).

Mgr. Classe poussa la discrimination raciale jusqu’à prescrire l’endogamie: il fallait admettre les jeunes Tutsi au baptême:

“qu’étant en règle pour le mariage, c’est à dire mariés ou fiancés à des filles chrétiennes ou catéchumènes de leur ethnie” (P. Rutayisire, op.cit.p.346). L’auteur ajoute “... Nous ne pouvons pas dire avec précision, si ces directives ont favorisé ou pas 1’endogamie parmi les Batutsi dirigeants. Mais on ne peut pas exclure l’hypothèse selon laquelle elles ont provoqué la conversion de la gent féminine de cette catégorie sociale”. (id,).

Il faut dire que dans ce régime d’apartheid belgo-catholique, les théories scientifiques, les définitions sociologiques, les sacro-saints principes de la Bible se plient aux intérêts opportunistes. Dès le début, le terme “Tutsi”, particulièrement dans la bouche et sous la plume de Mgr Classe, signifie les grands Chefs. Mais l’irrationnel le dispute à l’absurde car au moment d’établir des cartes d’identité ethniques, il y aura d’autres critères de définition.

L’église et la Tutelle réinventent donc l’histoire du Rwanda. Celui-ci, à leur dire, n’a jamais été la patrie des Rwandais mais est présenté, dans les discours et les faits comme ayant été de tout temps une colonie des “Koushites Tutsi”, devanciers des missionnaires, sur les Nègres Hutus-Bantus.

Les Rwandais, depuis la résistance armée aux Européens à Shangi en 1895, qui avait tourné au désastre, subissaient docilement le sort du vaincu. Le vainqueur mettait donc le pays en coupe réglée en détruisant la Nation. Dans les années vingt, un seul homme continua à faire tête à l’ordre nouveau de l’église et de la Tutelle: le Roi Musinga. Selon la théorie il devait être le premier des “Kouschites”, “intelligent, droit, vertueux, assuré de régner!”

Car suivant l’administrateur belge Ryckmans:

Les Batutsis étaient destinés à régner… leurs qualités et même leurs défauts les rehaussaient encore. Fiers…, se laissant rarement aveugler par la colère… rien d’étonnant que les braves Hutus, moins malins, plus simples, se soient laissés asservir…”.

On peut dire que l’église et la Tutelle traitèrent le Roi Musinga, au propre et au figuré, comme le dernier de leurs Hutus. Sa résistance lui valut le banissement et des propos durs dont l’auteur n’est autre que Mgr Classe:

Musinga: “Un triste Sire! Il faut débarrasser le Rwanda de Musinga. Il n’y a pas à se faire d’illusion: Musinga est entièrement anti-européen, et il le restera, malgré tous les efforts pour le faire changer de mentalité. Au point de vue moral, il est au dessous de tout ce qui peut s’imaginer…” (Essor Colonial, op.cit).

Son bannissement, aurait dû ouvrir les yeux à ceux qui ont gobé aveuglément ta théorie hamite des missionnaires. Il n’en fut rien.

De notoriété publique, le régime que l’église et la Belgique établirent sur le Rwanda depuis 1918 jusqu’en 1962 fut atroce. Elles imposèrent d’excessives corvées et des châtiments corporels dégradants à tout le peuple Hutu et Tutsi, à l’exception de quelques tutsi instruments de l’ordre catholico-colonial. Tout cela se faisait évidemment dans une atmosphère caractérisée par le discours hamite: ce qui ajouta à la confusion.

Les corvées étaient exécutées même au bénéfice de l’église. D’abord pour construire des églises et établir des missions. Pour ensuite effectuer des conver­sions, car celui qui embrasse la nouvelle religion est sauvé des corvées.

Un des Pères Blancs, assez rares, célèbres pour avoir fustigé ces pratiques, fut le P.Hellemans qui estimait qu’on avait agi “beaucoup par les chefs” et que “les candidats au baptême espéraient l’exemption des corvées”, P.Rutayisire, p.354.

L’on ne peut pas comprendre l’histoire du Rwanda sans l’analyse des corvées, et la marque que celles-ci ont laissé sur les mentalités. Elles étaient administrées par la tutelle et l’église avec le truchement des hommes de paille Tutsis. Ce que celles-là exploiteront sans vergogne quand sonnera l’heure du retournement des alliances par la crosse et la croix, dans les années cinquante.

Les corvées étaient un travail forcé, non payé, imposé à tout adulte du Rwanda. Elles étaient imposées pour construire des infrastructures routières, des bâtiments publics, les églises et les maisons des missions, les écoles, les centres de santé. Elles servaient aussi pour lancer des exploitations nouvelles de café, de pyrèthre, etc…

Ce travail était accompagné d’un impôt excessif du contribuable, soit retiré de l’économie traditionnelle, soit du travail rémunéré, que beaucoup de Rwandais furent obligés d’aller prester dans les colonies britanniques. Ledit travail était accompagné de prélèvement en nature, sans contrepartie, que les gens ordinaires devaient payer aux administrateurs blancs, à leurs auxiliaires blancs ou Tutsis ou aux Chefs.

Dans ce système où, pour reprendre la langage d’aujourd’hui, la violation des droits de l’homme, jusqu’aux droits élémentaires, était institutionnalisée toute personne nantie de la moindre parcelle d’autorité commettait des abus sans restriction. Ainsi l’Historien Kagame dira-t-il ceci dans son livre: “la notion même du travail devint synonyme de corvée”.

Quand, plus tard, l’église et la Tutelle changèrent de langage et de pratique en disant cette fois-ci que “les Hutu étaient nés pour gouverner”, le régime des corvées allait être exploité démagogiquement en mettant le tout, non sur le dos des seuls Tutsis qui avaient collaboré avec l’église et la Tutelle, ce qui eut été du reste une franche absurdité, mais sur tous les Tutsis et malicieusement sur la société traditionnelle, ce qui est le comble de la malice et de la cruauté. Il était en particulier affirmé que la féodalité “traditionnelle” avait écrasé les Hutus de corvées dites encore Ubuhake.

Le démenti à ce mensonge sera apporté de l’intérieur du système par Mgr Classe lui-même.

“…pour avoir cette vache tant désirée; le pauvre hère ou le riche, pour augmenter le nombre de ces bêtes, va comme on dit dans le Rwanda, guhakwa chez un plus fortuné, mututsi ou muhutu qu’ils soient eux-mêmes Batutsi ou Bahutu, car une vache de plus n’est jamais dédaignée... C’est en réalité un contrat bilatéral et pour cela les redevances ou une obligation du Mugaragu; nous ne les regardons pas comme des corvées: c’est volontairement que l’umugarugu s’y soumet; il le sait”. (Mgr Classe;op cit.).

Les corvées non payées assurées par des châtiments corporels ignobles ou par la crainte de bannissement ont donc été imposées par l’église et la Tutelle.

Puis vint donc le tournant des indépendances. Nul mieux que le Colonel Logiest n’a exprimé de façon saisissante comment son pays et l’église catholique opérèrent la volte-face de façon cruelle et opportuniste. Citant le R.P. Monsmans, il dit:

“… La formule de collaboration qui a été suivi fidèlement jusqu’ici (1956) risque de faire apparaître l’église comme ayant partie liée avec le gouvernement. S’il devait en être ainsi, l’église serait rendue solidaire des inévitables erreurs: bref de tous ces éléments, qui blessent les autochtones au plus intime d’eux-mêmes. On en arriverait à ce que l’église soit considérée comme étrangère…”, (op.cit.p 96).

C’est alors que les évêques du Congo Belge et du Rwanda-Urundi se réunirent à Léopoldville en 1956 et déclarèrent l’égalité de toutes les races devant Dieu.

“Parce qu’ils se préoccupaient déjà de l’après-colonialisme. Il s’agissait du maintien de l’église catholique en Afrique. Cette position fut reprise encore davantage dans la lettre pastorale pour le carême de 1959 de Mgr Perraudin, laquelle rappela les devoirs des croyants notamment celui d’admettre l’égalité des races devant Dieu; cette volte-face ne pouvait qu’être favorable aux partis Hutu…” idem, p.98.

La Belgique adopta la même stratégie que l’église, avec le même souci de sauver les meubles. Encore une fois l’église et le pouvoir colonial se retrouvèrent ensemble en se rangeant démagogiquement et tactiquement du côté de la masse des Hutus et en jetant l’opprobre sur les Tutsis qui étaient soi-disant responsables de tous les malheurs des premiers. Pendant plus de soixante ans, l’église et le colonisateur avaient écrasé les Hutus après les avoir déclarés des êtres inférieurs, des citoyens de seconde zone, des serfs. En 1959, la crosse et la croix avaient déjà fini par se liguer pour se disculper en organisant l’extermination des Tutsi qui a commencé par ce que le dernier Gouverneur Mr. Harroy a qualifié lui-même “de révolution assistée”.

Elle aura lieu en novembre 1959, trois ans environ avant l’Indépendance formelle du Rwanda. Cette extermination culminera avec l’hécatombe de 1994. Et qui s’en étonnera puisqu’en 1961, les délégués de l’ONU, observant ce que la Belgique et l’église venaient de mettre en place, écrivaient dans leur rapport: “qu’une dictature raciale d’un parti avait été établie au Rwanda…”, puis que “les développements des 18 derniers mois indiquaient une transition d’un régime oppressif vers un autre”.

Ainsi donc, on ne peut pas reprocher à Mgr Perraudin d’avoir déclaré au nom de l’église catholique du Rwanda en 1959 que toutes les races étaient égales devant Dieu et que l’oppression devait prendre fin. Ce qu’on en est droit de se demander c’est:

(a) Qu’est-ce qu’il avait attendu auparavant pour s’en rendre compte et quelle est son intégrité morale ou sa crédibilité, lui dont le passé et l’institution avaient partie liée avec es injustices “raciales”?

(b) Son institution, l’Eglise, et le Pouvoir Colonial étaient sans conteste les auteurs des inégalités et des injustices sociales. Mgr Perraudin, qui était l’Archevêque n’est pas intellectuellement si peu développé au point de confondre le pauvre paysan Tutsi contre qui il a canalisé la colère populaire avec des vrais responsables des maux sociaux qu’étaient son Eglise et l’ordre colonial.

(c) Le Bureau du PARMEHUTU, nouveau parti ethniste comme il s’entend, avait ses bureaux chez Mgr Perraudin à l’Archevêché de Kabgayi. Le journal catholique Kinyamateka, qui embrasa littéralement le pays et garda jusqu’à ce jour le ton partisan, et L’AMI, lui aussi d’obédience catholique et instrument de propagande partisanne, le fameux Manifeste des Bahutu de 1957 et enfin, les tracts appelant la population à la violence et distribués par les avions militaires belges, tous ces écrits qui ont mis le pays à feu et à sang en 1959, étaient préparés et imprimés à l’Archevêché de Kabgayi.

Car “il est un autre domaine où les missions Catholiques ont joué un rôle capitale: celui de la Presse…”, (Logiest op.cit.p.98). Cette propagande de l’église était évidemment la falsification de l’histoire. Elle présente le Rwanda ancien, comme il a été indiqué, sous les couleurs de la féodalité honnie qui avait écrasé les Bahutus par des corvées: la féodalité, l’ubuhake. Et c’est au non de cette falsification que Mgr Perraudin ainsi que le dernier gouverneur belge, Mr. Harroy, ont mené leur soi-disante révolution.

Pourtant c’est M. Harroy, bien sûr de concert avec le clergé blanc, qui avait signé le décret du 14 juillet 1952 régissant la mise en place du Conseil Supérieur du pays ainsi que les Conseils des Territoires, des Chefferies, des sous-Chefferies composés de “Notables” en majorité Batutsi. Mgr Alexis Kagame décrit la situation politique qui prévalait en 1952 en ces termes:

En fait, il n’y a pas, dans ce système, qu’un seul et unique électeur, le Sous-Chef. Celui-ci, en plus de ce privilège lui octroyé, dispose d’une arme efficace extra-électorale: il accuse, juge et punit. Il n’y a donc aucun danger que l’un oui l’autre des “Notables” élus en arrive à penser autrement que son unique électeur de base. Et tous les droits concentrés dans le Sous-Chef le sont au superlatif à l’échelon du Chef de Chefferie. On pourrait développer des raisonnements analogues sur chaque échelon de ces conseils…” (A. Kagame: Un Abrégé de l’Histoire du Rwanda de 1852 à 1972, Butare, Editions Universitaires du Rwanda, 1975, pp225,226).

L’auteur montre plus loin que:

“… Les résultats de la “consultation populaire” du 30 septembre 1956, (émanant du décret du 14 juillet 1952) démontrent clairement combien le système installé était foncièrement immoral. Sur les 6051 Bahutu (66,72%) et les 3223 Batutsi (33,08%) à l’échelon de Sous-chefferie, en passant par une proportion presque honnête aux échelons de chefferie et territoire, on aboutissait à un Conseil Supérieur du pays composé d’un seul Muhutu sur 31 Batutsi” (cfr Rapport de la Comission d’Enquête au Rwanda en 1960, p. 14).

Il est à peine croyable que les fonctionnaires de l’Administration tutrice, les seuls et uniques responsables de l’anomalie - puisque seuls législateurs et initiateurs attitrés aux principes démocratiques, -soient restés impassibles et satisfaits de tels résultats. Dans le cadre des luttes qui s’amorçaient, l’on est en droit de se demander s’il ne s’agissait pas d’un moyen prémédité propre d’accélérer le pourrissement de la situation au détriment des Batutsi” (idem, pp.236,237). Comme rappelé plus haut ces iniquités seront mises sur le dos des Tutsi et de la société traditionnelle.

 

D’abord par Mgr Perraudin:

Dans notre Rwanda, les différences et les inégalités sociales sont pour une grande part liées aux différences des races, en ce sens que les richesses, d’une part, et le pouvoir politique et même judiciaire d’autre part, sont en réalité, en proportion considérable - entre les mains d’une même race. Cet état de choses est l’héritage du passé que nous n’avons pas à juger. Mais il est certain que cette situation de fait ne correspond plus aux normes d’une organisation saine de la société Rwandaise et pose, aux responsables de la chose publique, des problèmes délicats et inéluctables” (idem,p.247).

 

Par Mr. Harroy ensuite:

“Ma première affirmation sera qu’il y a un problème: le conflit Tutsi-Hutu...Mais le problème est indéniable en ce pays d’inégalités des conditions auquel il est nécessaire d’apporter des solutions… Cette situation, une fois reconnue, les chiffres font alors apparaître que, état de fait, le groupe social Tutsi détient un pourcentage très élevé de ces postes officiels…” (idem. pp.241,242).

(d) Les tueries de 1959 ont forcé les rescapés des massacres à l’exil pour plus de 35 ans d’où il leur était refusé de revenir. Mgr Parraudin ignorait-il cette situation ou cette situation correspondait-elle à son “égalité des races”? Depuis 1959 jusqu’en 1973, l’église, sous la férule de Mgr Perraudin va marquer de son empreinte la vie sociale et politique du Rwanda, en faisant de ce pays un hutuland.

A la veille de la révolution de palais de 1973, un autre homme d’église, l’Abbé Naveau, belge de son état, fut mis à la tête de ce qu’on a appelé le Comité du Salut Public pour manipuler encore une fois les masses rwandaises sous couvert d’une autre “révolution”. Ce comité sillonna le pays, prêchant que les Tutsi étaient encore en surnombre, qu’il fallait les éliminer. Ce qui fut fait. Bien entendu, l’on a jamais vu Mgr Perraudin et l’église lever le petit doigt. Et pour cause!

Comme on le voit dans tout ce qui précède, l’église catholique joua un rôle terriblement destructeur d’un bout à l’autre de l’histoire douloureuse du Rwanda. Elle sema les grains de haine et de destruction dont le génocide n’a été que l’aboutissement direct. Dans ce qui précède aussi, nous avons largement laissé la place aux autres pour raconter la mise à mort de la nation rwandaise. En ne répétant que ce que les autres ont dit ou écrit avec autorité comme le fait le gouvernement rwandais aujourd’hui, comment pouvons-nous être accusé de diffamation envers l’église catholique? Malheureusement celle-ci n’est pas encore revenue de ses errements passés.

La dernière épisode de l’extermination des Tutsis date de 1994. Le coup d’envoi avait été donné dès octobre 1990. Dans un simulacre d’attaque de la capitale de Kigali par le FPR dans la nuit du 4 au 5 octobre 1990, le gouvernement Habyarimana ratissa tous les Tutsis de Kigali, la capitale, qu’il traita alors d’ennemis ou d’infiltrés. Ceci fut répété dans tout le pays. Pas de condamnations de la part de l’église!

En 1992, le régime multiplia des massacres des Batutsi et Bagogwe à Kibilira, Ruhengeri, Gisenyi, Bugesera et Kibuye et partout dans le pays. Pas un mot de la part de l’église. Au contraire les Evêques Rwandais ont écrit à leurs collègues français:

“L’agression dont, le Rwanda a été victime a été présentée comme une tentative des réfugiés pour revenir dans leurs pays d’origine… nous savons que sous ce prétexte, il y a principalement l’ambition d’un groupe féodo-monarchiste de renverser le pouvoir actuel et de restaurer un régime rejeté par la plus grande majorité de la population”.

En disant cela, l’Eglise se situe toujours du côté de son revirement de 1956, dont on a vu ce qu’il vaut, et plus précisément, de façon outrancière et démagogique, d’un seul côté de la société rwandaise.

Et les missionnaires, dans leur fax du 23 mars 1992, alors que la chasse aux Tutsis battait son plein dans certaines parties du pays, disaient au Vatican:

“… C’est l’heure de la chasse aux fauteurs de troubles. Il est faux de dire qu’à l’heure actuelle les massacres des Tutsis continuent”.

L’autre événement important dans la marche vers la “solution finale” a été les dix commandements des Bahutu calqués sur les dix commandements de la Bible (Exode chap.20). Mais en fait les dits commandements des Bahutu, c’est la Bible de la haine. L’église s’est tue. Et enfin, préludant à la préparation finale, le document de l’Etat Major de l’Armée définissait comme ennemi devant être neutralisé, tout Tutsi de l’intérieur, de l’extérieur et tout Hutu marié à un Tutsi, tout opposant. L’église s’est encore tue.

Il n’est donc pas étonnant qu’au lendemain du déclenchement des massacres en 1994, les évêques catholiques se sont bornés à dire qu’ils “… condamnent les actes de violence, du crime commis par ceux qui agissent sous le coup de la colère, du chagrin et de la vengeance” (Communiqué du 10 avril 1994). Et quand l’un d’entre eux, l’Evêque Phocas Nikwigjze déclare qu’au moment du génocide les gens d’Eglise doivent oublier qu’ils sont chrétiens et agir tout comme un chacun, on n’a jamais vu le Vatican s’indigner.

“… Dans une telle situation, tu oublies que tu es chrétien; tu es alors humain avant tout. Ces Batutsi étaient des collaborateurs, des amis de l’ennemi, il fallait les-tuer” (Golias, os 48/9,1996 (45).

Quatre vingt quinze pour cent (95%) des églises ont servi de boucheries pour les Tutsi et d’autres Rwandais qui ne soutenaient pas le génocide en 1994. Pour certaines églises comme celle de Nyange, les prêtres ont même ordonné que ces immenses églises construites par les Rwandais sous le régime de la corvée soient écroulées par des caterpillars sur des milliers de fugitifs, trois mille dans le cas de Nyange, dont pas mal de chrétiens, qu’y avaient trouvé refuge.

De telles situations bien entendu, n’ont appelé aucun mot de pitié ou un geste de solidarité en faveur des victimes de la part du Vatican. Et si Vatican s’accommode de ce que ces églises aient servi de boucherie pour les victimes du génocide, pourquoi se demandait-il que ces églises sont transformées en ossuaires puisque les os y sont déjà de toute façon?

Et comment le Vatican s’indigne-t-il que ces églises servent d’ossuaires pour une seule ethnie alors que personne n’est allée discriminer les os des Hutus de ceux des Tutsis, qui y sont tombés? Ce qui avait été demandé et qui avait été accordé par le clergé local, c’est que ces lieux de culte, transformés en lieux d’exécution, gardent tout au moins quelques uns, des signes qui serviront de mémoire pour des générations futures! On s’étonnera de la position radicale, “raciste” et insensible du Vatican à ce sujet.

Quant à la théorie du double génocide, en le répétant, le Vatican ne fait que ressasser les outrances de François Mitterrand proférés dès le début des tueries en 1994 pour brouiller la réalité. Nul ne doute que le Vatican, tout comme F. Mitterrand n’est pas loin de penser aussi que ce génocide sur les Africains est un “génocide sans importance”. Vu tout son passé chargé au Rwanda, on s’en étonnera pas. Avant, durant et après le génocide, l’Eglise catholique au Rwanda affiche une continuité et un acharnement s ans faille: de quoi pleurer pour ce pays.

Réaction élaborée et préparée par le Département Chargé de la Politique et Administration du Territoire à la Présidence de la République Rwandaise, B.P. 15, Kigali, Tél: 84085 (Centrale), 85391 (Bureau), Fax: 84390)

Document 8. Génocide et liturgie

Jean-Pierre Karegeye, « Génocide et liturgie ». La Nouvelle Relève, n° 384, 30 mai 1999 : 11-12.

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Document 8

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Transcription

MEMOIRE DU GENOCIDE

“J’enterrais, quand j’en voyais, les cadavres de mes compatriotes, jetés par-dessus les remparts de Ninive” TOBIE.

Introduction

Le monde a perdu le sens des symboles et du divin pendant le génocide. Il dégénère aussi le sens de la liturgie. Cette dernière concerne, au delà des rites, la vie de toute la communauté chrétienne. Que peut faire dans ce contexte la liturgie dans la vie des Africains confrontés à plusieurs problèmes? Peut-elle répondre aux défis de la réconciliation au Rwanda après le génocide?

Une image insolite, suggestive parue dans un numéro de Jeune Afrique (Nous citons de mémoire) relative au Rwanda présente un bourreau qui tend la main à sa victime sous la tombe en signe de réconciliation traduit un scepticisme sur le sens de la réconciliation. Au fond, la caricature questionne sur les conditions de possibilité d’une réconciliation entre les vivants et les morts. Les rescapés -traumatisés et mutilés- continuent à ensevelir les fragments d’os des leurs et réclament une réconciliation assise sur la justice. Ailleurs, on estime que la réconciliation n’est possible que si l’on oublie le passé. On pense aussi que “déterrer les morts c’est déterrer la haine”. Ce qui signifie que les corps jetés dans des fausses communes [sic] ne méritent pas une sépulture. Les cérémonies commémoratives au sens général, les funérailles, les suffrages pour les défunts peuvent participer dans l’œuvre de la réconciliation. Le génocide, comme tout crime, s’inscrit dans les plus graves péchés. C’est un refus de Dieu. En tant que tel, il rend difficile la liturgie comme célébration de l’alliance. La réconciliation renvoie ainsi au rapport entre l’homme et Dieu. Les crimes ont été commis par des chrétiens dans des Eglises dans la plupart des cas. On dénombre plus de 200 prêtres tués. La réconciliation est aussi dialogue dans la vérité et la justice entre rescapés et criminels. Enfin, c’est une communion entre les vivants et les morts.

Profanation des Eglises

Une des particularités du génocide des Tutsi est d’avoir transformé les lieux de culte en véritables boucheries humaines avec un regard impuissant des pasteurs dans certains cas; et dans d’autres cas des hommes de Dieu établissaient, semblent-il, des listes des personnes à enlever. Ils étaient présents sur les lieux de massacres.

17 prêtres et religieux dont trois jésuites (Chrysologue Mahame, Innocent Rutagambwa et Patrick Gahizi) sont enfermés et tués dans la chambre 28 du Centre Christus de Kigali. Dans l’Eglise de Ntarama située dans la paroisse de Nyamata, les soldats jettent des grenades sur les gens enfermés. Après, ils achèvent les survivants avec des machettes. Même scénario tragique dans la Paroisse de Gahanga où il n’y a eu que 4 adultes et 3 enfants rescapés. Dans la paroisse de Musha, il y a eu plus de 1000 tués. Les massacres s’étaient étendus à la paroisse de Gahanga et au petit séminaire de Ndera. A Gikongoro, on a brûlé des gens réfugiés dans l’Eglise Kibeho. Ceux qui pensaient trouver protection dans les paroisses du Centre de Santé de Kaduha, de Muganza, au Collège de Kibeho ont été aussi achevés à coups de machette. Ce 7 avril 1999, au cours de la cérémonie de commémoration du cinquième anniversaire du génocide organisée à Kibeho, des rescapés du génocide, Jean- Baptiste Nteziryayo et un ancien élève de Kibeho, ont accusé publiquement l’Evêque de Gikongoro. Le Préfet de Gikongoro, Augustin Mutijimana, estime à plus de 20.000 personnes tuées dans l’Eglise de Kibeho et ses alentours D’autres lieux de supplice sont les paroisses de Cyahinda, de Karama, de Gishamvu à Butare; les paroisses de Musambira, de Mugina à Gitarama et l’Eglise de Karambo à Byumba. A Kibuye, dans la Paroisse de Nyange, un caterpillard a détruit une partie de l’église et a écrasé sous les décombres plus de 500 personnes. Les miliciens ont aussi tué dans les paroisses de Kibuye, de Mubuga ainsi que dans les églises adventistes de Ngoma, de Muhomboli et de Murangara. A Cyangugu, les paroisses de Nyamasheke, de Nyakanyinya, de Nyabitimbo, du Centre de Santé de Nkanka, de Hanika, de Shangi et de Mwezi ont été des antichambres de la mort. Le diocèse de Nyundo a été le plus frappé par le nombre des prêtres tués. Les paroisses de Nyundo et de Busasamana ont été désacralisées.

Le débat devient éthique et théologique lorsqu’on sait que le défunt baptisé, pour les chrétiens, continue à faire partie de la communauté des croyants peu importe l’état du corps. Les os des nôtres sont dans une certaine mesure des objets sacramentels. Par ce fait, d’après le canon 1176, les funérailles ecclésiastiques est une obligation; l’inhumation est un droit social et un devoir religieux rendu au défunt.

Si le génocide paraît un acte politique, il questionne cependant les implications morales et pratiques de l’enseignement de l’Eglise. Sur le plan religieux, le génocide s’attaque au plan de la création de Dieu. Le plus souvent les tueurs cherchaient à infliger le plus de peines possibles avant la mort. Leur méthode consistait à briser les bras, fendre la tête avant d’égorger les victimes. Lorsque les victimes sont nombreuses, les miliciens les brûlent et les achèvent par la suite avec des machettes. Ils jetaient aussi des vivants dans des fosses sceptiques [sic]. Des parents ont été obligés de fendre en deux le crâne de leurs enfants. Certains chrétiens, devant l’évidence d’une mort tragique, ont tué ou jeté leurs enfants dans des rivières. Une femme a enterré vivants ses propres enfants de peur qu’ils ne tombent dans les mains des miliciens.

Quel sens religieux peut-on donner au génocide rwandais? Devant des plaies profondes et ouvertes, une célébration liturgique peut-elle contribuer à la réconciliation?

Liturgie et réconciliation

De façon générale, la liturgie désigne la célébration de l’eucharistie. A la différence d’une commémoration officielle, la liturgie est une organisation de l’autorité ecclésiastique avec la communauté des croyants. Le culte trouve son sens dans le mystère du Christ. Ainsi, dans son encyclique Mediator Dei (1947), le Pape Pie XII définissait la liturgie en termes de “culte public que notre rédempteur rend au père comme chef de l’Eglise: c’est aussi le culte rendu par la société des fidèles à son chef et par lui, au père éternel; c’est, en un mot, le culte intégral du corps mystique de Jésus-Christ, c’est-à-dire du Chef et de ses membres”.

La description de la liturgie par Pie XII est centrée sur la personne du Christ. On pourrait aussi dire que la liturgie est -par et avec Jésus- un lieu et un moment de rencontre entre l’homme et Dieu. Comme toute liturgie par essence est une célébration du mystère du Christ, peut-il y avoir place pour le génocide rwandais?

La liturgie nous fait revivre le Christ qui a sauvé l’humanité par sa croix et sa résurrection. Ainsi chaque messe est mort et résurrection du Christ. Mais l’histoire du salut n’est pas une parenthèse dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Elle est un “pas encore” dans la mesure où Jésus continue à se révéler comme sauveur dans les événements du monde. Par là, le mystère du Christ devient conciliable avec la vie des hommes. La liturgie ne peut être salut pour les Rwandais que dans la mesure où elle endosse le génocide.

Le corps du chrétien est sacré. En donnant une sépulture avec des rites sacrés, l’Eglise traduit la révérence du corps et s’oppose aux fosses communes. Inhumer dans la dignité les corps des victimes du génocide est un acte de charité. L’expérience de Tobie, dans la Bible, qui, pendant la guerre, enterre les morts s’interprète comme un devoir du croyant et enseigne assez sur le respect des morts. Dans le Nouveau Testament, le corps de Jésus est descendu de la croix pour être déposé dans le tombeau. En effet, “l’Eglise recommande l’inhumation des défunts. Elle y accorde sa préférence pour des raisons symboliques” (Canon 99). Les services de l’Eglise suggèrent la mort et l’ensevelissement dans et avec le Christ.

Les funérailles est [sic] un devoir rendu par l’Eglise aux morts, en dehors d’elles, les croyants peuvent organiser les suffrages pour toutes les victimes innocentes dont les corps n’ont pas été retrouvés, c’est-à-dire, les prières des vivants pour les trépassés, le sacrifice eucharistique offert pour les défunts ainsi que toutes les bonnes œuvres offertes en leur faveur.

Les rescapés comme les bourreaux du génocide peuvent faire de ce moment un rite de réconciliation. La réconciliation se fait d’abord entre Dieu et toute la communauté rwandaise. Les Rwandais implorent la miséricorde de Dieu pour s’être opposé à son plan de la création en détruisant ce qu’il a fait à son image. La question ethnique ou politique devient en réalité un oubli de Dieu. Ce 7 avril 1999, le Pasteur André Karamaga, reconnaissant humblement les péchés de 1’Eglise durant le génocide, a à nouveau demandé pardon. Nous entrons dans la dimension horizontale de la réconciliation. On peut alors comprendre le pourquoi du kyrie (Seigneur, prends pitié) dans le rite d’introduction de la célébration eucharistique qui consiste à implorer la miséricorde et la bonté divine. Ces dernières sont évoquées dans leur aspect christologique pendant le Gloria: “Agneau de Dieu qui prend le péché du monde, prend pitié de nous”. Ensuite, avant la prière eucharistique, le prêtre se lave symboliquement les mains en disant: Lave-moi de mes fautes Seigneur et purifie-moi de mon péché”. Pendant le Pater, les fidèles s’adressent au Père Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé. Le prêtre par la suite demande que le corps et le sang du Christ puisse nous délivrer de nos péchés. Et enfin, l’Agnus Dei invoque la miséricorde du Christ qui prend en lui tout le péché du monde. La communauté chrétienne, en demandant pardon à Dieu et aux rescapés du génocide, soulignerait la dimension du péché dans les actes de génocide réduits souvent à leur réalité socio-politique.

Les Rwandais doivent aussi demander pardon à leur frères morts pour tout le mal commis contre eux. C’est aussi un moment où les bourreaux souvent anonymes face aux rescapés reconnaîtraient leur tort. L’Eglise du Rwanda devrait envisager une sorte de pénitence spéciale pour reconnaître les péchés du génocide. C’est à ce prix que les rescapés peuvent donner un sens à leur sauvetage.

La célébration liturgique du génocide, d’une part, rend honneur aux restes de corps et d’autre part, est nécessaire pour le bien de nos frères défunts. Les rescapés et les familles qui ont perdu les leurs se retrouvent pour confesser leur foi en la résurrection. La prière de l’Eglise leur apporte consolation et espérance. Le deuil national du 7 avril 1996 avait coïncidé avec la célébration de la Pâques. Certains milieux cléricaux étaient opposés à la commémoration du génocide. Le chrétien rwandais vivait une situation d’écartement entre la tristesse des siens et la joie du Christ ressuscité. En 1999, certains prêtres se refusent d’évoquer le génocide dans leurs homélies du 4 et 5 avril. Pourtant la résurrection du Christ montre le caractère pascal de la mort du chrétien faute d’harmoniser le calendrier liturgique avec la vie des Rwandais, le génocide. La Pâques me semble de plus en plus une anticipation de la résurrection des victimes du génocide. La mort, quelque soit les moyens par lesquels elle est arrivée, est une porte ouverte vers Dieu. Les survivants implorent la bonté de Dieu pour que les morts reposent dans la joie, la paix et la lumière du Christ par qui ils sont unis par leur baptême. La résurrection du Christ peut se définir comme un échec et une négation du génocide. La machette n’a pas le dernier mot. Rien ne peut anéantir la vie éternelle des nôtres.

 

Un certain nombre des Rwandais sont morts parce qu’ils ont refusé de tuer ou ont caché leurs frères rwandais. On pourrait avoir une pensée pieuse à leur égard, et concrètement à la Toussaint. Leur martyre constituerait une germe de la réconciliation. C’est par exemple les Pères Ananias Rugasira et André Havugimana tués par des militaires, au Petit Séminaire de Ndera, pour avoir refusé d’ouvrir la salle dans laquelle était cachée des gens. Félicité Niyitega, à Gisenyi, assurée de la protection de son frère Colonel, a préféré mourir avec les personnes vulnérables.

Conclusion

Nous avons voulu montrer le rôle que peut jouer la liturgie dans une situation désespérément difficile, à un moment où le destin et la douleur semblent se liguer contre l’espérance. La liturgie vient allumer son cierge et montre que par Jésus-Christ la vie peut naître de la mort.

La liturgie a son sens dans la vie du Christ et celle des hommes comme participation à la vie divine. L’histoire du Rwanda nous apprend que l’inculturation du rite n’est pas simplement adaptation des chants et des textes en langues africaines, mais la prise en charge de toute la vie des Africains par le mystère du Christ. Les purifications deviennent non seulement rituelles mais aussi morales.

La liturgie nous est apparue fondamentalement comme une réconciliation entre Dieu et les hommes. L’invocation du Dieu de la miséricorde est forte présente dans toute célébration eucharistique. Le génocide est d’abord un refus de Dieu.

Jean-Pierre Karegeye
Butare/Rwanda

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1 Pour une synthèse des débats historiographiques, voir Straus (2008) ; Dumas (2014) ; Robinet (2017).

2 Ce constat partagé sur les sources est en partie à l’origine du projet de recherche collectif RwandaMAP, qui porte une attention spécifique aux sources mobilisées par les chercheurs travaillant sur le Rwanda. Voir : https://rwandamap.hypotheses.org/.

3 Voir par exemple le dossier « Writing the History of Africa after 1960 », History of Africa 42, juin 2015 : https://www.cambridge.org/core/journals/history-in-africa/issue/6CDAD571BAA489D21E24DEB4F13909C6.

4 Par exemple Fouéré (2012) et Askew (2014). Bien que portant principalement sur la presse coloniale, l’ouvrage collectif édité en 2016 par Derek Peterson, Emma Hunter et Stephanie Newell propose aussi des réflexions sur la presse africaine après les indépendances (Peterson, Hunter & Newell 2016). Il serait particulièrement intéressant de proposer une étude comparée des usages de la presse postcoloniale africaine, en fonction des disciplines et champs de recherche.
Notons la création récente de la Revue d’histoire contemporaine de l’Afrique (RHCA, URL : https://oap.unige.ch/journals/rhca) qui accorde une place particulière aux sources, terrains et contextes de travail des chercheurs.

5 Selon l’historien Paul Rutayisire, plusieurs points font controverse : « L’absence de réaction de la hiérarchie catholique pendant les massacres à l’exception de lettres pastorales, l’absence de dénonciation des milices et encore la reconnaissance du gouvernement intérimaire » (Rutayisire 1995, 414).

6 Il n’existe pas de chiffre précis, même s’il est souvent mentionné que 70 % du clergé était tutsi. Cependant, les modalités du génocide contre les Tutsi et le nombre élevé de prêtres tués rendent compte de cette particularité (Rutayisire 1995, 414‑416).

7 Sur l’histoire des intellectuels développée à partir du cas de la France, voir entre autres Sirinelli (1988), Racine et Trébitsch (1992). L’histoire des intellectuels a fait l’objet d’un renouveau d’intérêt dans les années 2000, avec un bilan historiographique de la discipline mais aussi une réflexion sur les approches comparées (Leymarie, Sirinelli & Odul 2003 ; Duclert 2003 ; Chaubet 2009).

8 Le politiste Valentin Behr montre à partir du cas polonais l’intérêt d’une étude de presse afin de comprendre la multipositionnalité des acteurs publics des controverses. Voir Behr (2015).

9 Sur le parcours d’Annie Bart, voir Dakhlia & Robinet (2016). Cette sous-partie sur l’histoire des médias rwandais reprend des éléments qui seront publiés dans Robinet & Korman (à paraître).

10 Concernant l’histoire de la revue, voir Bart (1992). Notons que Dialogue est en partie accessible en ligne : http://www.genocidearchiverwanda.org.rw/ [archive].

11 Plusieurs hypothèses peuvent être proposées pour expliquer ce faible recours à la presse post-génocide comme source. La majorité de la recherche depuis 1994 est anglophone, tandis que la presse de la période de transition était principalement en français et kinyarwanda. Le faible recours concerne aussi les archives rwandaises post-génocide, qui sont à ce jour peu mobilisées par les universitaires. Du point de vue disciplinaire, le nombre très limité de travaux d’historiens peut expliquer la prévalence du « terrain » et des entretiens sur l’usage d’archives et de sources de presse. Enfin, il faut noter une méconnaissance plus générale des centres de documentation rwandais par une partie non négligeable des universitaires sur le Rwanda. Une véritable enquête sur les pratiques de recherche au Rwanda reste cependant à mener.

12 À propos de l’évolution de la revue Dialogue, voir Cristofori (2009).

13 A l’été 1994, le gouvernement intérimaire rwandais qui a organisé le génocide des Tutsi fuit au Zaïre voisin, emmenant dans son sillage plus d'un million de Rwandais, principalement Hutu. L’armée et les miliciens se réarment progressivement, les camps de réfugiés au Kivu devenant un enjeu politique et militaire majeur, déstabilisant toute la région. Les camps de réfugiés sont démantelés lors de la Première guerre du Congo (1996-1997), qui s'accompagne aussi de la chute du président zaïrois Mobutu et la prise du pouvoir par Laurent Désiré Kabila. La Deuxième guerre du Congo oppose entre 1998 et 2002 le président Kabila à ses anciens alliés, principalement rwandais et ougandais. La guerre des Infiltrés désigne les incursions armées sur le territoire rwandais menées par les miliciens génocidaires et des membres de l’ancienne armée rwandaise entre 1996 et le début des années 2000. Cette violence régulière tout au long de la décennie est omniprésente dans la presse rwandaise.

14 Il faut noter qu’il est plus aisé de trouver des fonds de presse papier ou micro-filmés au sein d’universités nord-américaines ou dans des bibliothèques comme la Library of Congress à Washington. Une partie de ces fonds de presse des années 1980-1990 a été collectée dans le cadre du projet CAMP (Cooperative Africana Materials Project). Après le génocide, des journaux et documents ont aussi été collectés par des universitaires, centres de recherches et bibliothèques états-uniennes sans qu’il soit possible actuellement de retracer l’historique des différentes collections. La Library of Congress conserve des journaux post-génocide tels qu’Imvaho Nshya ou The New Times. Cependant, ces collections sont fragmentaires et éparpillées. Pour un aperçu général de ces collections, voir le site internet du programme CAMP (https://www.crl.edu/programs/camp) ou encore le catalogue général Worldcat (https://www.worldcat.org/).

15 Voir cependant le fonds presse et périodique déposé par Hervé Deguine à la Contemporaine, à l’université de Nanterre. (« Inventaire détaillé du fonds d’archives d’Hervé Deguine ». 2019. Nanterre : La Contemporaine. http://www.calames.abes.fr/pub/lacontemporaine.aspx#details?id=FileId-2992).

16 Cette difficulté avait fait l’objet d’un premier billet de carnet en début de thèse (Korman 2011).

17 Des échanges multiples ont ainsi eu lieu à ce sujet au Rwanda, en France en Belgique avec Hélène Dumas, Florence Rasmont, Ornella Rovetta, Florent Piton, Philibert Gakwenzire ou encore Dantès Singiza.

18 Notons que l’évolution des techniques de numérisation et de travail collaboratif par et pour les chercheurs au cours des dix dernières années a largement transformé les défis posés par le morcellement des fonds.

19 S’ajoutent des enjeux financiers, en raison du coût des traductions, mais aussi éthiques concernant le rôle des assistants de recherche.

20 Par exemple Filip Reyntjens qui mobilise la presse rwandaise dans ses bilans annuels de l’évolution politique au Rwanda au sein de l’Annuaire des Grands Lacs publié par l’université d’Anvers. Notons aussi que Dialogue publie à partir de 1990 une revue de la presse rwandaise exhaustive, qui s’arrête en 1996. Chaque numéro de Dialogue comprend aussi une revue de presse plus sommaire appelée « Carnet ». La mobilisation de sources de presse tend à se généraliser chez les jeunes chercheurs pour la période post-2003.

21 Voir Habimana (2000); Mulinda (2000); Nahayo (1999); Mubiligi (1997). Notons que Joseph Jyoni wa Karega, historien et doyen de la faculté des lettres à l’Université nationale du Rwanda après 1994 avait rédigé sa thèse de doctorat à partir de presse écrite (Jyoni wa Karega 1983).

22 Sur l’évolution du vocabulaire mémoriel, voir Ntakirutimana (2010).

23 L’historien Jean-François Sirinelli note concernant la France que « l’étude des pétitions constitue (…) un observatoire précieux pour localiser, à une date donnée, les champs de forces qui structurent et polarisent la société intellectuelle » (Sirinelli 1990, 14‑15).

24 La circulation se fait cependant principalement par le biais de la revue Dialogue « momentanément à Bruxelles » et de sa revue de presse.

25 Aucun travail n’a été mené à ce jour sur ce processus.

26 La majorité de ces travaux concerne cependant l’histoire de l’Église catholique, ou des églises chrétiennes, des années 1950 à 1994 et ne porte pas sur la controverse post-génocide. Voir Longman (2009) ; Carney (2016); Saur (2013) ; Rittner, Roth & Whitworth (2004); Linden (1999).

27 Parmi ses publications, citons en particulier Rutayisire (1995) ainsi qu’un chapitre d’ouvrage de grande ampleur mobilisant largement la presse en kinyarwanda, avec une très large partie consacrée à l’Église catholique post-génocide (Rutayisire 2014). Voir aussi Rutayisire, Karegeye & Rutembesa (2000) ainsi que les mémoires suivants d’étudiants de l’Université nationale du Rwanda : Kabagambe (2000) ; Muhire (2006).

28 Voir Kinyamateka n° 159-160, janvier 1997. Notons que l’étude de la presse permet de confirmer que les enjeux mémoriels autour de l’Église catholique et du génocide sont portés dans l’espace public par des hommes. Les textes de religieuses sont plus que marginaux dans les revues intellectuelles catholiques, ou encore la presse catholique et gouvernementale.

29 Leur profil est extrêmement divers. Premier exemple, Privat Rutazibwa, ancien abbé ayant participé à l’effort de communication et de propagande au sein du FPR dès le début de la guerre. Deuxième exemple, le journaliste Tom Ndahiro qui depuis 1994 est l’une des voix particulièrement critiques à l’encontre de l’Église catholique, ayant consacré de très nombreux articles sur ces questions, dans la presse gouvernementale puis en tant que chercheur indépendant. Voir Rutazibwa (2017) ou le site internet de Tom Ndahiro : https://umuvugizi.wordpress.com/ [archive].

30 L’ONG African Rights a très largement contribué à ce processus critique, publiant dès le printemps 1994 des rapports sur le génocide contenant des listes de religieux accusés d’avoir participé aux massacres.

31 Pour exemple, le documentaire distribué sous le titre « la Machette et le Goupillon » (Sarfati et Bublex 2014). Voir Hoyeau (2014) ; Chaudon (2014).

32 Aucun travail universitaire n’a été mené sur l’APRERWA, qui disparaît au tout début des années 2000. Notons que tous les prêtres ne se reconnaissent pas dans les activités conduites par cette assemblée.

33 Voir Raffin (2012). Madeleine Raffin a aussi été militante et vice-présidente de l’association France Turquoise, dont l’objet est de « défendre et promouvoir la mémoire et l’honneur de l’armée française et des militaires français ayant servi au Rwanda ».

34 Une longue description des réunions organisées par la présidence de la République en 1998 et 1999 se retrouve dans Kimonyo (2017, 211‑221). Voir aussi Présidence de la République du Rwanda (1999a ; 1999b).

35 La focale proposée dans cet article sur la période 1998-1999 ne signifie pas qu’il s’agit du plus grand moment de tension de l’après-génocide, et il serait possible d’insister sur la phase 1994-1996. Les sources de presse rendent compte néanmoins d’une crispation particulière à la fin de la décennie 1990. Pour une chronologie plus détaillée, voir Denis (à paraître).

36 « Note à l'intention des Évêques du Rwanda et du Burundi au sujet de leur communiqué de presse du 17/02/1998 paru dans l'Osservatore Romano n°8 (2508) du 24/02/1998 ». Annexe n° 4 Jean Ndorimana (2001, 160-161). La thèse du double génocide, qui vise à prouver qu’un génocide a été commis contre les Rwandais hutu, trouve son origine dans la propagande extrémiste. Elle est ensuite amplifiée par les principaux responsables du génocide en exil. Notons cependant que des crimes de masse ont été perpétrés par l’Armée patriotique rwandaise au cours des années 1990, et font l’objet de nombreuses controverses historiographiques.

37 Les signataires sont François Masabo, Romain Rurangirwa, Jean-Bosco Gakwisi, Roger Rubakisibo, Jean-Marie Vianney Sebunati, Félicien Mubiligi, Pierre Célestin Buhuru, Janvier Gahonzire, Thomas Mutabazi, Sébastien Gasana, Jean Ndorimana, André Kibanguka, Anaclet Mwumwaneza, Lucien Rwabashi, Ignace Samwunzi.

38 Voir Sibomana, Guilbert & Deguine (2008).

39 Aucun condamné à mort ne fut exécuté par la suite et la peine capitale fut abolie en 2007. Aucun religieux ne figure parmi les 22 personnes fusillées en avril 1998.

40 Kinyamateka n° 1492, mai 1998, cité in Dialogue n° 204, mai-juin 1998 : 75-78.

41 Ibid. Voir aussi CEPR (1998). Malgré les tensions persistantes, le gouvernement rwandais et l’Église catholique collaborent de façon régulière sur diverses thématiques au travers de commissions mixtes. C’est en particulier le cas concernant l’enseignement primaire et secondaire.

42 Voir La Nouvelle Relève, numéros 361 et 362 de juin 1998.

43 Cela est d’autant plus important que plusieurs fausses pétitions circulent en dehors de la presse.

44 Mgr Bahujimihigo est nommé évêque de Ruhengeri le 8 mai 1998. Voir aussi ses réflexions générales sur la situation post-génocide (Bahujimihigo 1998a).

45 La Curie romaine désigne l’ensemble des institutions du Saint-Siège ayant pour mission d’assister le pape dans l’exercice de sa fonction. Cependant, notons là encore que le positionnement vis-à-vis du Rwanda est loin d’être homogène au Saint-Siège à cette période.

46 Une partie de ces comptes rendus est accessible sur la base du Réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs africains. Voir https://graduateinstitute.ch/research-centres/centre-conflict-development-peacebuilding/databases

47 Il manque à ce jour un dictionnaire des principaux acteurs rwandais, ce qui se révèlerait majeur pour la recherche sur le Rwanda contemporain.

48 Sur la question des archives audio-visuelles au Rwanda, voir Réra (2016).

49 Citons entre autres l’importance des archives de journaux, les correspondances privées et archives d’intellectuels, etc.

50 Sur l’étude des revues pour l’histoire des intellectuels, voir Pluet-Despatin (1992).

51 Sirinelli, Jean-François. 1996. « Os intelectuais ». In Por uma história política, sous la direction de René Rémond, 249. Rio de Janeiro : UFRJ. Cité in De Luca (2011, 41). Le texte a été traduit par l’auteur dans l’article de Regina de Luca. Il aurait été possible de citer directement l’original de Sirinelli (plutôt qu’une traduction de traduction), mais il me semblait nécessaire de respecter l’origine de la citation qui m’intéressait, et cet article sur les revues.

52 Peu de chercheurs ont proposé jusqu’ici l’étude de corpus de discours politiques post-génocide, à l’exception de quelques travaux universitaires et étudiants rwandais, souvent dirigés par le linguiste Laurent Nkusi. Voir par exemple Ntawizeruwanone (2003).

Document 1. Collectif, « Note des chrétiens rwandais au chapitre des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) »

Document 1. Collectif, « Note des chrétiens rwandais au chapitre des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) »

La Nouvelle Relève, n° 362, 30 juin 1998 : 5.
Identifiant permanent : https://doi.org/10.34847/nkl.fa64e60h.
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Transcription : https://api.nakala.fr/data/10.34847/nkl.c4a9av22/6907b7528723ea0c9cc3bdf6d10ab95ab20e9ad8.

Document 2. Privat Rutazibwa, « Missionnaires de l’évangile ou apôtres de la haine : Lettre ouverte aux responsables de l’ASUMA/Rwanda » (première page)

Document 2. Privat Rutazibwa, « Missionnaires de l’évangile ou apôtres de la haine : Lettre ouverte aux responsables de l’ASUMA/Rwanda » (première page)

La Nouvelle Relève, n° 362, 30 juin 1998 : 12-16.
Document complet :
Identifiant permanent : https://doi.org/10.34847/nkl.b8dd88pw.
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Document 3. « Génocide rwandais : dernier acte »

Document 3. « Génocide rwandais : dernier acte »

L’Osservatore Romano n° 21, 25 mai 1999 : 2.
Identifiant permanent : https://doi.org/10.34847/nkl.c4a9av22.
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Transcription : https://api.nakala.fr/data/10.34847/nkl.c4a9av22/26737f4f4f85bf82b86ece50b41257334c202def.

Document 4. Conférence des évêques catholiques du Rwanda. « Observations à propos de l’article intitulé “Génocide Rwandais : dernier acte” »

Document 4. Conférence des évêques catholiques du Rwanda. « Observations à propos de l’article intitulé “Génocide Rwandais : dernier acte” »

Document 5. Mwaniwabo, « Église catholique du Rwanda : de la tornade à la tourmente » (première page)

Document 5. Mwaniwabo, « Église catholique du Rwanda : de la tornade à la tourmente » (première page)

La Nouvelle Relève, n° 385, 15 juin 1999 : 15-16.
Voir le document complet :
Identifiant permanent : https://doi.org/10.34847/nkl.77ac2sda.
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Document 6. A. Rwagahirima, « Monseigneur Misago nie toute responsabilité dans la mort des trois abbés »

Document 6. A. Rwagahirima, « Monseigneur Misago nie toute responsabilité dans la mort des trois abbés »

Kinyamateka n° 1533, septembre 1999 : 8.
Identifiant permanent : https://doi.org/10.34847/nkl.3c211fvv.
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Document 7. Département chargé de la politique et administration du territoire à la Présidence de la République rwandaise, « Le rôle de l’Église catholique » (première page)

Document 7. Département chargé de la politique et administration du territoire à la Présidence de la République rwandaise, « Le rôle de l’Église catholique » (première page)

La Nouvelle Relève, n° 388, 15 août 1999 : 8-11.
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Document 8. Jean-Pierre Karegeye, « Génocide et liturgie » (première page)

Document 8. Jean-Pierre Karegeye, « Génocide et liturgie » (première page)

La Nouvelle Relève n° 384, 30 mai 1999 : 11-12.
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Rémi Korman

École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
https://orcid.org/0000-0002-8013-1267