Au cœur des réseaux africano-soviétiques : archives et trajectoire de l’écrivain-cinéaste sénégalais Ousmane Sembène

At the Heart of the African-Soviet Networks: Archives and Trajectory of the Senegalese Writer-Filmmaker Ousmane Sembène

No coração das redes africano-soviéticas: arquivos e trajectória do escritor-cineasta senegalês Ousmane Sembène

Françoise Blum, Gabrielle Chomentowski et Constantin Katsakioris

p. 99-135

Citer cet article

Blum, Françoise, Gabrielle Chomentowski, Constantin Katsakioris. 2021. « Au cœur des réseaux africano-soviétiques : archives et trajectoire de l’écrivain-cinéaste sénégalais Ousmane Sembène ». Sources. Materials & Fieldwork in African Studies n° 3 : 99-135. https://www.sources-journal.org/558

À travers deux sources inédites – une discussion orale retranscrite et une correspondance de l’écrivain et cinéaste sénégalais Ousmane Sembène avec différentes personnalités soviétiques (traductrice, savants, écrivains) –, les auteur·e·s de l’article éclairent le réseau des relations africano-soviétiques qui se mettent en place au tournant des années 1950 et 1960, soit avant les indépendances. Les documents présentés ici ont été retrouvés dans les archives russes : dans le fonds de l’Union des écrivains de l’URSS qui se trouve aux Archives d’État de la littérature et des arts (RGALI) et dans celui de l’Union des sociétés d’amitié avec les pays étrangers, conservé aux Archives d’État de la Fédération de Russie (GARF). Au-delà des rapports strictement institutionnels qui se tissent durant la guerre froide, entre pays communistes et pays d’Afrique, la force de ces documents est de révéler les rapports interpersonnels qui se nouent entre l’écrivain sénégalais et différentes personnalités soviétiques, leurs affinités amicales et intellectuelles, d’éclairer également les désaccords théoriques entre Sembène et les tenants de la négritude et de la Société africaine de culture. De plus, ces documents permettent une approche originale de la biographie d’Ousmane Sembène : les lettres présentées donnent à voir la genèse de son œuvre littéraire, sa traduction en russe et la réception de ses écrits en Union soviétique, mais aussi les circonstances et modalités de sa venue au cinéma.

This article presents the correspondence of the Senegalese Ousmane Sembene with Soviet writers, officials and his translator, as well as a discussion he held with Soviet writers at the house of the Union of Writers of the USSR in Moscow in October 1958. These documents come from either the collection of the Union of Writers, which is preserved by the Russian State Archive of Literature and Arts (RGALI), or from the one of the Union of Soviet Friendship Societies with Foreign Countries which is held by the State Archive of the Russian Federation (GARF). As well as testifying to the broad network of Soviet-African relations, the documents shed light on Sembene’s biography and his early literary and cinematic work. Apart from the practical aspects related to the translation and publication of Sembene’s texts, the documents provide information about the impact of his work in the Soviet Union and the way it was received by his Soviet interlocutors. At the same time they show a number of expectations the Soviets had from Sembene, namely, to promote Soviet culture and literature in Africa. Some letters touch upon the role of cinema in Africa and reveal Sembene’s views and ambitions. Moreover, the young writer and aspirant filmmaker does not hide his political views. He criticizes the theorists and proponents of négritude and castigates the Society of African Culture, headed by Alioune Diop. Both the discussion and the correspondence illustrate Sembene’s views and present the picture of his personal ties and intellectual affinities with his comrades and benefactors on the Eastern side of the Iron Curtain.

Através de duas fontes inéditas – uma discussão oral transcrita e uma correspondência do escritor e cineasta senegalês Ousmane Sembène com diferentes personalidades soviéticas (tradutora, estudiosos, escritores) –, os autores do artigo mostram a rede das relações afro-soviéticas que se estabelecem na viragem dos anos 50 para 1960, isto é, antes das independências. Os documentos aqui apresentados foram encontrados nos arquivos russos: no fundo da União dos Escritores da URSS que se encontra no Arquivo de Estado da Literatura e das Artes (RGALI) e no fundo da União das Sociedades de Amizade com os Países Estrangeiros, Arquivo Estatal da Federação Russa (GARF). Para além das relações estritamente institucionais que se desenvolvem, durante a guerra fria, entre países comunistas e países africanos, a força destes documentos consiste em revelar as relações interpessoais que se estabelecem entre o escritor senegalês e diferentes personalidades soviéticas, suas afinidades intelectuais e de amizade. Mostra também os desacordos teóricos entre Sembène e os defensores da Negritude da Sociedade Africana de Cultura. Além disso, estes documentos permitem uma abordagem original da biografia de Ousmane Sembène: as cartas elucidam a génese da sua obra literária, a sua tradução para russo e a recepção dos seus livros na União Soviética, assim como as circunstâncias e modalidades da sua entrada no cinema.

Données liées à cet article :
4 documents du fonds de l’Union des écrivains de l’URSS (numéro 631), conservés aux Archives d’État de la littérature et des arts [Государственный архив литературы и искусства] (RGALI [РГАЛИ]) (inventaires 26 et 27). Moscou, Russie. (https://rgali.ru/)
Notices en lignes accessibles aux adresses : https://rgali.ru/obj/11611263 [archive] ; https://rgali.ru/obj/11611265 [archive].
11 documents du fonds l’Union des sociétés d’amitié avec les pays étrangers conservé aux Archives d’État de la Fédération de Russie [Государственный архив Российской Федерации] (GARF [ГАРФ]) (numéro R-9576, inventaires 12, 13 et 14). Moscou, Russie. (https://statearchive.ru/)
Notamment :
GARF, f. 9576, op. 12, d. 39 ;
GARF, f. 9576, op. 12, d. 76 ;
GARF, f. 9576, op. 14, d. 1 ;
GARF, f. 9576, op. 14, d. 43.
Les transcriptions des documents sont données dans cet article, section « Sources ».

L’étude des rapports africano-soviétiques a longtemps été dominée par la géopolitique, voire l’histoire des relations internationales, privilégiant ainsi l’observation des rapports d’État à État. Il y a déjà quelques années, des chercheurs en histoire globale et sociale ont amorcé des travaux visant à sortir de ce face-à-face institutionnel, privilégiant une analyse des acteurs et par conséquent des relations interpersonnelles. Dans leur sillage, nous nous intéressons ici aux relations entretenues par l’écrivain et cinéaste sénégalais Ousmane Sembène avec le monde soviétique. Son cas est important pour son caractère plutôt précoce, Sembène étant un des pionniers dans les liens africano-soviétiques avant la décolonisation. Les documents que nous présentons ici montrent combien la mobilisation de plusieurs acteurs, tels l’Association soviétique pour l’amitié avec les peuples d’Afrique (SADNA), l’Union des écrivains, voire le ministère de la Culture de l’URSS est amorcée dès la seconde partie des années 1950. Cette contribution invite ainsi à réinterroger la chronologie du rapprochement entre l’Afrique et les pays de l’Est dans les années 1950 et 1960, surtout sur le plan des relations culturelles. À l’instar des travaux sur l’aide de l’URSS et des autres pays socialistes à la formation des étudiants africains, elle alimente également la littérature scientifique qui s’est intéressée aux festivals d’art et de cinéma, aux conférences des écrivains africains et asiatiques et, plus généralement, à la réception des artistes et intellectuels africains par l’URSS (Saint-Martin, Scarfó-Ghellab et Mellah 2015 ; Katsakioris 2015 ; Djagalov, Salazkina 2016, 279-298 ; Saint-Martin et Yengo 2017 ; Lee 2017, 1-60 ; Djagalov 2020 ; Drews-Sylla, à paraître). À ce titre, Ousmane Sembène est justement une personnalité dont le parcours professionnel permet de croiser différents champs artistiques : d’abord plongé dans la création littéraire – sans jamais abandonner cette activité –, il devient cinéaste, nous permettant ainsi, par les relations interpersonnelles qu’il a entretenues avec différentes personnalités soviétiques, d’entrer dans ces deux univers.

D’autre part, Ousmane Sembène a suscité un nombre considérable de travaux, essentiellement consacrés à ses œuvres, mais également à sa vie, alors même que l’écrivain a été peu prolixe à ce sujet (Berty 2019 ; Gadjigo 2013 ; Soumanou Vieyra 2012 [1972] ; Diop, Niang et Gadjigo 2010 ; Gadjigo et Diop 2010 ; Murphy 2001 ; Petty 1996 ; Pfaff 1984). Un de ses principaux biographes, Samba Gadjigo, le qualifie ainsi de « célèbre inconnu » (Gadjigo 2013, 21). Pourtant, très peu de ses biographes ont investi le champ des archives, qu’elles soient françaises, sénégalaises ou soviétiques. Peu d’entre eux ont intégré son parcours dans celui de nombreux Africains ayant été formés aux métiers du cinéma en URSS et dans les pays communistes (Chomentowski 2016). La correspondance présentée ici, qui n’a encore jamais été publiée, tout autant que sa discussion avec l’Union des écrivains, apportent donc de nouveaux éléments fondamentaux sur un artiste pourtant étudié depuis plus de trente ans. Ces documents éclairent la façon dont il construisait son œuvre, tant romanesque que cinématographique, son rapport avec d’autres artistes africains, son ambition professionnelle le conduisant en URSS. Ils donnent aussi à voir comment se fabriquent des réseaux et, en même temps, la diffusion transnationale d’une œuvre. Hommes et textes circulent d’un continent à un autre, les frontières de la Guerre froide se révélant finalement assez poreuses.

Les documents qui suivent, une discussion orale transcrite à l’écrit entre Ousmane Sembène et des écrivains soviétiques et une correspondance dont il est le pivot, ont été trouvés dans le cadre de deux missions de recherche sur les relations entre l’Afrique et l’Union soviétique effectuées à Moscou en 2015 et 2016 et financées par la Fondation Maison des sciences de l’homme. Les documents issus de ces fonds sont de nature différente : d’un côté cette discussion qui eut lieu devant un auditoire composé de plusieurs personnes, de l’autre, une sélection d’échanges épistolaires entre Sembène et ses correspondants soviétiques. Ceci dit, il y a de nombreux échos de l’un aux autres. Alors que l’entretien reste assez formel, les lettres permettent d’aborder des questions, parfois identiques, de façon plus libre, associant, comme l’écrivait Roger Chartier (1991, 9), « lien social et subjectivité ». Contrairement à l’entretien, elles peuvent « être lues comme le témoignage d’une existence ou, plus précisément, de l’interrelation entre plusieurs existences », rendant mieux visible un réseau de sociabilités et de proximités affectives (Werner 1990, 42). Les deux types de documents sont ainsi complémentaires, la correspondance permettant de nuancer le propos officiel, tout en gardant à l’esprit qu’elle a pu être l’objet d’une autocensure au vu de la pratique de perlustration en vigueur en Union soviétique. Notons aussi que la publication dans Sources de cette série de lettres d’Ousmane Sembène fait partie d’un projet plus vaste relatif aux correspondances d’Africains et Soviétiques retrouvées par Constantin Katsakioris. La correspondance de Senghor ainsi découverte a été publiée dans les Cahiers d’études africaines (Blum et Katsakioris 2019).

Dans le cadre du projet qui a mené à la mise au jour de ces documents, nous avons en particulier utilisé deux fonds d’archives. Le premier est le fonds de l’Union des écrivains de l’URSS (numéro 631) qui se trouve aux Archives d’État de la littérature et des arts (RGALI – Российский Государственный Архив Литературы и Искусства). Créée en 1934, l’Union des écrivains administrait le monde de la littérature en URSS, y compris la traduction et la publication des auteurs étrangers. À partir de la seconde moitié des années 1950, cette organisation multiplia les contacts avec les écrivains d’Asie et d’Afrique, et en premier lieu avec les auteurs progressistes qui fustigeaient l’impérialisme et sympathisaient avec les pays de l’Est. Ces contacts étaient gérés par la Commission étrangère (Inostrannaja Komissija) de l’Union. Les chercheurs intéressés peuvent consulter les inventaires (opis’ en russe) 26 et 27 de ce fonds1, qui contiennent les documents de la Commission étrangère. Ils y trouveront une riche correspondance avec des écrivains africains, des procès-verbaux et rapports sur des congrès d’écrivains, ainsi que des documents rédigés par des Soviétiques sur leurs voyages en Afrique et sur des auteurs africains.

Le second fonds consulté est celui de l’Union des sociétés d’amitié avec les pays étrangers (numéro R-9576) conservé aux Archives d’État de la Fédération de Russie (GARF2). Créée par le Parti communiste de l’URSS et basée à Moscou, cette organisation gérait une partie importante des relations culturelles internationales de l’Union soviétique. Elle était divisée en sociétés soviétiques d’amitié avec des pays étrangers ou des zones continentales. Mise en place en 1959 pour promouvoir les relations avec l’Afrique subsaharienne, l’Association soviétique pour l’amitié avec les peuples d’Afrique (SADNA) faisait partie de ce grand organisme. Dans la pratique, l’Union et la SADNA soutenaient la création et entretenaient des rapports étroits avec les associations des amis de l’URSS dans les pays étrangers, organisaient des expositions, des projections de films et conférences, et accueillaient en URSS des hommes de culture étrangers. L’Union des écrivains et la SADNA jouèrent un rôle clé dans les relations culturelles avec l’Afrique, en établissant des relations parfois privilégiées avec certaines personnalités, ce dont témoigne ici le cas d’Ousmane Sembène.

Un marxiste africain en Union soviétique (octobre 1958)

L’exposé de Sembène devant l’Union des écrivains est l’aboutissement de contacts noués à l’occasion de différents voyages en URSS. Son premier voyage a lieu à l’été 1957. Il est alors parmi le petit nombre de représentants de l’Afrique française, membres notamment de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), qui assistent au Festival international de la jeunesse. C’est justement à ce voyage que Sembène se réfère dans sa lettre à Olga Graevskaja (Document 4). En octobre 1958, Sembène retourne en URSS, cette fois-ci pour participer à la conférence des écrivains d’Asie et d’Afrique qui a lieu à Tachkent, dans la République soviétique d’Ouzbékistan. Événement aussi bien littéraire que politique, cette conférence rassemble des écrivains et militants politiques d’Asie et d’Afrique, voire des États-Unis, comme Mario de Andrade, Mahejmout Diop et William Du Bois. À côté des participants, il y a également des observateurs, dont Alioune Diop, qui représente la Société africaine de culture (SAC), fondée après le premier congrès des écrivains et artistes noirs tenu à Paris en 1956, et qui se donne pour but la valorisation de la culture africaine. Sembène fait une intervention remarquée sur les genres de littérature orale et écrite en Afrique et les effets du colonialisme sur la production culturelle. Il tire la conclusion que l’Afrique a besoin d’une « nouvelle littérature nationale », « populaire » et « active », produite par « les gens du travail » et qui soutient « la satisfaction de demandes sociales et culturelles » des travailleurs. Sembène se démarque clairement de la négritude senghorienne et de l’esprit de la SAC. Après Tachkent, il revient à Moscou où il est invité par l’Union des écrivains soviétiques à réitérer son discours dans leurs locaux et à discuter avec ses membres. C’est justement cet exposé et des extraits de la discussion que nous publions ici, traduits par Constantin Katsakioris (Document 1).

Parmi les personnes alors présentes lors de cette rencontre et qui s’adressent à Ousmane Sembène, citons Olga Graevskaja, traductrice de littérature francophone et interprète de l’Union des écrivains de l’URSS. Elle est l’auteure de la traduction du roman de Sembène Ô pays, mon beau peuple ! (Sembène 1957b), publié en français en 1957, traduit et paru en russe en 1958 et réédité en 1959 (Document 9). C’est elle qui traduit en simultané du français au russe l’exposé de Sembène, et inversement du russe au français les questions de Vladimir Mouline – germaniste et spécialiste de la presse et la littérature allemande3 – et de Maurice Waksmakher, poète et également traducteur de Sembène4.

Lors de ce débat, Sembène fustige l’idée centrale de la négritude, selon laquelle « l’univers des nègres est lié à la couleur de leur peau », et accuse Senghor d’écrire « seulement ou surtout pour les colonisateurs ». Il est également très critique par rapport à Alioune Diop, qu’il accuse d’avoir reçu « un financement de dix millions de francs pour son journal [Présence africaine] par les colonisateurs français », à condition qu’il ne participe pas à Tachkent. Il n’est pas plus tendre à l’égard du président de la SAC, également ambassadeur d’Haïti à Paris, Jean Price Mars, auteur prolixe et internationalement reconnu.

En fait, les raisons qui conduisent Alioune Diop à ne pas participer à la Conférence de Tachkent sont un peu plus complexes que ce que Sembène présente : Diop est invité au comité préparatoire de la Conférence mais constate que tout est déjà bouclé, alors qu’il voudrait inviter lui-même des intellectuels africains, en dehors de critères idéologiques. Il propose même que l’URSS, n’étant un pays ni d’Afrique, ni d’Asie, soit exclue de la conférence. Ensuite, il quitte les travaux du comité préparatoire (Blum et Katsakioris 2019). Toujours est-il que cet entretien est parfaitement révélateur du clivage existant au sein du monde africain francophone entre les tenants de la négritude et d’une philosophie du monde noir et ceux, marxistes et proches du Parti africain de l’indépendance (PAI), ou de la FEANF, qui croient en une lutte anti-coloniale qui serait aussi une lutte des classes. Mais ces clivages n’empêchent pas les contacts, ce que prouve d’ailleurs la correspondance ici reproduite. Derrière les mots et les conflits, il y a aussi des complicités. Et Sembène publie régulièrement à Présence africaine.

D’un monde à l’autre : un réseau épistolaire africano-soviétique

La correspondance que nous proposons ici est limitée dans le temps (1958-1961). Elle met en jeu trois interlocuteurs, une femme et deux hommes : Olga Graevskaja, Ivan Potekhine et Ousmane Sembène. Nous avons la chance d’avoir les deux versants de cette correspondance, ce qui est rarement le cas : les lettres écrites par Ousmane Sembène ainsi que les réponses d’Olga Graevskaja et Ivan Potekhine. Si les lettres de Sembène sont les originales, celles de Graevskaja et de Potekhine sont des copies adressées à Sembène parfois aussi bien en français qu’en russe. Toutes les institutions soviétiques préservaient en effet des copies de leur correspondance.

Avant de passer plus avant à l’analyse des divers éléments, il faut souligner quelques originalités de cet échange. D’abord, il s’agit d’un échange transnational : de la France à l’Union soviétique et de l’Union soviétique à la France, de l’Union soviétique au Sénégal et du Sénégal à l’Union soviétique. Il met en relation trois interlocuteurs d’origine différente : deux Russes et un Sénégalais. Deuxièmement, les lettres sont écrites en français, c’est-à-dire dans une langue qui n’est la langue maternelle d’aucun des trois épistoliers : ni bien sûr celle des deux Soviétiques, ni même celle d’Ousmane Sembène dont la famille, des Lébous originaires de la presqu’île du Cap-Vert émigrés en Casamance, parle wolof. Sembène s’attachera d’ailleurs à promouvoir le wolof comme langue de culture et il aura à ce propos de vives polémiques avec Senghor, qu’il prend ici à partie à ce sujet5 (Document 10). Lui-même utilise le syllabaire wolof mis au point par la branche sénégalaise de la FEANF (Documents 10 et 11). Mais le rapport au français des trois scripteurs n’est évidemment pas le même : Ousmane Sembène a eu le français pour langue d’école, langue de savoir. Il le maîtrise parfaitement et c’est devenu sa langue d’écriture. Quand il correspond, c’est en tant qu’écrivain. Mais la langue peut jouer un rôle de distorsion, pour les deux Russes, quelle que soit par ailleurs leur compétence. Potekhine, en l’occurrence, n’écrivait pas en français et faisait toujours traduire ses lettres du russe. Dans tous les cas, il s’agit de sources primaires qui restent indispensables afin de faire une histoire qui s’intéresse à l’individu et tienne compte de l’intime, c’est-à-dire des relations amicales et des affinités intellectuelles.

Les correspondants

Le ton employé dans leurs lettres est celui de la camaraderie cordiale, ce qui laisse penser que les contacts ont déjà été nombreux avant cette correspondance, sans doute à l’occasion de la traduction de Ô pays, mon beau peuple !

Le deuxième correspondant de Sembène, Ivan Potekhine, que Sembène n’a encore jamais rencontré, est alors directeur de l’Institut de l’Afrique, président de la SADNA et savant africaniste. Ancien enseignant à l’Université communiste des travailleurs de l’Orient à Moscou, il y a connu des militants anticolonialistes, tels Georges Padmore et Jomo Kenyatta, et s’y est ouvert aux questions africaines. Mais il y est vraiment initié par le professeur Dimitri Alexievitch Olderogge de l’Université de Leningrad, qui deviendra plus tard son ami et associé à l’Institut d’ethnographie de l’Académie des sciences de l’URSS. Sembène a d’ailleurs rencontré Olderogge en Union soviétique (Document 5).

L’Institut de l’Afrique est fondé en 1960. Potekhine en est le premier directeur. Plus communément connu sous le nom d’Institut des peuples d’Afrique, c’est une institution autonome dans le cadre de l’Académie des sciences de l’URSS. La SADNA, Société soviétique pour l’amitié avec les peuples d’Afrique, dont il est président, est créée le 23 avril 1959. Sembène a appris très tôt l’existence de la Société, puisqu’il y fait référence dans une lettre datée de juin 1959 (Document 5). Potekhine a également dirigé la section africaine du Comité soviétique de solidarité avec les peuples d’Asie et d’Afrique. Sembène a pu avoir connaissance de quelques-uns de ses écrits publiés dans des revues soviétiques telles les Nouvelles de Moscou ou Œuvres et opinions publiés en français (Sorkov 1965).

Les lettres sont quelquefois distantes de plusieurs mois, chaque correspondant s’excusant d’être très occupé et de manquer de temps. Il faut noter une légère inflexion du ton : Sembène s’adresse à Potekhine comme « Monsieur le Président » mais l’adresse évolue en « Cher camarade et président » puis en « Cher camarade président ». Potekhine, de son côté, s’adresse à son « Cher ami » et le salue en signant « Votre dévoué ». Entre 1959 et 1961, le lien entre les deux hommes s’est affermi, ce qui va sans doute autoriser Sembène à faire une requête sur laquelle nous reviendrons. Bref, il s’agit de l’échange entre deux intellectuels qui ont l’un pour l’autre estime et sympathie réciproques.

Outre Potekhine et Olderogge, Sembène fait aussi état dans sa correspondance de quelques autres personnalités soviétiques, dessinant ainsi la carte très variée de ses réseaux russes : il semble connaître aussi bien l’écrivain Vladimir Kouznétsov (Document 12), qui avait été brièvement interné en Russie pour propagande anti-soviétique en 1956 puis libéré, qu’Anatoli Sofronov (Document 5), qui a été secrétaire de l’Union des écrivains soviétiques quelques années plus tôt et qui n’a pas été le dernier à œuvrer contre les artistes juifs d’Union soviétique pendant la campagne antisémite dont ils ont été victimes au tournant des années 1940-1950. Il connaît également Boris Afanassiev, directeur de la revue de l’Union des écrivains de l’URSS, Œuvres et opinions (Document 5). Il a rencontré à Paris, au siège de Présence africaine, Artem Letnev (Document 14), un historien soviétique, ancien doctorant d’Ivan Potekhine. Sembène avait déjà pu faire sa connaissance au festival mondial de la jeunesse en 1957, puisque Letnev en était un des organisateurs et avait consigné quelques souvenirs des rencontres africaines qu’il a pu y faire (Letnev 1999).

Qu’il s’agisse de rencontres qui ont physiquement eu lieu ou de simples contacts épistoliers, les lettres à Graevskaja et Potekhine offrent quelques fragments d’un puzzle africano-soviétique, tant personnel qu’institutionnel et éditorial. Si les associations et instituts soviétiques d’amitié avec les peuples d’Asie et d’Afrique sont bien connus, l’existence d’une association sénégalaise pour l’amitié avec les peuples de l’URSS l’est moins (Document 10). On peut constater aussi que les échanges de service se font bien dans les deux sens, les Soviétiques étant très demandeurs de diffusion de leur littérature en Afrique, quand Sembène s’appuie sur l’aide des Soviétiques pour la publication de ses œuvres et la réalisation de ses projets professionnels. Sembène fait ainsi comprendre à ses correspondants qu’il se trouve dans une situation économique précaire et obtient leur soutien pour se rendre en URSS et faire un stage de cinéma.

Si Graevskaja et Potekhine écrivent toujours de Moscou, les lettres de Sembène témoignent de son itinérance continue entre la France, le Sénégal ainsi que d’autres pays. Sembène se déplace : Marseille d’abord où il s’installe en 1947 et travaille comme docker6 ; Paris où il est régulièrement de passage, et Dakar. Les lettres permettent de tracer, en quelque sorte, les allées et venues de Sembène, d’autant qu’il y relate un long périple en Afrique – il y a visité seize pays d’Afrique française, mais aussi belge et britannique (Document 12). Elles témoignent de formes de mobilités intra et extra-africaines qui sont d’ailleurs communes à bien des militants africains de cette époque.

Le temps des lettres

Les lettres s’échelonnent entre le 11 mai 1959 et le 4 janvier 1962. C’est un temps court mais chargé en événements majeurs : les indépendances africaines tout au long de l’année 1960, et de façon plus mineure, mais non sans importance pour Sembène, l’interdiction du Parti africain de l’indépendance (PAI) au Sénégal suite aux émeutes de Saint-Louis, à l’été 1960. Or, Sembène est membre du PAI : si quelques incertitudes subsistaient à ce sujet, les lettres le confirment (Document 5). Toutefois, ni les indépendances, ni l’interdiction du PAI n’y sont évoquées. Le seul événement mentionné est le congrès des écrivains et artistes noirs tenu à Rome en 1959 et organisé par la SAC. Le congrès de Rome fait suite à celui de Paris, organisé également par la SAC et son président Alioune Diop, en 1956. Sembène y revient sur ses critiques à l’égard de la SAC et d’Alioune Diop, déjà formulées dans l’entretien dont il a été question plus haut. Il y souligne encore le clivage existant entre la majorité du congrès et les intellectuels progressistes, les résistances aux liens avec l’Est. Il donne aussi des détails intéressants sur les financements, compliqués à obtenir, lui-même ayant dû contracter un emprunt pour faire le voyage. On sait par ailleurs que les actes du congrès ont été publiés en 1959 par Présence africaine (« Deuxième congrès des écrivains et artistes noirs (Rome : 26 mars-1er avril 1959) ») et que Paulin Soumanou Vieyra a consacré au congrès un court-métrage7.

Toutefois, c’est un autre élément à propos du congrès, contenu dans les lettres, qui nous semblent le plus intéressant. Au-delà des tensions entre la SAC et les Soviétiques, des liens existent car Potekhine confie à Sembène qu’il a rencontré à Rome Senghor, Césaire et Alioune Diop. Le plus probable est que cette rencontre a eu lieu au moment du congrès, auquel aurait donc aussi assisté Potekhine. La rencontre avec Artem Letnev au siège de Présence africaine confirme également ces liens. Ainsi, les frontières entre le monde communiste et le monde de la négritude sont poreuses. Elles continueront à l’être, malgré les déclarations d’intention et les affinités affichées, après les indépendances. Les nouveaux États n’hésiteront pas, quel que soit leur bord politique proclamé, à s’adresser et à l’Est et à l’Ouest. Pour prendre le seul exemple du Sénégal, alors que le président Senghor affichait ouvertement ses distances avec les différents pays du « bloc » communiste, le président du Conseil des ministres Mamadou Dia fera un voyage en URSS en juin 1962 et Senghor entretiendra des liens avec Potekhine et divers écrivains soviétiques.

Work in progress : à propos d’écriture, de publications et de traductions

Au-delà des réseaux et déplacements, ces lettres sont intéressantes par ce qu’elles nous disent de l’œuvre de Sembène, de la préparation de ses textes, de leur publication et traductions. Sembène a déjà publié, en 1957, Le Docker noir (Sembène 1957a) dont la traduction semble, d’après la correspondance avec Olga Graevskaja, bloquée à Moscou. Elle y sera toutefois publiée en 1958. Il est également fait état dans ces lettres de nouvelles dont la traduction est en cours. Sembène envoie notamment des contes pour enfants. Une pièce jointe à une lettre de Potekhine liste en outre des œuvres de Sembène traduites en russe, avec leurs tirages. Ce document fort intéressant nous permet de savoir qu’il donne aux Soviétiques des textes encore inédits en France, ou qui n’y seront jamais publiés. En effet, ses premières nouvelles ne paraîtront en France, tout au moins sous forme de recueil, qu’en 1962, et l’éditeur en sera Présence africaine (Sembène 1962b). Sembène décrit aussi la genèse des Bouts de bois de Dieu qui paraît en 1960, et est traduit et publié en russe en 1962. Il y fait quelques notations assez étonnantes qui éclairent l’évolution du projet narratif (Document 4). L’éditeur reçoit en effet le roman en 600 ou 700 pages, ce qui n’est pas le volume des Bouts de bois de Dieu quand il paraît aux Éditions du Livre contemporain (Sembène 1960), ni d’ailleurs dans les éditions ultérieures. Sembène se trompe légèrement dans sa lettre sur la chronologie du conflit social entre cheminots et autorité coloniale, qu’il situe en 1946-1947 alors qu’il eut lieu en 1947-1948. La polygamie des cheminots, qu’il considère dans sa lettre comme un poids, un archaïsme, est retourné dans le roman avec le récit d’une grande marche des femmes, qui n’eut d’ailleurs jamais lieu. Mais le rôle des femmes fut en effet capital, car elles assurèrent largement la subsistance de leurs maris en grève (Cooper 1996). Toujours est-il que Sembène livre dans cette lettre sa perception générale d’un mouvement social qu’il considère, et qui fut en effet, déterminant dans cette période du colonialisme tardif. Les Bouts de bois de Dieu auront une belle postérité : ils seront réédités à maintes reprises (Sembène 1971 ; 1984 ; 1994), traduits en anglais dès 1962 (Sembène 1962a), en vietnamien en 1964 (Xembene 1964) et seront adaptés au cinéma8 et au théâtre. Cet ouvrage a aussi fait l’objet de diverses analyses spécifiques (par exemple Myniono Nkodo 1979 ; Makonda 1985). D’autre part, Sembène dit préparer une suite qui, semble-t-il, ne verra jamais le jour. À l’inverse, grâce à ces correspondances, nous obtenons quelques éléments sur la pénétration de la littérature russe dans quelques langues africaines : Tolstoï a été traduit en ewe et Sembène prépare en 1960 une adaptation des Bas-Fonds de Maxim Gorki, en wolof, pour le théâtre.

Un futur cinéaste

Enfin, last but not least, les lettres renseignent sur la genèse de la future carrière cinématographique d’Ousmane Sembène. Elles disent comment le désir de filmer lui est venu, lors de ses voyages et les démarches faites pour obtenir une formation de réalisateur. Notons que l’Union soviétique n’était pas son premier et unique choix : il se tourne d’abord vers la France où, malgré ses contacts avec l’historien du cinéma et membre du Parti communiste Georges Sadoul, il n’obtient aucune aide, pas plus qu’au Canada et en Tchécoslovaquie. C’est alors qu’il prie Potekhine d’intercéder en sa faveur : il obtient alors un accord du ministère russe de la Culture pour sa formation et la prise en charge de son départ pour Moscou.

La temporalité de ces échanges et les informations qu’elles recèlent nous aident à reconstituer la chronologie des déplacements d’Ousmane Sembène. La première lettre adressée à Potekhine concernant son vœu de devenir réalisateur date d’avril 1961. La réponse du gouvernement soviétique tarde à arriver. La sollicitation de Sembène est en effet inhabituelle : ce sont généralement des accords interétatiques qui organisent les stages de formation en Union soviétique, comme cela a été le cas en 1959 pour deux techniciens envoyés par le gouvernement guinéen de Sékou Touré au Studio documentaire de Moscou. Par ailleurs, Sembène, déjà « âgé » de 39 ans, ne souhaite pas faire de longues études de cinéma, mais vise l’efficacité. Il n’est donc pas question pour lui de suivre le programme d’enseignement habituel du célèbre Institut du cinéma de Moscou (le VGIK), où étudient déjà plusieurs Africains. La lettre de janvier 1962 qu’il adresse au ministère de la Culture, en retour de la réponse positive qu’il a reçue, suggère l’urgence pour Sembène de maîtriser au plus vite les ficelles du métier de réalisateur. À peine a-t-il fini son prochain roman, fin janvier, qu’il compte se rendre à Moscou début février. L’utilisation du « je » et du « nous » dans sa lettre d’avril 1961 en dit long, nous semble-t-il, sur la manière dont Sembène envisage cette nouvelle carrière : « Voilà, je désire faire du cinéma : être réalisateur. Dans la situation présente je crois, pour nous, que le cinéma aura un grand rôle à jouer. » Dans plusieurs interviews postérieures à sa formation, Sembène a régulièrement rappelé qu’il était écrivain avant d’être cinéaste, qu’il préférait la littérature aux films (par exemple Diop et Charles 1993), mais que sa décision de se tourner vers le cinéma avait été dictée par le constat amer d’une faible diffusion de ses ouvrages en Afrique et surtout de leur réception très limitée au vu de la proportion encore trop importante d’analphabètes sur le continent africain. Le cinéma doit alors « jouer un rôle » essentiel d’éducation et de formation politique auprès de ce « nous », représenté par les populations africaines.

Finalement, Sembène ne se rend pas à Moscou en février 1962. Une note des renseignements du Service de coopération technique international de police, conservée aux Archives nationales à Paris, indique qu’il quitte la capitale française pour Moscou le 10 avril 19629. Il y restera jusqu’en août de la même année. Là-bas, il est accueilli au studio de cinéma Gorki, lieu de production tourné essentiellement vers les films pour enfants. On lui attribue alors la fonction d’assistant-réalisateur auprès de Mark Donskoï pour son film de fiction Bonjour, les enfants ! [Zdrastvyite, deti!] qui met en scène la rencontre, durant un camp de pionniers en Crimée, d’enfants de différentes nationalités d’URSS et d’ailleurs. Auprès de Donskoï, il observe les pratiques de fabrication d’un film, s’essaie aux techniques du cinéma et en profite sûrement pour étudier la société soviétique. Il a peu livré de récits précis sur ces six mois passés à Moscou. Par témoignages croisés, on sait qu’il fréquente quelques étudiants sénégalais présents également à Moscou10, ou encore la cinéaste franco-guadeloupéenne Sarah Maldoror qui se forme également auprès de Donskoï et dont le mari, Mario Pinto de Andrade, a été le complice de Sembène en 1958 à Tachkent, franchissant la frontière avec lui pour aller quelques jours en Chine. Il se lie aussi d’amitié avec le critique de cinéma Semion Tchertok, qui écrivit à son propos :

« À l’hiver 1962, au studio de cinéma moscovite Gorki, apparut un grand Noir barbu qui exprimait une volonté de travail extraordinaire. Il arrivait le matin avant tout le monde et repartait quand les bureaux et le plateau technique étaient vides. C’était le Sénégalais Sembène Ousmane. Tout l’intéressait : le montage, les répétitions, la lumière, la mise-en-scène, il voulait maîtriser chaque domaine du cinéma et, sous la direction de Mark Donskoï, il fit des progrès considérables » (Tchertok 1975, 60).

De retour au Sénégal, Sembène ne perd pas de temps et applique les enseignements de son maître. Son court-métrage Borom Sarret, qui suit un charretier sans le sou qui déambule dans les rues de Dakar, devant faire face à l’indifférence et à l’injustice, est primé dès décembre 1963 au Festival international du court-métrage de Tours. Sa carrière de cinéaste est lancée. Trois ans plus tard, il est à nouveau primé pour son moyen-métrage La Noire de… (1966), qui dépeint le lent effondrement psychologique d’une jeune femme dakaroise ayant suivi ses employeurs français en métropole. La dizaine de films qu’il réalise par la suite, jusqu’à Moolaadé produit avant son décès en 2007, et la reconnaissance internationale qu’il connaît, atteste de son inscription dans le milieu cinématographique. Régulièrement, dans les années 1960 et 1970, il a été invité à présenter ses films ainsi qu’à participer aux jurys des festivals internationaux du film de Moscou et celui des cinémas d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine organisé à Tachkent, renouant ainsi avec deux lieux emblématiques de la promotion de sa créativité littéraire (Razlogova 1995, 66-87 ; 2021, 661-680).

Ainsi, ces lettres tout autant que cette rencontre avec les écrivains soviétiques de l’Union des écrivains en octobre 1958 nous apprennent des éléments ignorés de la biographie de Sembène et font apparaître, derrière l’homme public, un homme dans son quotidien, traversé de questionnements et d’émotions diverses. Elles donnent chair à ces réseaux africano-soviétiques, trop longtemps perçus de l’extérieur uniquement sous l’angle de rapports diplomatiques très hiérarchisés. Au contraire, ici se sont des affinités intellectuelles et amicales qui transparaissent : savant, traductrice, écrivains soviétiques, militants et intellectuels sénégalais établirent les fondations de liens importants qui durèrent près de trois décennies avant de disparaître soudainement avec la fin de la Guerre froide et le démantèlement de l’URSS en 1991.

Sources

Document 1. Discussion entre Ousmane Sembène et les membres de l’Union des écrivains de l’URSS suite à une intervention d’Ousmane, le 20 octobre 1958 à Moscou11

Référence

RGALI, f. 631, op. 26, d. 6370, ll. 11-15, original en russe.

— Olga Graevskaja : Sembène Ousmane a dit qu’il y a aussi un groupe d’écrivains, tels Senghor, qui sont des représentants de la civilisation occidentale. Je voudrais poser la question à Ousmane à propos d’Alioune Diop, s’il le considère comme un écrivain africain authentique.

— Sembène Ousmane : Tout d’abord Alioune Diop n’est pas un écrivain. En ce qui concerne Senghor, c’est un homme qui n’a pas d’âme africaine, qui a reçu une éducation et une formation françaises pendant plusieurs années. C’est plus juste de considérer Senghor comme un bourgeois noir. Il faut dire que ce type de classe existe et que Senghor y appartient. Il écrit seulement dans cette perspective de classe, il écrit seulement ou surtout pour les colonisateurs. Maintenant son nom est connu en Afrique, car il est député du Sénégal à l’Assemblé nationale. Mais ses poèmes ne sont pas lus en Afrique, on les lit seulement en France et en particulier parmi une minorité de bourgeois. Dans notre syndicat de travailleurs africains on peut trouver tous les livres des auteurs africains sauf ceux de Senghor. Je pense que notre point de vue, notre position est la bonne. Nous considérons comme faux l’idée de Senghor qu’il faudrait penser les Noirs seulement en fonction de leur couleur de peau. Nous exigeons que le poète loue l’homme africain indépendamment de la couleur de sa peau. C’est très étrange pour nous d’entendre, quand nous sommes à l’étranger, que Senghor est un des plus grands poètes. David Diop, au contraire, est un bon poète. Il vit en Afrique et il mène une vie d’Africain. Pour nous il représente effectivement ce que doit être un poète africain, même s’il n’est pas membre du parti et ne participe pas à la lutte politique, nous le considérons comme un poète africain. Qu’est-ce que nous exigeons de nos écrivains ? Nous exigeons qu’ils écrivent en communion avec la vie telle qu’elle est vraiment. Mais Senghor est un bourgeois, c’est pourquoi il ne peut pas décrire la vie du peuple.

— V. Mouline : Est-ce qu’il y a une organisation d’écrivains réalistes en Afrique ?

— Sembène Ousmane : Nous espérons que dans les prochains mois et grâce à la conférence de Tachkent une telle association sera créée. À Tachkent, les interventions des écrivains d’Asie et d’Afrique avaient beaucoup de choses en commun. C’est très difficile et dangereux pour nous d’envoyer plusieurs délégués dans une conférence de ce type. Cela pouvait signifier pour nous finir notre vie en prison. Et on peut emprisonner une ou deux personnes, mais si une telle organisation était créée, on ne pourrait pas mettre tout un groupe d’écrivains en prison. […]

— M. Waksmakher : Quelles sont vos positions par rapport au journal « Présence africaine » ?

— Sembène Ousmane : L’esprit qui domine dans ce journal ne nous plaît pas et déjà le mot « présence » renvoie à une tentative d’appropriation. Nous sommes contre la position de ce mouvement, de ce journal, qui veut rassembler autour de lui tous les [intellectuels] noirs sans exception. C’est la raison pour laquelle les représentants de Présence africaine n’ont pas participé à la conférence de Tachkent, sachant que le président de ce mouvement est l’ambassadeur d’Haïti à Paris. Quand j’ai vu Alioune Diop, je lui ai posé la question de savoir pourquoi les représentants de son organisation ne participaient pas à la conférence de Tachkent. Il m’a répondu que leur mouvement réunissait les Noirs du monde entier, alors qu’à Tachkent il y avait seulement des représentants de l’Asie et de l’Afrique. Je lui ai aussi posé la question de savoir s’il s’agissait de son opinion personnelle ou de sa position en tant que président de la SAC. De notre discussion j’ai compris que le président de la société, Alioune Diop, et ses autres représentants ne voulaient pas participer à la conférence de Tachkent parce que Diop avait reçu un financement de dix millions de francs pour son journal par les colonisateurs français. Il va de soi que s’ils avaient participé à la conférence de Tachkent, ils ne pourraient plus compter sur ces financements. Alioune Diop croit qu’il faut écrire des livres sans y mêler la politique.

Document 2. Lettre d’Ousmane Sembène à Olga Graevskaja, 11 mai 1959

Référence

RGALI, f. 631, op. 26, d. 2848, ll. 6-7, original en français.

Marseille le 11 mai 1959

Chère Camarade Olga,

D’abord j’ai reçu toutes les photos, les trois volumes « Œuvres et opinions », qui m’ont énormément plu. Aussi je t’avais écrit plusieurs lettres qui sont restées sans suite. J’ai su par des Camarades africains qui étaient à Tachkent, que trois de mes poèmes avaient été lus à la Radio de Moscou dans une émission consacrée aux écrivains et poètes africains. Cela m’a fait un grand plaisir. Comme je te demandais dans mes deux précédentes lettres, j’aimerais que tu me donnes des renseignements sur ce que sont devenues les traductions de mes nouvelles et de mon roman Le Docker Noir par les éditions de Langues étrangères12. Je t’avais chargée de t’occuper de mes droits.
Voilà depuis mon retour que je suis sans nouvelles d’eux. J’ai écrit aussi au Comité de la Solidarité Afro-Asiatique13. J’ai de ce côté reçu tous mes livres. Quant à moi, mon livre sortira en septembre. J’ai été à Paris pour voir mon éditeur. Je pensais t’envoyer le manuscrit (le double pour la traduction). Comme je ne reçois rien de toi, il m’est très difficile d’entreprendre cette expédition. En outre, mon recueil de poèmes sera prêt en octobre. J’ai eu contrat libre avec mon éditeur. Ici aussi, je pourrais te faire parvenir le double.
Je pense toujours me rendre en Afrique. Mais je viens de commencer l’ébauche d’un nouveau roman et je désire qu’il soit le meilleur de tous ceux que j’ai faits jusqu’ici, afin qu’il soit prêt pour 1960, avant la 2nd conférence des écrivains d’Asie et d’Afrique. Toujours est-il que c’est un projet.
Donne-moi souvent de tes nouvelles. J’ai lu dans L’Humanité que le professeur W. Du Bois a le prix Lénine de la Paix. Cela nous remplit de joie.

Bien à tous les camarades.

Sembène Ousmane

Document 3. Lettre d’Olga Graevskaja à Ousmane Sembène, 17 juin 1959

Référence

RGALI, f. 631, op. 26, d. 2848, ll. 8-9, original en français.

Moscou, le 17 juin 1959

Cher camarade Ousmane !

Je ne comprends pas pourquoi ma réponse ne t’a pas atteint. Je n’ai eu de toi qu’une lettre et je t’ai écrit aussitôt. Est-il possible que les lettres s’égarent ?
Les éditions de la littérature étrangère m’ont informé que la publication de ton roman « Le Docker Noir » n’est pas encore décidée définitivement. Les nouvelles sont encore chez le traducteur. J’ai eu le bruit qu’une de nos éditions a l’intention de rééditer, « O Pays, mon beau peuple ». Je te donnerai des nouvelles sur ce sujet sitôt que la question sera décidée. Ils ont choisi la traduction publiée dans la revue « L’Amitié des peuples ». C’est ainsi que je suis contente pour toi et pour moi à la fois.
Je voudrais beaucoup avoir une copie du manuscrit de ton nouveau roman. Quel est son sujet et comment tu l’abordes ? Tout ça nous intéresse infiniment. J’espère que c’est un bon livre qui attirera l’attention de nos lecteurs.
Comment vas-tu ? Comment estimes-tu les résultats du Congrès de Rome ? J’aimerais savoir tes avis sur ce sujet. Et donne-moi de tes nouvelles, et moi, je vais écrire plus souvent.

Bien fraternellement,

Olga Graevskaja

Document 4. Lettre d’Ousmane Sembène à Olga Graevskaja, 30 juin 1959

Référence

RGALI, f. 631, op. 26, d. 2848, ll. 11-12, original en français.

Marseille, le 30 juin 1959

Chère camarade Olga,

Je suis très heureux d’avoir de tes nouvelles. Pour les éditions de la littérature étrangère, j’attends. Pour la réédition de « O ! Pays, mon beau peuple », j’en serai aussi content quand le projet se réalisera, ce que je souhaite vivement.
Pour mon livre – celui qui doit paraître – je t’en ai déjà parlé. Il s’agit d’une grève. La première en Afrique noire. C’est basé sur des faits vrais. Bien entendu, j’ai dû romancer quelques passages. L’histoire en elle-même se situe en 1946-47, juste après la grève des cheminots – la fraction ouvrière la plus importante de l’Afrique occidentale, auxquels se joignent d’autres corporations. Et voilà que, sans but fixe si ce n’est revendicatif, sans connaissance consciente de leur force, la classe ouvrière sans guide, décide un mouvement général. Le long des jours et des mois, ils se découvrent, avec leur faiblesse, l’héritage féodal, la superstition, leur manque de principe, sans parti, comme le dit Lénine : des révoltés non des révolutionnaires. Il y a aussi le soutien des femmes. Car les ouvriers sont presque tous des polygames. Tout ceci alourdit leur lutte. Ceci est l’intérieur du mouvement. Pour le côté extérieur, il y a l’administration coloniale avec ses armées, terre, mer, ses agents de police, la fermeture des bornes-fontaines où les épouses venaient chercher l’eau, l’interdit à tout commerçant de ne plus faire crédit aux familles des grévistes.
Et voilà en peu de mots, ce prochain roman qui doit faire d’après l’éditeur six à sept cents pages.
Je prépare la suite. Car de ce mouvement sont parties toutes les activités révolutionnaires sur le continent africain sous domination française. Crois ce qu’il te plaira. Entre autre pour ce premier (?), j’ai mis deux ans à le faire. Même pendant mes deux séjours à Moscou en 1957, je travaillais là-dessus. À Dakar, les camarades ont adapté les parties pour le théâtre.
Pour les éditions, depuis février 1959, le manuscrit est chez l’éditeur. Tu sais ici comment sont les choses, anti-colonialistes. Je ne l’ai pas donné aux Editeurs réunis pour la simple raison que je risque d’avoir une audience très restreinte et cela, j’en ai discuté avec Pierre Abraham14. Il devient pour nous Africains de plus en plus dur de se faire éditer en France. Je sais que je pourrais trouver cela en URSS mais mes écrits ne seront pas lus par mes camarades africains.
Vers la fin de juillet – toujours d’après l’éditeur – j’aurai deux jeux d’épreuves. Alors je t’en enverrai, et tu jugeras toi-même.
En attendant, je t’envoie deux poèmes et un conte pour enfants – des histoires d’animaux. J’en ai beaucoup de ce genre. J’en fais pour des revues ou autre chose. Ne pourrais-tu pas me dire si je pourrais faire éditer mes poèmes. J’en ai aussi. Bien entendu, il faut d’abord qu’on les approuve.
Maintenant j’en viens au Congrès de Rome. J’avoue que ce n’est pas une réussite, en dépit de la bonne volonté de Jean Marcenac15, des « Lettres françaises ». Le problème concernant la lutte pour l’indépendance n’a pas été abordé. Tout a été fait avant même les assises. C’est l’argent des impérialistes (?) Italiens ! Tout était payé par eux. Certains camarades ont dû payer leurs voyages pour être présents. Moi-même, j’ai emprunté à une Camarade du Parti 40.000 francs pour y être et je ne sais quand je la rembourserai. Le délégué des étudiants africains aussi a payé son voyage. Un rapport m’a été demandé. J’en ai fourni un pour « un Front culturel pour l’indépendance ». Mais Alioune Diop prétextant que mon rapport serait publié – d’après la commission chargée de lire les rapports, a déclaré qu’il n’était pas nécessaire de le lire. Par la suite, j’ai su qu’il n’était pas traduit en anglais. Heureusement que Sékou Touré a envoyé son rapport enregistré - c’est ce qui sauva la face. Sinon, c’est le refus total des intellectuels noirs – la majorité – de rejoindre la lutte libératrice. Avec le délégué des étudiants, il a fallu lutter contre tous, pour faire accepter une motion condamnant la guerre d’Algérie, l’expérience éventuelle d’une bombe atomique française au Sahara.
En commission littérature, où j’étais, la délégation du Ghana refusa que Présence [ndlr : Présence africaine] noue des rapports avec le bureau de la conférence de Tachkent. Même, ils menacèrent de s’en aller si Présence nouait des relations dans le futur avec le bureau afro-asiatique. Tu te souviens que Présence n’a pas même envoyé un télégramme à Tachkent. Cela aussi a été abordé mais j’avoue que c’était un échec. Je crois que les camarades progressistes ont bien lutté. Je te joins la motion sur les évènements.

Je parle trop – Bien fraternellement
à toi

Sembène

Document 5. Lettre d’Ousmane Sembène à Ivan Potekhine, 15 juin 1959

Référence

GARF, f. 9576, op. 12, d. 39, ll. 77-78, original en français.
http://opisi.garf.su/default.asp?base=garf&menu=2&v=7&node=152&cd=2152748&fond=1005&opis=1009&delo=199334.

Marseille le 15 juin 59

Monsieur le Président

J’ai bien pris connaissance de l’information m’apprenant la création d’une association soviétique pour l’amitié avec les peuples de l’Afrique.
Il y a 3 à 4 jours j’écrivais à M. Boris Afanassiev, directeur de la revue de l’Union des écrivains de l’U.R.S.S., « Œuvres et opinions » pour lui suggérer la création d’une revue ou quelque chose dans ce genre pour une rencontre d’écrits entre tous les écrivains d’Asie, et d’Afrique, avec les citoyens soviétiques, même j’avais souhaité que ma lettre soit en partie publiée dans la revue. Maintenant je vois après votre lettre que ce phénomène né du désir d’une compréhension mutuelle réciproque, a trouvé un large écho dans tous les milieux.
Mr le Président, permettez-moi de vous féliciter et de vous faire savoir que vos œuvres vous ont déjà précédé sur la voie de l’estime dans tous les milieux africains. Vos travaux occupent une grande place dans toutes les discussions, les conférences se tenant soit dans le milieu estudiantin, soit prolétarien. Donc cela assure à notre collaboration un succès par sa portée progressiste et révolutionnaire.
D’abord je vous avouerai qu’actuellement, les mouvements de jeunes, les syndicats, les écrivains ne possèdent pas encore un organe de diffusion. Les deux journaux que nous possédons, La « Lutte » journal du P.A.I – Parti africain de l’indépendance – Parti marxiste, « L’étudiant Noir », organe de la fédération des étudiants d’Afrique noire, seront mis au courant. Quant aux syndicats, leurs problèmes sont soulevés dans la presse, je les informerai néanmoins.
D’autre part, vous pouvez aussi envoyer la circulaire aux adresses suivantes : M. Emile X, Docteur à l’hôpital de Lomé – Togo – 2e Seydou X 108, bis rue de Bayeux – Dakar – Sénégal – 3e – Amadou X 19, rue de Douville – Toulouse. Ces compatriotes entreront en contact pour créer provisoirement un bureau, en Afrique de l’Ouest, en Guinée j’informerai tous les milieux. Quant aux écrivains la plupart sont exilés ou en Afrique ramassant des matériaux pour leurs œuvres futures. Ceux-là seront difficiles à toucher, vu la répression morale et physique dont ils sont souvent victimes.
Quoiqu’il en soit, mon parti – Parti Africain de l’indépendance – nous souscrivons pour toute notre vie dans l’œuvre et sommes très heureux de nous inspirer de la lutte des peuples de l’U.R.S.S, qui ont donné un exemple au monde entier. Personnellement je m’emploierai à faire connaître à mon peuple, les belles réalisations accomplies dans votre pays, et à travailler pour la paix et l’amitié.
Je vous prie, Monsieur le Président ainsi que vos collaborateurs de trouver en moi-même, un authentique ami. Transmettez mes salutations les meilleures au professeur Olderoggue pour la traduction de « Fils du Sénégal » et à l’écrivain Sofronov et faites-lui savoir que je m’inquiète de son silence, car j’ai écrit au Comité de Solidarité des Pays d’Asie et d’Afrique, et attends la réponse d’eux depuis le début de l’année.
J’espère que j’aurai de vos nouvelles le plus fréquemment possible, et suis à votre disposition pour tout ce qui peut aider à la compréhension des peuples d’Afrique avec la Russie.

Sembène

Document 5, 1/2 : Sembène à Potekhine (Marseille, 15 juin 1959)

Document 5, 1/2 : Sembène à Potekhine (Marseille, 15 juin 1959)

Document 5, 2/2 : Sembène à Potekhine (Marseille, 15 juin 1959)

Document 5, 2/2 : Sembène à Potekhine (Marseille, 15 juin 1959)

Document 6. Lettre d’Ivan Potekhine à Ousmane Sembène, 15 septembre 1959

Référence

GARF, f. 9576, op. 12, d. 39, l. 82, copie en français.
http://opisi.garf.su/default.asp?base=garf&menu=2&v=7&node=152&cd=2152748&fond=1005&opis=1009&delo=199334.

Moscou, le 15 septembre 1959

Cher ami,

J’ai un grand plaisir d’accuser réception de votre lettre en 15 juin a.c. dont je vous remercie vivement. À mon regret je n’ai pas pu vous répondre à temps étant en long voyage à travers du pays.
Au nom de l’Association Soviétique pour l’amitié avec les peuples de l’Afrique et à mon nom personnel je vous remercie pour les journaux et revues que vous m’avez envoyés à notre adresse. Ces éditions nous intéressent beaucoup et nous serions heureux de les recevoir dans l’avenir.
C’est avec plaisir que nous enverrons nos lettres et colis de livres à vos amis du Togo et au Sénégal.
Je saisis l’occasion pour vous exprimer, cher ami, nos souhaits sincères de succès dans votre activité au bien de votre peuple.

Ivan Potékhine,
Président de l’Association

Document 6 : Potekhine à Sembène (Moscou, le 15 septembre 1959)

Document 6 : Potekhine à Sembène (Moscou, le 15 septembre 1959)

Document 7. Lettre d’Ousmane Sembène à Ivan Potekhine, 6 février 1960

Référence

GARF, f. 9576, op. 12, d. 76, l. 178, original en français.
http://opisi.garf.su/default.asp?base=garf&menu=2&v=7&node=152&cd=2152748&fond=1005&opis=1009&delo=199371.

Marseille le 6 février 1960

Cher président

Je m’excuse de ce long silence ; j’avais à achever un roman, qui me prenait le plus souvent toutes mes heures de loisir. J’ai reçu votre lettre de fin de vacances ; et en outre j’avais lu dans les « NOUVELLES DE MOSCOU »16 les soirées organisées en l’honneur des écrivains et poètes africains. Je vous remercie au nom de notre pays… et mes compatriotes se joignent à moi pour vous encourager. D’autre part, votre article dans le N° spécial sur l’Afrique Noire – dans le cadre des pays sous-développés est pour nous riche d’enseignement. Nous-mêmes, par le fait que nous ne pouvons, dans notre quasi – majorité, avoir accès à ces documents – nous nous servons de votre article.
Je vous le répète, disposez de moi. Et je vous prie de transmettre toutes mes salutations à votre association.
Je vous signale qu’à Dakar, il existe une association d’amitié avec les peuples de l’U.R.S.S.
Cher président, recevez, vous, votre comité et les peuples soviétiques mes sincères souhaits que le chemin tracé par votre peuple devienne pour les peuples de la terre, le chemin de l’exemple, que cette année voit fleuri l’arbre de la paix.

Sembène Ousmane

Document 7 : Sembène à Pothekine (Marseille, 6 février 1960)

Document 7 : Sembène à Pothekine (Marseille, 6 février 1960)

Document 8. Lettre d’Ivan Potekhine à Ousmane Sembène, 4 avril 1960

Référence

GARF, f. 9576, op. 12, d. 76, ll. 183-184, copie en français.
http://opisi.garf.su/default.asp?base=garf&menu=2&v=7&node=152&cd=2152748&fond=1005&opis=1009&delo=199371.

Le 4 avril 1960

à M. Sembène Ousmane
49, rue Sylvabelle
Marseille
France

Mon cher Sembène Ousmane,

Il est évident que vous et moi, nous sommes des hommes bien occupés. Vous vous excusez de votre long silence. Et maintenant c’est mon tour de vous présenter mes excuses. J’ai été comme vous bien occupé. Et c’est un fait tout à fait compréhensible. L’Afrique marche en avant aux grands pas. Les peuples d’Afrique veulent rattraper leur retard dû au colonialisme, ils veulent s’avancer avec des autres peuples du monde. Et c’est pourquoi nous qui sommes liés aux affaires africaines, nous devons aussi nous dépêcher.
Il m’est agréable de vous faire savoir que votre nom est bien connu dans notre pays. Dans l’annexe à cette lettre vous trouverez la liste de vos œuvres éditées en Union Soviétique.
Notre Association fera tout le possible pour faire connaître aux Soviétiques la poésie et la prose africaines. Il y a quelque temps j’ai vu à Rome M. M. Alioune Diop, Léopold Senghor et Aimé Césaire et leur fournit une information détaillée sur les éditions des auteurs africains en russe et en d’autres langues des peuples de l’U.R.S.S. Parfois nous sommes empêchés dans notre travail par le manque d’information sur les nouvelles éditions des poètes et écrivains africains. Nous nous adressons à tous nos amis africains avec la demande de nous fournir de pareilles informations. Mais je voudrais attirer votre attention encore sur un problème. Les belles lettres soviétiques sont très peu connues en Afrique. Il n’y a pas d’éditions de littérature russe en langues africaines (quant aux traductions on peut les faire du français ou de l’anglais). Je n’ignore pas les difficultés de ce travail. Mais l’exemple de Lily Baeta qui a traduit et a publié en langue « ewe » les nouvelles de Lev Tolstoi nous montre bien qu’on peut y faire quelque chose. Nous serions bien heureux si nos amis africains trouvaient quelque moyen de popularisation de nos belles lettres en Afrique.
Les peuples d’Afrique et d’U.R.S.S doivent mieux se connaître. Ils doivent mieux connaître les réalisations culturelles des peuples amis. C’est une tâche bien noble. Cela aiderait nos peuples à mieux connaître le mode de vie et la mentalité des autres et renforcer des liens d’amitié existant entre les peuples.
C’est avec un très vif plaisir que j’ai lu dans votre lettre les paroles : « Recevez [cher camarade] mes sincères souhaits que le chemin tracé par votre peuple devienne pour les peuples de la terre le chemin de l’exemple ». Mais, malheureusement en Afrique on connaît encore très peu de choses sur la vie de notre peuple. Notre Association essaye d’aider nos amis africains à dire la vérité sur l’Union Soviétique à tous ceux qui s’y intéressent. Et maintenant tous les gens honnêtes s’y intéressent.
Allons œuvrer ensemble à cette tâche et que fleurisse l’arbre de la paix !

Votre dévoué

I. Potekhine
Président de l’Association

Document 8, 1/2 : Pothekine à Sembène (4 avril 1960)

Document 8, 1/2 : Pothekine à Sembène (4 avril 1960)

Document 8, 2/2 : Pothekine à Sembène (4 avril 1960)

Document 8, 2/2 : Pothekine à Sembène (4 avril 1960)

Document 9. Liste des romans, nouvelles et recensions des romans d’Ousmane Sembène publiés en URSS (1960)

Référence

GARF, f. 9576, op. 12, d. 76, l. 185, copie en français.
http://opisi.garf.su/default.asp?base=garf&menu=2&v=7&node=152&cd=2152748&fond=1005&opis=1009&delo=199371.

1. Ousmane, S.
Le fils du Sénégal. Roman. Traduit du français par S. Volk. Moscou, Ed. Molodaya gvardia, 1958. (Tirage – 90. 000 exemplaires)

2. Ousmane, S.
« Le fils du Sénégal. Un chapitre du roman avec quelques mots sur l’auteur ».
Moskovskaya pravda, 23 / IX, 1958.

3. Ousmane, S.
« Le fils du Sénégal. [Et] « Quelques morceaux du roman O pays, mon beau peuple ». Traduit du français par S. Volk. Autour du monde, 1958, N.9.

4. Ousmane, S.
« O pays, mon beau peuple ». Roman. Traduit du français par S. Volk. L’Orient contemporain, 1958, N.4

5. Ousmane, S.
« O pays, mon beau peuple ». Roman. Traduit du français par O. Graevskaja et D. Karavkine. L’Amitié des peuples, 1958, N. 9, 10.

6. Ousmane, S.
O pays, mon beau peuple. Roman. Traduit du français par O. Graevskaja et D. Karavkine. Moscou, Ed. Goslitizdat, 1959. (Tirage – 500.000 exemplaires)

7. Ousmane, S.
« O pays, mon beau peuple. Un morceau de roman ». Tadjikistan, 1958, N.8.

8. Ousmane, S.
Le piège. Nouvelle. Traduit du français par S. Volk. Leninskaya smena, 12. X. 1958

9. Ousmane, S.
« La mère ». Nouvelle. Traduit du français par S. Volk. L’Orient contemporain, 1958, N.7.

10. Ousmane, S.
« L’amour maternel ». Nouvelle. Zanoni Totchikiston, 1958, N.9.

11. Ousmane, S.
« Les doigts ». Traduit par L. Nekrasova. Gazette littéraire, I. XII, 1959.

Document 9 : Liste des œuvres de Sembene Ousmane éditées en URSS

Document 9 : Liste des œuvres de Sembene Ousmane éditées en URSS

Document 10. Lettre d’Ousmane Sembène à Ivan Potekhine, 21 avril 1960

Référence

GARF, f. 9576, op. 14, d. 1, l. 126, original en français.
http://opisi.garf.su/default.asp?base=garf&menu=2&v=7&node=152&co=491783&cd=2152757&fond=1005&opis=1136&delo=795381.

Paris, le 21 Avril 1960

Cher Président et camarade,

D’abord, c’est en reconnaissance de vos activités innombrables que je ne m’inquiétais pas de votre silence, d’autre part, j’avais une lettre de votre secrétaire (de l’Association U.R.S.S avec les peuples d’Afrique).
En outre, en arrivant à Paris le 1er Mars, m’étant rendu à Présence Africaine, j’ai appris par Alioune Diop que vous veniez de partir la veille pour Moscou. J’ai eu des regrets de ne vous avoir pas rencontré… Enfin, je sais que cela n’est que partie remise. Par ailleurs, j’ai reçu votre brochure sur les manifestations et les lettres de sympathie vous arrivant d’un peu partout dans cette immense Afrique. Je pense qu’en juin vous recevrez un exemplaire de mon dernier roman qui paraîtra à cette date. Je suis très content que quelques-uns de mes écrits puissent être lus en U.R.S.S. Ceci traduit la haute culture et la sympathie bienveillante de votre peuple, et le soutien moral que tous les peuples accordent aux pays encore sous le joug des Impérialistes.
Le point très important de votre lettre, c’est-à-dire de faire connaître les Belles Lettres Russes dans les langues vernaculaires, se fait comprendre et élève en même temps mon admiration pour l’Africaniste que vous êtes.
Il y a un an, l’Association Estudiantine Sénégalaise, section de la F.E.A.N.F (Etudiants d’Afrique Noire) avec l’aide et le soutien de quelques intellectuels a édité un syllabaire ouolof, à l’usage des Sénégalais. Depuis un an des groupes se sont formés pour apprendre ce Syllabaire. Il est vrai que ce travail rencontre des obstacles :
Primo, Senghor actuel chef du Gouvernement du Sénégal fait tout sous la dictée des impérialistes pour étouffer l’enseignement dans la langue du pays et interdire l’introduction du syllabaire dans les écoles du Sénégal. Secundo, une minorité d’intellectuels animés de l’esprit petit-bourgeois, déracinés, s’en désintéressent complètement. Voilà donc en gros, les deux points à surmonter. Mais je peux vous dire que les « Belles Lettres Russes » sont très goûtées par les progressistes : en un mot, nous possédons une librairie marxiste à Dakar où sont vendus les ouvrages édités en U.R.S.S. ou par les Editions Sociales à Paris. Il est vrai que c’est par le truchement de la langue française que sont lues les Belles Lettres.
Un autre aspect : à Dakar il y a une association récemment créée, pour l’amitié avec les peuples de l’U.R.S.S. Il va sans dire que ladite association œuvre pour faire connaître les réalisations des Républiques Socialistes. Il ne nous échappe pas que pour faire partager toutes vos richesses et nous en inspirer, nous devons – et c’est ce que nous faisons – revenir à la langue du pays.
Personnellement je travaille à l’adaptation de la pièce de Gorki « Les bas-fonds » en langue Ouolof. J’espère y arriver d’ici un an. Je vous signale que je rentre en Afrique, et de là j’espère être en mesure de vous faire connaître l’activité de notre Association avec les peuples d’U.R.S.S.

Cher Président et camarade, vous et vos collaborateurs, recevez nos encouragements sans borne.

Je vous donne mon adresse : Voici mon adresse à Dakar :
Mr Sembène Ousmane s/c Mr El Hadji Moctar N’Diaye Rue 33 x26. Dakar. Sénégal.

Document 10, 1/2 : Sembène à Pothekine (Paris, 21 avril 1960)

Document 10, 1/2 : Sembène à Pothekine (Paris, 21 avril 1960)

Document 10, 2/2 : Sembène à Pothekine (Paris, 21 avril 1960)

Document 10, 2/2 : Sembène à Pothekine (Paris, 21 avril 1960)

Document 11. Lettre d’Ivan Potekhine à Ousmane Sembène, le 16 juillet 1960

Référence

GARF, f. 9576, op. 14, d. 1, l. 125, copie en français.
http://opisi.garf.su/default.asp?base=garf&menu=2&v=7&node=152&co=491783&cd=2152757&fond=1005&opis=1136&delo=795381.

Moscou, le 16 juillet 1960

Mr. Sembène Ousmane
S/C Mr. El Hadji Moctar N’Diaye
Rue 33 x 26,
Dakar, Sénégal
Fédération du Mali

Cher camarade,

Votre lettre du 21 avril dernier m’a fait beaucoup de joie. Je voudrais d’abord vous exprimer mes remerciements les plus vifs et ceux de notre Association pour le travail d’adaptation de la pièce de Gorki Les bas-fonds en langue Oulof. Cette entreprise a une très grande importance pour le renforcement des liens culturels entre nos peuples. Il est très significatif que la pièce de Gorki Les bas-fonds sera probablement l’un des premiers livres édités en langue Oulof. Donner au peuple la possibilité de lire en sa propre langue maternelle - voilà une tâche magnifiquement bien noble. Vous savez pour sûr qu’avant la révolution dans notre pays il y avait beaucoup de peuples illettrés. Ces peuples ont rencontré la création de leur écriture comme le bien le plus grand. C’était pour eux une vraie révolution culturelle. J’espère que les intellectuels africains ne ménagent pas leurs forces pour transformer des langues de leurs peuples en langues littéraires. J’ai le syllabaire Oulof. Croyez-moi, cher ami, que j’ai été très content quand je l’ai reçu. Maintenant nous aussi, nous allons apprendre cette langue. Je vous serais bien reconnaissant si vous aurez pu nous envoyer encore quelques manuels et documentations.
Je me réjouis du fait de la création à Dakar de l’Association pour l’amitié avec les peuples de l’U.R.S.S.
Si votre Association a besoin de quelque aide, écrivez-nous s’il vous plaît. Nous tâcherons de faire tout le possible.
Il est bien regrettable que nous n’ayons pu nous rencontrer à Paris. Mais je partage entièrement votre espoir que nous aurons encore cette possibilité à Moscou, à Dakar ou ailleurs.
Veuillez agréer, cher camarade, mes sincères salutations amicales.

I. Potekhine
Président de l’Association

Document 11. Potekhine à Ousmane Sembène (Moscou, 16 juillet 1960)

Document 11. Potekhine à Ousmane Sembène (Moscou, 16 juillet 1960)

Document 12. Lettre d’Ousmane Sembène à Ivan Potekhine, 20 avril 1961

Référence

GARF, f. 9576, op. 14, d. 1, l. 126, original en français.
http://opisi.garf.su/default.asp?base=garf&menu=2&v=7&node=152&co=491783&cd=2152757&fond=1005&opis=1136&delo=795381.

Sembène Ousmane
c/o El Hadj Moctar N’Diaye
Rue 33 x 26 Médina
Dakar-Sénégal

Dakar, 20 avril 1961

Cher Camarade Président

C’est avec plaisir que je reprends la plume pour faire part de mon retour de mon périple. J’ai visité la Guinée, le Mali, la Haute Volta, le Niger, le Nigéria, le Tchad, la République Centrafricaine, le Congo-Lumumba, le Congo ex français, les deux Kamerun, Nigéria encore, Dahomey, le Togo, le Ghana, Cote d’Ivoire, Libéria, et puis je suis de retour au Sénégal. Ce n’est pas pour vous dire tout cela que je vous écris. Je veux reprendre notre correspondance, puis j’ai à solliciter une bourse.
Voilà, je désire faire du cinéma : être réalisateur. Dans la situation présente je crois, pour nous que le cinéma aura un grand rôle à jouer. Donc je voudrais venir à Moscou pour trois à cinq mois, assister à des réalisations cinématographiques et aussi avec mes droits d’auteur acheter du matériel. J’ai notre équipe de théâtre qui pour l’instant est en mesure de jouer des petits rôles dans des films progressistes, mais nous tous sommes des sans-argent.
Alors je pense que cela pourra nous aider. Aussi je ne sais pas si vous avez reçu mon dernier roman. Néanmoins, j’ai vu lors de sa dernière visite au Sénégal Vladimir Kouznetsov. Nous sommes restés un bon moment, car je lui servais de guide, et je le lui ai dit. Aussi, il vous transmettra mon dernier ouvrage.
Espérant avoir une réponse et étant prêt à venir, je vous prie cher camarade Président d’agréer tous mes respects.

Sembène

Document 13. Lettre d’Ivan Potekhine à Ousmane Sembène, 20 mai 1961

Référence

GARF, f. 9576, op. 14, d. 1, l. 125, copie en français.
http://opisi.garf.su/default.asp?base=garf&menu=2&v=7&node=152&co=491783&cd=2152757&fond=1005&opis=1136&delo=795381.

M. Sembène Ousmane
C/O El Hadj Moctar N’Diaye
Rue 33x26 Médina
Dakar
République du Sénégal

Moscou, le 20 mai 1961

Cher ami,

C’est avec un réel plaisir que j’accuse réception de votre lettre en date du 20 avril a.c. Je profite de l’occasion pour vous remercier de votre dernier ouvrage transmis à moi par Vladimir Kouznétsov, et de vous transmettre des salutations amicales de la part des touristes soviétiques et remerciements pour votre attention à leur égard.
En ce qui concerne votre visite à Moscou pour passer un stage je peux vous informer que nous sommes en train d’en étudier les possibilités dont les résultats vous seront communiqués plus tard.
Dans l’attente de vos nouvelles je vous prie d’agréer, cher ami, mes salutations amicales les plus sincères.

I. Potekhine
Président de l’association

Document 14. Lettre de Ousmane Sembène à Ivan Potekhine, 18 novembre 1961

Référence

GARF, f. 9576, op. 14, d. 1, l. 202, original en français.
http://opisi.garf.su/default.asp?base=garf&menu=2&v=7&node=152&co=491783&cd=2152757&fond=1005&opis=1136&delo=795381.

Paris, le 18 novembre 1961

Cher Président

Voilà presque plus de trois mois que je reprends notre correspondance : depuis Dakar. Au fait, j’avais énormément voyagé à l’intérieur du pays, pour me documenter, et comme j’ambitionne de faire du cinéma, je voulais repérer certains coins qui s’harmonisent avec mes idées.
Depuis un mois je suis à Paris. D’ailleurs, le lendemain de mon arrivée, j’ai rencontré Letnev Artem à Présence africaine. Il se préparait à rentrer à Moscou. Il devait vous transmettre mes salutations.
Depuis ma demande de renseignement pour faire un stage cinématographique, j’attends de vous un mot. Ici, j’ai des propositions mais comme toujours, ces propositions sont assorties de conditions : je dois logiquement faire un stage de 4 à 5 mois à l’institut. Mais tout d’abord je dois prendre une lettre de mon gouvernement. Or, dans le cas présent je crains de compromettre mes activités antérieures et à venir. J’ai vu Georges Sadoul qui aussi fait des pieds et des mains pour empêcher d’avoir à prendre certains engagements avant même d’avoir réalisé un film. Avec Sadoul, il m’a fait comprendre, pour mon stage. Je peux bien travailler pendant un temps aux instituts soviétiques. Car je ne tiens pas à faire 2 à 3 ans dans une école. Je ne sais pas ce que vous en pensez.
Indépendamment à ceci, j’ai un autre roman qui est chez l’éditeur. Il doit paraître dans quelques mois et je progresse actuellement la suite (le tome 2).
Je vous prie Camarade Président, de recevoir toutes mes salutations et mes respects. Bon courage dans votre travail de guide.

Sembène Ousmane

Document 15. Lettre d’Ousmane Sembène au ministre de la Culture de l’URSS, 4 janvier 1962

Référence

GARF, f. 9576, op. 14, d. 43, l. 1, copie en russe.
http://opisi.garf.su/default.asp?base=garf&menu=2&v=7&node=152&co=491783&cd=2152757&fond=1005&opis=1136&delo=795166.

Paris, le 4 janvier 1962

À Monsieur le Ministre de culture de l’URSS17

Cher Monsieur,

J’ai reçu votre lettre annonçant que Vous êtes d’accord à ce que je fasse un stage de cinéma dans un studio à Moscou.
Je voudrais Vous répondre que j’accepte Vos conditions. Je Vous signale néanmoins que je suis en train de finir un roman, probablement fin janvier. J’espère être à Moscou début février, vers le 10 du mois. Je Vous prie aussi de me signaler ce que je dois faire pour me rendre à Moscou du moment que je n’ai pas les moyens pour payer mon billet. Mon passeport est en ordre.
J’attends Votre réponse avec impatience et serai en contact avec l’Ambassade de l’URSS.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de ma considération distinguée.

Sembène Ousmane

1 Pour un accès à ces inventaires en ligne et en russe, voir https://rgali.ru/obj/11611263[archive]et https://rgali.ru/obj/11611265[archive].

2 Les documents à propos des relations avec l’Afrique se trouvent dans les inventaires 12, 13 et 14. Pour un accès à ces inventaires en russe en

3 Ces informations biographiques ont été réunies grâce à un document d'archive de l'Administration militaire soviétique en Allemagne (SVAG) à

4 Nous tenons à remercier pour ces informations Elena Filipova, directrice de recherche à l'Institut d'ethnologie et d'anthropologie de l'Académie

5 Cette polémique autour du wolof atteint son paroxysme lorsque le film de Sembène, Ceddo, réalisé en 1976, est interdit par le gouvernement de

6 De cette expérience Sembène tirera un livre : Le Docker noir (Sembène 1957a).

7 Paulin Vieyra, Présence Africaine à Rome, 1959.

8 Real. Danny Glover, 2009.

9 AN Cote 19930450/4, Dossier 434 OUSMANE Sembene.

10 Alassane Wade, alors étudiant à l’École des Ponts et Chaussées de Moscou à partir de 1960, découvre l’œuvre de Sembène Ousmane à Moscou grâce à un

11 La plupart des documents présentés ont été transcrits par Eric Skalecki, du Centre d'histoire sociale des mondes contemporains, que nous

12 Il s’agissait des Éditions Littérature étrangère, Inostrannaja Literatura.

13 Il s’agissait du Comité soviétique de solidarité avec les pays d’Asie et d’Afrique, fondé à Moscou en 1956 et fonctionnant sous les auspices du

14 Le journaliste et écrivain Pierre Abraham fait partie dans les années 1950 de la commission des intellectuels de la section nationale du PCF. Il s

15 Jean Marcenac (1913-1984), écrivain, et homme de lettres, membre du PCF et contributeur de la publication financée par le PCF Les Lettres

16 Les Nouvelles de Moscou, hebdomadaire publié après la Seconde Guerre mondiale en anglais (Moscow News) et en français, puis à partir de la fin des

17 Il y avait certainement un malentendu parce qu’à la tête du ministère se trouvait une femme, Ekaterina Fourtseva.

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1 Pour un accès à ces inventaires en ligne et en russe, voir https://rgali.ru/obj/11611263[archive]et https://rgali.ru/obj/11611265[archive].

2 Les documents à propos des relations avec l’Afrique se trouvent dans les inventaires 12, 13 et 14. Pour un accès à ces inventaires en russe en ligne : http://opisi.garf.su/default.asp?base=garf&menu=2&v=5&node=152&cf=605402&co=462834&fond=1005&opis=1009 [archive], http://opisi.garf.su/default.asp?base=garf&menu=2&v=5&node=152&cf=605402&co=462834&fond=1005&opis=1010 [archive], http://opisi.garf.su/default.asp?base=garf&menu=2&v=5&node=152&cf=605402&co=462834&fond=1005&opis=1136 [archive].

3 Ces informations biographiques ont été réunies grâce à un document d'archive de l'Administration militaire soviétique en Allemagne (SVAG) à laquelle V. Moulin fut rattaché, voir http://statearchive.ru/assets/files/Svag_sprav/08-r04.pdf [archive]

4 Nous tenons à remercier pour ces informations Elena Filipova, directrice de recherche à l'Institut d'ethnologie et d'anthropologie de l'Académie des sciences de Moscou.

5 Cette polémique autour du wolof atteint son paroxysme lorsque le film de Sembène, Ceddo, réalisé en 1976, est interdit par le gouvernement de Senghor sous prétexte que le titre aurait été mal orthographié en wolof. Sur l'utilisation du français et du wolof par Sembène, voir Niang et Sembene (2013).

6 De cette expérience Sembène tirera un livre : Le Docker noir (Sembène 1957a).

7 Paulin Vieyra, Présence Africaine à Rome, 1959.

8 Real. Danny Glover, 2009.

9 AN Cote 19930450/4, Dossier 434 OUSMANE Sembene.

10 Alassane Wade, alors étudiant à l’École des Ponts et Chaussées de Moscou à partir de 1960, découvre l’œuvre de Sembène Ousmane à Moscou grâce à un étudiant soviétique de sa promotion. Lors du stage de Sembène à Moscou, Alassane Wade rejoint régulièrement l’écrivain qui réunit autour de lui d’autres étudiants sénégalais. Entretien réalisé avec Alassane Wade par Gabrielle Chomentowski à Dakar en juin 2019. L’autrice tient à remercier Alassane Wade du temps et de la confiance qu’il lui a accordés.

11 La plupart des documents présentés ont été transcrits par Eric Skalecki, du Centre d'histoire sociale des mondes contemporains, que nous remercions. Nous avons mis un point d'interrogation en cas de mot illisible.

12 Il s’agissait des Éditions Littérature étrangère, Inostrannaja Literatura.

13 Il s’agissait du Comité soviétique de solidarité avec les pays d’Asie et d’Afrique, fondé à Moscou en 1956 et fonctionnant sous les auspices du Parti communiste de l’URSS.

14 Le journaliste et écrivain Pierre Abraham fait partie dans les années 1950 de la commission des intellectuels de la section nationale du PCF. Il s’agit donc certainement d’un interlocuteur privilégié pour Sembène. Voir Racine, Nicole. 2020 [2008]. « ABRAHAM Pierre [BLOCH Pierre, Abraham, dit] ». Le Maitron en ligne. https://maitron.fr/spip.php?article9644.

15 Jean Marcenac (1913-1984), écrivain, et homme de lettres, membre du PCF et contributeur de la publication financée par le PCF Les Lettres françaises. Voir Racine, Nicole. 2019 [2010]. « MARCENAC Jean ». Le Maitron en ligne. https://maitron.fr/spip.php?article120000.

16 Les Nouvelles de Moscou, hebdomadaire publié après la Seconde Guerre mondiale en anglais (Moscow News) et en français, puis à partir de la fin des années 1960 dans diverses langues étrangères (entre autres arabe, espagnole, italien).

17 Il y avait certainement un malentendu parce qu’à la tête du ministère se trouvait une femme, Ekaterina Fourtseva.

Document 5, 1/2 : Sembène à Potekhine (Marseille, 15 juin 1959)

Document 5, 1/2 : Sembène à Potekhine (Marseille, 15 juin 1959)

Document 5, 2/2 : Sembène à Potekhine (Marseille, 15 juin 1959)

Document 5, 2/2 : Sembène à Potekhine (Marseille, 15 juin 1959)

Document 6 : Potekhine à Sembène (Moscou, le 15 septembre 1959)

Document 6 : Potekhine à Sembène (Moscou, le 15 septembre 1959)

Document 7 : Sembène à Pothekine (Marseille, 6 février 1960)

Document 7 : Sembène à Pothekine (Marseille, 6 février 1960)

Document 8, 1/2 : Pothekine à Sembène (4 avril 1960)

Document 8, 1/2 : Pothekine à Sembène (4 avril 1960)

Document 8, 2/2 : Pothekine à Sembène (4 avril 1960)

Document 8, 2/2 : Pothekine à Sembène (4 avril 1960)

Document 9 : Liste des œuvres de Sembene Ousmane éditées en URSS

Document 9 : Liste des œuvres de Sembene Ousmane éditées en URSS

Document 10, 1/2 : Sembène à Pothekine (Paris, 21 avril 1960)

Document 10, 1/2 : Sembène à Pothekine (Paris, 21 avril 1960)

Document 10, 2/2 : Sembène à Pothekine (Paris, 21 avril 1960)

Document 10, 2/2 : Sembène à Pothekine (Paris, 21 avril 1960)

Document 11. Potekhine à Ousmane Sembène (Moscou, 16 juillet 1960)

Document 11. Potekhine à Ousmane Sembène (Moscou, 16 juillet 1960)

Françoise Blum

Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (CHS), CNRS.
https://orcid.org/0000-0003-0949-5954

Gabrielle Chomentowski

Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (CHS), CNRS.
https://orcid.org/0000-0003-4607-3101

Constantin Katsakioris

Institut d’histoire mondiale, Université Charles de Prague.
https://orcid.org/0000-0003-3636-5012