Étudier la violence en Afrique : apport des sources, enjeux de terrain et considérations éthiques

Élodie Apard and Cyrielle Maingraud-Martinaud

p. 3-22

Translation(s):
Studying Violence in Africa: Contributions from Sources, Fieldwork Challenges and Ethical Considerations

References

Apard, Élodie, Cyrielle Maingraud-Martinaud. 2021. “Étudier la violence en Afrique : apport des sources, enjeux de terrain et considérations éthiques”. Sources. Materials & Fieldwork in African Studies no. 2: 3-22. https://www.sources-journal.org/459

Sujet majeur depuis Weber et Durkheim, la violence est un objet de recherche à fort pouvoir émotionnel, partisan et idéologique (Arendt 1972 ; Howell et Willis 1989 ; Scheper-Hughes et Bourgois 2004 ; Jones et Rodgers 2019). S’il pose d’une manière exacerbée des questions qui concernent l’ensemble des sciences humaines et sociales, il requiert, parallèlement, des questionnements méthodologiques et éthiques spécifiques sur l’accès au terrain, la nature des sources collectées et les conditions de leur collecte, et la réflexivité du·de la chercheur·e. La définition de la violence comme fait social est, en outre, toujours relative et objet de débat (Heitmeyer et Hagan 2003). Elle ne peut se contenter de s’appuyer sur une neutralité axiologique qui, lorsqu’elle a trait à des pratiques violentes, risque d’entériner l’effacement de leurs actions et de leurs responsabilités par les bourreaux (Naepels 2006). Parce qu’elle charrie affects et considérations morales, la recherche sur les phénomènes violents nécessite une rigueur qui doit assurer sa légitimité au sein des sciences humaines et sociales et la préserver de toute forme de voyeurisme. L’une des principales questions qui se pose à l’analyse de ces phénomènes est, cependant, la compatibilité de l’exigence empirique avec l’intégrité physique et psychologique du·de la chercheur·e. Ce dossier est l’occasion de contribuer à la réflexion essentielle, sinon primordiale, sur le rapport à la violence dans la recherche en sciences humaines et sociales, en particulier sur le continent africain. L’enjeu, pour les chercheur·e·s, est en effet de ne pas abandonner le terrain des situations violentes aux seules interventions humanitaires et leurs analyses aux champs médiatique et de l’expertise. Si l’origine militaire du mot « terrain » renvoie à un espace de tension et de conflit (Pulman 1988), il s’agit aussi de s’interroger sur le risque d’investir l’étude de la violence en Afrique par défi ou par fascination d’un danger exotisé, notamment lorsque le terrain en contexte violent est mis en valeur de façon systémique malgré les risques physiques et psychiques qu’il fait courir aux chercheur·e·s, mais aussi à leurs assistant·e·s et à leurs interlocuteur·trice·s.

Parmi les chercheur.e.s en études africaines, les questions théoriques, méthodologiques et éthiques liées à l’analyse de la violence ont engendré des positionnements multiples, parfois contradictoires, et qui reflètent un problème majeur : celui des difficultés et des risques inhérents à l’enquête sur des objets violents et/ou en contexte de violence. En situation d’enquête, la nature des rapports intersubjectifs permettant la production ou la (co)production des matériaux est potentiellement altérée par les menaces encourues, l’imminence du danger ou l’insécurité permanente. Alors même qu’il se caractérise par une grande diversité des options méthodologiques, le champ des études sur la violence semble souvent être réduit à une opposition entre deux types de travaux : d’un côté, des analyses ex situ, déconnectées du terrain, reposant sur l’analyse de la littérature existante et des documents de seconde main ; d’un autre côté, des travaux défendant la nécessité d’un contact direct et d’une expérience de la violence elle-même. Ces positionnements extrêmes et nettement opposés, dont émane une partie conséquente de la littérature sur la violence, sont toutefois, l’un comme l’autre, largement insatisfaisants. Afin de dépasser cette opposition, cette introduction participe de l’approche qui consiste à promouvoir une combinaison des méthodes ainsi qu’à réfléchir à des modalités de travail alternatives.

S’il existe, comme le souligne l’anthropologue Michel Naepels (2012, 86), « autant de manières d’être présent dans l’enquête, de voir, d’être visible, d’être engagé dans les rapports sociaux locaux que d’enquêtes », nous faisons le choix ici de nous interroger sur les différentes manières d’étudier un phénomène violent, notamment en menant des enquêtes de terrain, sans que l’immersion du·de la chercheur·e ne l’entraîne personnellement, ses assistants et/ou ses interlocuteurs dans une situation dangereuse et incontrôlable. Il s’agit pour nous de nourrir une réflexion, amorcée par d’autres, sur les différentes manières de réaliser des enquêtes de terrains dans des contextes violents et/ou sur des objets violents, en opérant un pas de côté plutôt qu’une approche frontale (Ayimpam et Bouju 2015). À partir d’une interrogation sur les moyens concrets d’appréhender les phénomènes violents tout en minimisant la prise de risque physique et psychique, et sur les conditions et modalités pratiques de la réflexivité, il s’agit ici de montrer qu’une pluralité de méthodes d’enquête est non seulement possible mais aussi souhaitable.

Les approches telles que celles présentées dans ce dossier, qui reposent sur la production et la collecte de matériaux empiriques, permettent en effet d’éviter l’impasse que peut parfois induire trop ou trop peu d’immersion ethnographique. Elles démontrent l’intérêt d’étudier les phénomènes violents en Afrique subsaharienne en privilégiant une approche centrée sur des matériaux originaux – collectés ou produits par les chercheur·e·s eux·elles-mêmes – qui constituent à la fois le point de départ et le socle de l’analyse. Chaque contribution illustre l’intérêt du détour méthodologique – un détour qui permet d’éviter la mise en danger des chercheur·e·s comme de leurs assistant·e·s et des enquêté·e·s, tout en ouvrant la voie à des pistes pour une meilleure compréhension des phénomènes violents. Les articles de ce numéro constituent ainsi autant de propositions qui donnent à voir les opportunités qu’offrent le savoir et l’expérience du terrain dans l’accès aux sources et matériaux de recherche.

Parmi les nombreuses formes que peut prendre la violence, ce numéro s’intéresse à des conflits armés ou à des phénomènes sociaux destructeurs ou meurtriers, pouvant porter atteinte à l’intégrité physique de ceux qui y sont impliqués, volontairement ou non. Ces violences peuvent être définies comme « extrêmes », dans le sens où elles se traduisent par des faits dont la brutalité intense a des effets dévastateurs, observables et quantifiables. Même si cette typification ne reflète pas la réalité de processus complexes et protéiformes, elle nous permet de nous démarquer ici de la violence symbolique, de la violence morale et psychologique et de la violence institutionnelle. Qu’ils traitent du rôle de l’Église catholique dans le génocide des Tutsis au Rwanda, de la xénophobie dans les townships d’Afrique du Sud, du mouvement terroriste Boko Haram au Nigeria, de la guerre civile au Mozambique ou des données quantitatives sur la violence au Nigeria, les auteurs n’ont pas produit ou collecté leurs matériaux empiriques au contact direct de la violence, ni en mettant en danger leurs interlocuteurs. Seul l’article portant sur Boko Haram repose sur une enquête de terrain menée dans le Nord-Est du Nigeria, alors affecté par le conflit. Son auteur, qui a rencontré des acteurs et des victimes de la violence, a toutefois soigneusement choisi les lieux et les moments de son enquête dans le but de se soustraire à toute manifestation de violence.

Si le travail sur les sources mené hors de tout contexte violent est certainement plus aisé pour les historien·ne·s, qui représentent la majorité des auteurs de ce numéro, les articles des sociologues et des politistes démontrent la justesse, dans leur discipline, d’une approche des phénomènes violents contemporains développée à partir des matériaux, tout en accordant une place prépondérante à la connaissance approfondie du terrain qui permet leur production.

Ce numéro rassemble ainsi des contributions qui « donnent à voir » les matériaux mobilisés par des chercheur·e·s engagé·e·s dans un travail d’analyse de phénomènes violents, passés ou en cours. En prenant le parti de mettre à jour les processus de production et de collecte de matériaux sur le terrain – sources d’archives, documents officiels, tracts, articles de presse et récits –, il s’agit in fine de mieux comprendre les conditions de production de ces matériaux mais aussi les contraintes qu’elles imposent et les stratégies que les chercheur·e·s emploient pour les contourner. À cet égard, l’objet « violence » permet de faire émerger avec acuité des questions d’éthique scientifique et de distanciation critique. Cette introduction a ainsi pour objectif de mettre en perspective ce qui constitue selon nous une approche dominante – bien que non exclusive – de l’analyse des phénomènes violents sur le continent africain (1). Pour cela, nous reviendrons sur les usages actuels de la réflexivité dans les recherches portant sur les phénomènes et contextes violents (2) et sur les limites de son application, en replaçant certaines de ses interrogations dans un cadre systémique (3). Ce dossier adopte donc un positionnement méthodologique et éthique précis, adossé aux différents articles : si l’étude de la violence doit reposer sur une connaissance fine des phénomènes étudiés et de leur contexte ainsi que sur une proximité du terrain qui permet l’accès aux sources et matériaux de première main, elle ne requiert pas forcément l’expérience de la violence par le·la chercheur·e (4).

La violence, un prisme d’analyse privilégié au sein des études africaines ?

Le cadre des études aréales, dans lequel s’inscrit la revue Sources – et donc ce dossier – implique nécessairement de se questionner sur la manière dont la problématique de la violence a été posée jusqu’à présent dans l’analyse des phénomènes sociaux et politiques sur le continent africain. Les appels et débats actuels liés à la décolonisation des savoirs, si leurs traductions pratiques peinent à prendre forme, sont en effet particulièrement saillants en études africaines : ils invitent à interroger en profondeur certains cadres routinisés d’appréhension et de compréhension du monde social dont la reproduction n’a pas épargné le champ académique.

Premièrement, les travaux en sciences humaines et sociales sur l’Afrique sont tributaires d’une histoire intellectuelle et politique de violence et de fascination pour la violence. Achille Mbembe parle d’une « dramatisation caricaturale » du continent africain, sur fond historique d’attraction morbide pour la violence, et met en lumière les ramifications contemporaines de cet héritage colonial (Mbembe 2000). Il faut en effet prendre en considération le poids de la « bibliothèque coloniale » (Mudimbe 1988) dans la construction de l’image d’un continent intrinsèquement violent, chaotique et/ou « barbare », construction qui répond en grande partie aux logiques de justification de la conquête puis de la domination coloniale, se perpétuant, ensuite, dans les représentations contemporaines. Quel qu’ait été le système concret d’administration des territoires colonisés, les concepts de « civilisation » et de « pacification » – contre la supposée violence et barbarie des colonisés – ont été inhérents à l’entreprise coloniale et ont marqué en profondeur les imaginaires européens du « développement » de l’Afrique (Cooper 2005). D’autre part, l’analyse des sociétés africaines a souvent adopté la violence comme grille de lecture des dynamiques socio-politiques contemporaines, faisant l’hypothèse que la « situation coloniale » (Balandier 1951) issue de l’entreprise de domination européenne (évangélisation, mise en place d’États westphaliens, développement du capitalisme globalisé, exode rural et urbanisation, etc.) a produit, par ses effets profondément déstructurants, un climat latent de violence dans les sociétés colonisées.

Ce tropisme de la violence dans les études africaines doit également être analysé à l’aune des transformations du monde international de la recherche. Alors que les approches marxistes, développementalistes ou structuralistes dominent dans les premières décennies post-indépendances, les transitions économiques, politiques et sociales des années 1980 et 1990 induisent un renouvellement des approches et des objets, avec notamment, pour la science politique, « la politique par le bas » (Bayart, Mbembe et Toulabor 1989), le néopatrimonialisme (Médard 1991 ; Chabal & Daloz 1999) ou le « tournant institutionnel » (Institutional Turn)1. L’impact de dynamiques considérées comme plus ou moins exogènes aux sociétés africaines (fin de la guerre froide, réformes néolibérales, transitions démocratiques) est alors souvent analysé, dans un contexte globalisé, comme la cause de la perturbation d’ordres politiques précaires. Ceci conduit à l’apparition de nouveaux objets appréhendés par un même prisme d’analyse central : la violence. Les guerres civiles et les conflits intra-étatiques, « l’effondrement » des États, les dynamiques religieuses contemporaines, les rapports aux ressources et au foncier, le recours aux pratiques occultes ou encore les violences électorales deviennent ainsi des objets « montants » des études africaines. Certes, les sociétés africaines sont effectivement confrontées à de profonds bouleversements politiques, économiques et sociaux, mais l’intérêt accru pour de tels thématiques de recherche tient également aux dynamiques à l’œuvre dans les champs académiques du Nord. Les priorités de la recherche y sont en effet marquées par l’influence grandissante de la recherche « par projet », soumise à des modes de financement de plus en plus compétitifs ainsi qu’à l’influence des agences de développement dans la définition des priorités scientifiques (Aust 2014). Ce contexte érode en partie la capacité des chercheurs à définir leurs propres sujets de recherche. Il favorise simultanément les thématiques considérées comme prioritaires selon les décideurs publics et les intérêts privés, au sein desquelles la violence occupe une place centrale. Dans le cas des phénomènes violents, la surproduction actuelle de travaux sur le terrorisme, l’islamisme, les trafics, la criminalité, etc. répond en partie à la relative perte d’autonomie du champ de production des connaissances. Ces influences extérieures apparaissent également en filigrane du développement des études de sécurité (Security Studies) et de la multiplication des centres et départements d’études sur la paix et les conflits (Peace & Conflict Studies) qui uniformisent l’appréhension de la violence en adoptant un prisme dual : situations violentes et processus de pacification. Si, en France, ce tropisme semble influer moins qu’ailleurs les processus de recrutement dans les institutions de recherche publiques, assez peu focalisées sur les « objets violents », il oriente toutefois les financements de projets de recherche publics2 comme privés.

Ces dynamiques ne résument évidemment pas des champs entiers, mais elles ont une influence notable sur la manière dont une grille de lecture centrée sur la violence a pu être surmobilisée dans les études africaines contemporaines. Elles ont, en outre, été renforcées par l’affaiblissement des universités publiques du continent, minées par les restructurations néolibérales (Provini, Mayrargue et Chitou 2020). Les projets de décolonisation des savoirs, portés par les instituts d’études africaines en Afrique (comme à Ibadan et à Legon par exemple), et les ambitions critiques des écoles marxistes (à Zaria et à Dar es Salaam notamment), qui étaient dominants dans les années 1960 et 1970, ont progressivement laissé la place à des champs académiques marqués par la précarité financière, la dépendance aux activités de consultance et la fuite des cerveaux, à la fois vers les pays du Nord et vers les structures privées. Ces évolutions favorisent la domination épistémologique des chercheurs occidentaux et des institutions du Nord sur la production des savoirs. Ce dossier est d’ailleurs représentatif de ces déséquilibres puisque les auteur·e·s originaires du continent restent minoritaires. En dépit des appels récurrents aux transformations des revues académiques, notamment en faveur d’une plus grande diversité des contributions et des auteur·e·s, force est de constater que ce dossier s’ouvre sur un constat d’échec dont les explications sont aussi systémiques que la responsabilité est individuelle. La revue Sources ainsi que les institutions de recherche à l’origine de sa création tentent déjà, avec les moyens dont elles disposent, de participer activement au processus encore trop timide d’inclusion scientifique et de coproduction des savoirs sur l’Afrique. L’enjeu reste toutefois de poursuivre ces efforts afin d’offrir de nouveaux modèles de collaborations scientifiques. Si l’entreprise réflexive à laquelle cette introduction appelle incarne moins un aboutissement qu’un processus, elle ne peut toutefois pas s’exonérer d’un regard critique sur nos propres pratiques. Les efforts demeurent évidemment insuffisants pour proposer un résultat à la hauteur des exigences d’un champ académique en cours de décolonisation et construit sur des partenariats renouvelés.

Pratiques du terrain et réflexivité en contexte violent

À partir de la fin des années 1960, l’enquête ethnographique est devenue plus risquée à mesure que les anthropologues se sont intéressés aux nouvelles formes de conflit émergeant dans le sillage de la guerre froide, à la fois du côté des forces gouvernementales et du côté des insurgés, s’opposant en cela aux analyses dominantes souvent désincarnées et produites avec des données de seconde main (Sluka 1990). Au fur et à mesure du développement des recherches sur les phénomènes violents, les questionnements sur les conditions de production du savoir ont fait l’objet d’une importante réflexion, notamment au sein de l’anthropologie qui est, historiquement, la discipline des sciences humaines et sociales la plus préoccupée par les méthodes de l’enquête de terrain et par la réflexivité, sa pratique et ses limites. À partir des années 1990, l’anthropologie a en effet choisi de se confronter systématiquement à ces questions, auparavant peu évoquées malgré leur caractère relativement répandu. Dans le rapport « Surviving Fieldwork », rédigé pour l’American Anthropological Association (AAA) en 1990, Nancy Howell note ainsi qu’au moins 42 % des anthropologues interrogé·e·s ont été victimes de violences criminelles sur leur terrain (vol, atteinte physique, viol, meurtre), 9 % ont été arrêté·e·s, 22 % ont fait l’expérience d’événements politiques violents (révolution, guerre, émeutes), 15 % ont été accusé·e·s d’espionnage et 12 % ont été confronté·e·s à l’hostilité intense de leurs enquêtés.

Suite à ce constat, des chercheur·e·s ont pris à bras-le-corps les questionnements éthiques et épistémologiques liés à la pratique du terrain en contexte violent et ont inauguré une production écrite devenue abondante dont les débats se poursuivent jusqu’à aujourd’hui. Ces travaux ont discuté des manières de pratiquer la méthode ethnographique en contexte violent à la lumière notamment de trois problèmes : 1) la commission ou l’utilisation de recherches ethnographiques par certaines des forces en présence dans les conflits, comme par l’armée américaine dans les guerres contre-insurrectionnelles des années 1960 et 19703 (Price 2016), l’État espagnol dans sa lutte contre ETA (Faligot 1983) ou encore le régime d’apartheid en Namibie (Lee et Hurlich 1982) ; 2) la multiplication des publications sur les objets violents déconnectées de la réalité du terrain (Nordstrom 1997) ; 3) l’influence des méthodes positivistes enseignées en anthropologie dans les pays anglophones (Kovats-Bernart 2002). En réfléchissant à des voies alternatives pour travailler sur des objets et dans des contextes considérés comme violents, ces travaux ont proposé des réflexions stimulantes, à la fois éthiques et méthodologiques. Ils ont notamment mis en exergue l’intérêt des sciences humaines et sociales, et particulièrement de la méthode ethnographique, dans la production de données originales et de première main capables de faire accéder à une compréhension plus fine des phénomènes en question.

Malgré sa diversité, cette littérature est principalement l’œuvre de chercheur·e·s ayant eux-mêmes travaillé en contexte de violence. Elle part donc généralement du présupposé que la réalisation d’une enquête de terrain dans un tel contexte est cruciale pour comprendre en profondeur les dynamiques sociales, économiques et politiques en présence. Dans leur ouvrage séminal Fieldwork under Fire, Nordstrom et Robben (1995) confrontent ainsi les récits et analyses d’anthropologues ayant travaillé sur des objets violents et en contexte de violence, de l’Intifada palestinienne aux guerres civiles guatémaltèque et somalienne en passant par la répression de Tiananmen. La confrontation à la violence, que les auteur·e·s qualifient de « crise du terrain » (fieldwork crisis), constitue selon eux une manière privilégiée d’accéder à, et donc de comprendre, l’expérience des enquêté·e·s, les modes d’appréhension de la violence à laquelle il·elle·s sont confronté·es et les stratégies qu’il·elle·s déploient pour l’exercer ou s’en prémunir. Les auteur·e·s défendent l’idée que si le passage à l’écriture provoque forcément une atténuation et une transformation du récit, la proximité physique et émotionnelle des chercheur·e·s est la seule méthode adéquate permettant de rendre compte de la quotidienneté de la violence ou des dynamiques en jeu lors d’épisodes violents. Autrement dit, « l’ontique de la violence – l’expérience vécue de celle-ci – et l’épistémologie de la violence – les moyens de la connaître et d’y réfléchir – ne font qu’un. Expérience et interprétation sont inséparables, que ce soit pour les auteur·e·s de cette violence, pour les victimes et pour les ethnographes […]. La violence socio-politique peut être abordée de différentes façons, toutefois, à un certain niveau, pour être en mesure de traiter la violence, on doit se rendre là où la violence a lieu, l’étudier alors qu’elle se déroule4 » (Nordstrom et Robben 1995, 14).

Parallèlement à la promotion de l’immersion des chercheur·e·s dans un terrain violent pour des raisons heuristiques, ces travaux défendent également l’idée d’une utilité relative de l’approche ethnographique en tant que manière de produire des données au plus proche du terrain, contre les explications surplombantes produites de façon déconnectée des réalités. Ainsi, Sluka écrit au sujet de son terrain de doctorat en Irlande du Nord au début des années 1980 : « Il est vrai qu’il existe de véritables dangers à faire de la recherche là-bas. J’étais conscient de ces dangers […], mais pensais que les anthropologues devaient faire de la recherche là où cela avait une pertinence sociale immédiate, afin de justifier notre existence5 » (Sluka 1990, 116). Comme l’illustre cet extrait, la réalisation de telles enquêtes de terrain est souvent justifiée par la fonction « vitale » que jouerait la méthode ethnographique dans la production de données et d’analyses, notamment face aux discours de propagande ou à la désinformation (Malejacq et Mukhopadhyay 2016).

Ces deux arguments – intérêt heuristique et utilité sociale – reposent plus fondamentalement sur l’idée que le travail de terrain est possible « même dans le plus dangereux des contextes » (Sluka 1990, 124), d’autant que les journalistes ou travailleur·e·s humanitaires, par exemple, se rendent aussi sur ces lieux. Ainsi, puisque de toute façon, « l’ethnographie est une méthode de recherche intrinsèquement gratifiante, mais en même temps risquée6 » (Rodgers, Kruijt et Koonings 2019), la question qui se pose n’est pas tant celle de la légitimité de faire du terrain dans un contexte violent que des conditions et de l’éthique de sa réalisation. Autrement dit, la violence ne constituerait qu’un des « aléas du travail de terrain » (hazard of fieldwork) (Howell 1988). Ses effets pourraient être contrôlés avec les précautions méthodologiques adéquates afin de minimiser les risques et de garantir la sécurité des chercheur·e·s, celle de leurs données et de leurs enquêté·e·s (Sriram et al. 2009), notamment à une époque où les technologies digitales augmentent autant les risques qu’elles apportent de possibles solutions d’évitement (Grimm et al. 2020). Nombre de travaux, comme ceux de Greenhouse, Mertz et Warren (2002), se consacrent ainsi en priorité aux aspects méthodologiques et pratiques en vue de permettre aux chercheur·e·s de se protéger, de mettre à l’abri leurs données et de garantir la sécurité de leurs informateur·rice·s. D’autres se penchent en outre sur des aspects précis de ces considérations méthodologiques, comme le rôle et la protection des assistant·e·s de recherche (Hoffman et Tarawalley 2014), l’utilisation des méthodes participatives (Wheeler 2009), la pratique du terrain sur des objets spécifiques comme la police (Beek et Göpfert 2013), les conflits armés (Wood 2006) ou les régimes autoritaires (Glasius et al. 2018). Généralement à rebours des recommandations méthodologiques figées et des codes de conduite éthique, qui se sont multipliés aux États-Unis en régulant fortement la relation enquêteur·rice-enquêté·es7, ces travaux proposent au contraire des approches que l’on peut qualifier de flexibles du terrain ethnographique. Ils confient ainsi aux chercheur·e·s la responsabilité d’évaluer à la fois les risques encourus et l’utilité scientifique de leur démarche. Par exemple, Kovats-Bernart défend une conception pragmatique du terrain et des stratégies méthodologiques « élastiques, incorporatrices, intégratives et malléables » (2002, 210). Dennis Rodgers (2007), à partir de l’observation participante des gangs de rue au Nicaragua, propose quant à lui l’idée d’une éthique « situationnelle », meilleure manière d’aborder le terrain quand celui-ci impose aux chercheur·e·s des attitudes ou des réactions inadéquates au plan éthique, par exemple en les plaçant dans une situation où il·elle·s sont obligé·e·s de participer à des actes violents ou à des activités illicites (voir aussi Verhallen 2016).

De l’utilité de l’objectivation participante

La littérature en sciences humaines et sociales qui cherche à mettre à jour et à discuter des conditions de production des données de la recherche s’inscrit plus généralement dans le « tournant réflexif » des années 1970 et 1980. Dans le sous-champ des études consacrées aux objets violents, elle a contribué d’une manière particulièrement efficace à la remise en cause de paradigmes de recherche positivistes, renforcé la légitimité des sciences sociales à proposer des explications nuancées fondées sur des données de première main, et questionné les pratiques et utilisations non-éthiques du terrain ethnographique. L’un de ses angles morts a toutefois été de généralement limiter le travail de réflexivité à un questionnement individuel, sans toujours replacer les chercheur·e·s dans un champ institutionnel et professionnel marqué par des rapports de compétition et des enjeux de pouvoir. Ce manque est d’autant plus marqué que les débats sur la réflexivité en contextes violents ont surtout débouché sur l’idée de processualité, de relativité et de situationnalité des considérations éthiques, notamment en rejet des protocoles standardisés des comités d’éthiques.

L’enjeu n’est pas de remettre en question la capacité de chaque chercheur·e, au regard de sa personnalité, de sa formation et de ses visées, à évaluer le danger auquel il·elle est confronté·e, notamment quand il s’agit de gérer les contraintes de l’enquête de terrain. Il est toutefois nécessaire de replacer ces « choix », et en premier lieu la décision de travailler sur un objet violent, dans une réflexion plus systémique sur l’économie politique de la connaissance. En effet, si les auteur·e·s qui participent à la critique des solutions méthodologiques et éthiques toutes faites (one-size-fits-all solutions) sont nombreux à s’élever contre la dépolitisation que celles-ci engendrent, il·elle·s peinent souvent à retourner le regard critique et à questionner leur propre pratique du terrain au regard des enjeux propres au champ académique. L’approche réflexive qu’il·elle·s défendent reste en effet relativement pragmatique, individuelle et justificative, sans toujours interroger la manière dont la recherche sur les objets violents et/ou en contextes violents s’inscrit dans une économie générale de production des savoirs marquée par des rapports de domination. Le modèle de « l’objectivation participante » proposé par Pierre Bourdieu permet de combler ce manque et de situer les choix et les pratiques des chercheur·e·s au regard de leur positionnement dans le champ académique. Bourdieu défend en effet l’idée que « ce qu’il s’agit d’objectiver, en effet, ce n’est pas l’anthropologue faisant l’analyse anthropologique d’un monde étranger, mais le monde social qui a fait l’anthropologue et l’anthropologie consciente ou inconsciente qu’il engage dans sa pratique anthropologique […] surtout sa position particulière dans le microcosme des anthropologues » (Bourdieu 2003, 44-45).

Cette démarche permet de replacer la recherche sur la violence dans le cadre d’un champ universitaire qui valorise en grande partie « la figure héroïque – et mythique – du chercheur faisant fi de tout péril » (Boumaza et Campana 2007). Le temps est en effet largement révolu où les chercheur·e·s « de terrain », en dehors de la discipline anthropologique, devaient légitimer leur pratique et leur posture ethnographiques au regard d’autres méthodes. Les sciences humaines et sociales contemporaines, et peut-être particulièrement les études aréales dont les études africaines, sont fortement marquées par une extension du recours à la méthode ethnographique, sans toujours toutefois la connecter au socle épistémologique développé en anthropologie et indispensable à l’analyse (voir entre autres Marcus et Fischer 1999 [1986] ; Clifford et Marcus 2009 [1986]). La réalisation d’une enquête de terrain « en immersion » tend en effet à être de plus en plus souvent encouragée et valorisée dans des disciplines comme l’histoire ou la science politique et à être considérée comme méthode ultime de recueil des données, sans que ce qu’implique exactement cette immersion soit suffisamment élaboré et discuté. Cette sacralisation de l’enquête de terrain est fortement marquée dans les études africaines, au sein desquelles certains observent la survalorisation des monographies et la mise à distance de la théorisation (Mamdani 2004). Or, la valorisation de la méthode ethnographique dans l’analyse des phénomènes violents, lorsqu’elle est incomplète ou inadéquate, a pu encourager ce que Lake et Parkinson appellent l’« out-dangering » (2017), c’est-à-dire l’attrait pour des « sujets brûlants par souci de la reconnaissance, voire de la célébrité potentielle qu’ils [les chercheur·e·s] pourraient tirer de telles recherches8 » (Grimm et al. 2020, 3). Les auteur·e·s soulignent ainsi, dans un récent ouvrage portant sur la sécurité dans le cadre de la réalisation d’une enquête, que la pression qui s’exerce sur les chercheur·e·s pour publier, combinée à leurs ambitions de carrière dans un contexte de compétition accrue, les poussent souvent à réaliser des terrains dans des situations excessivement dangereuses (ibid.).

Pour autant, l’immersion n’est pas nécessairement tributaire de la mise en danger des chercheur·e·s qui étudient la violence. Certains travaux sur les conflits, par exemple, sont réalisés sans se révéler dangereux. Cela nécessite toutefois des précautions permanentes et particulières. La politiste Marielle Debos insiste ainsi, à propos de ses enquêtes au Tchad, sur l’importance d’une « constante réévaluation des risques, pour le chercheur et pour ses interlocuteurs, de chaque déplacement, rencontre ou entretien » ainsi qu’une mise à distance des périodes d’affrontements armés pour privilégier les moments « d’entre-guerre » (Debos 2016). Des terrains réguliers, réalisés dans la longue durée, peuvent également permettre aux chercheur·e·s d’analyser des phénomènes violents en dehors des épisodes les plus critiques, s’appuyant sur leurs connaissances du contexte et des acteurs pour identifier des lieux et des périodes sûrs9. Si ces démarches s’avèrent payantes, elles requièrent néanmoins une grande autonomie et une liberté scientifique rarement accessibles aux chercheur·e·s non-titulaires et/ou en formation.

Comme l’y invite la mise en pratique de l’objectivation participante, les considérations éthiques et les débats méthodologiques parmi les chercheur·e·s travaillant sur la violence doivent en effet être replacés dans un cadre collectif et à un niveau systémique. Or, peu de réflexions semblent émerger, à notre connaissance, sur la place spécifique des jeunes chercheur·e·s dans la réalisation d’enquêtes en contexte violent, au-delà de l’idée que le manque d’expérience est un facteur de risque supplémentaire. Cette situation est d’autant plus préjudiciable que les terrains sur les phénomènes violents sont souvent réalisés par des chercheur·e·s en formation. Ces chercheur·e·s « junior », et notamment les doctorant·e·s, disposant en effet du temps nécessaire pour mener des terrains longs, contrairement aux titulaires, souvent pris par leurs activités d’enseignement et/ou d’administration de la recherche. Les modes de financement de la recherche par des organismes privés et/ou non académiques ont en outre multiplié les contrats et subventions fléchées, centrées sur des sujets souvent déterminés par les contraintes stratégiques, sécuritaires et politiques déjà évoquées. Dans un contexte de rareté des ressources, de pression par les pairs et de forte compétition dès le niveau du doctorat – et parfois même du master – la réalisation d’un terrain « dangereux » est souvent perçue comme un avantage compétitif, valorisé par l’institution (Knott 2019 ; Browne 2020). Si la situation des assistant·e·s de recherche, qui bénéficient d’un accès privilégié au terrain, a fait l’objet de débats depuis près d’une décennie, le constat reste celui d’une inégalité structurelle dans la mise en place des protocoles méthodologiques, le choix des approches théoriques et la valorisation par les publications mais aussi dans la prise de risque sur le terrain, particulièrement dans les contextes de violence. Dans les études africaines, le recours aux assistant·e·s perpétue ce schéma académique inégalitaire et s’inscrit également dans la reproduction d’un modèle colonial de production des connaissances (Jenkins 2018 ; Moss et Hajj 2020 ; Nyenyezi et al. 2020).

En outre, en dépit de sa centralité, la question de la responsabilité des institutions de recherche dans la manière dont les chercheur·e·s sont accompagné·e·s, formé·e·s et amené·e·s à s’interroger sur leurs pratiques de terrain est généralement mentionnée sans être approfondie10. La situation actuelle, si elle est évidemment variable en fonction des pays, des universités, des laboratoires et des disciplines, reste ainsi généralement celle d’une prise en compte relativement limitée des risques physiques, psychologiques et émotionnels et d’une préparation trop partielle des chercheur·e·s à l’enquête de terrain dans des contextes à risque. La réponse des institutions à ces problématiques est généralement limitée à l’interdiction faite de se déplacer dans des zones considérées « à risque » par les organismes de recherche, ce qui constitue un autre biais déjà dénoncé dans le milieu académique anglophone par des chercheur·e·s s’inquiétant de l’évaluation grandissante des activités de recherche uniquement à l’aune des critères de sécurité (Peter et Strazzari 2017). Cette politique repose majoritairement sur une évaluation du risque déconnectée des réalités du terrain, fondée sur des généralisations géographiques contestables et en réalité motivée moins par la protection des chercheur·e·s que par celle de l’institution elle-même. En outre, elle ne répond absolument pas aux nécessités de mise en débat, de formation et de discussion collective nécessaires à une objectivation participante de la pratique du terrain dans des contextes violents.

Ces différents éléments, analysés sous le prisme de l’objectivation participante, permettent de relativiser l’assertion faite par certain·e·s chercheur·e·s que l’on peut « consciemment [prendre] la décision de s’engager dans une recherche risquée11 » (Rodgers, Kruijt et Koonings 2019). Le fait même que des chercheur·e·s, engagé·e·s dans l’analyse des sujets violents, défendent l’idée du « risque élevé, gain élevé » (high risk, high gain) (ibid.) invite plutôt à s’interroger sur les conséquences de cette valorisation de la prise de risque pendant l’enquête. Celles-ci peuvent en effet être multiples : de la menace à l’agression physique en passant par le traumatisme psychologique, les répercussions d’un terrain dangereux sont parfois non seulement dramatiques, mais également irréversibles. Le meurtre de Giulio Regeni, doctorant à l’Université de Cambridge, par les forces de sécurité égyptiennes début 2016, a fortement marqué le milieu de la recherche britannique et celui des études moyen-orientales. Toutefois, rares ont été les changements visant à prendre en charge au niveau institutionnel la préparation des chercheur·e·s, notamment ceux en formation, avant la réalisation d’un terrain, en particulier lorsque celui-ci représente des risques ou des difficultés majeures (Grimm et al. 2020). S’il est vrai que les chercheur·e·s travaillant sur ces sujets ne sont pas, sauf exception, forcé·e·s de se mettre ou de mettre leurs collaborateur·e·s en danger, le choix des thématiques de recherche et des terrains n’est jamais uniquement individuel et passe nécessairement par des étapes de validation disciplinaires et institutionnelles (Naepels 2012). Il convient donc de replacer ces pratiques du terrain en contexte violent dans une économie générale de production de la connaissance construite à la fois sur la compétitivité, la précarisation de nombreux chercheur·e·s – notamment en début de carrière – et la valorisation des sujets « vendeurs ».

L’enjeu ici n’est évidemment pas de délégitimer l’utilisation de la méthode ethnographique dans l’analyse des phénomènes violents, mais de relever des angles morts dans les entreprises contemporaines de réflexivité en les replaçant à un niveau systémique. L’existence de ces points aveugles permet de s’interroger sur les pratiques valorisées dans les études africaines qui occupent ce dossier, ainsi que sur le rôle des institutions dans la préparation et la formation au travail de terrain. Si un tel débat dépasse largement le cadre de cette introduction, l’objectif est de mettre en avant, à travers les articles rassemblés, des approches alternatives permettant un renouvellement de l’approche des objets violents. Ceux-ci proposent en effet, dans leur diversité, des pratiques variées du terrain qui visent, à travers les liens tissés entre les chercheur·e·s et leurs objets, à produire, recueillir mais aussi donner du sens aux matériaux et aux sources originales qui constituent, au-delà de l’expérience personnelle, le support de l’analyse.

Le terrain pour produire des matériaux sur la violence

Ces précautions éthiques et méthodologiques nous semblent être des préalables nécessaires à l’analyse des phénomènes violents. En facilitant la réalisation de l’enquête, elles permettent de développer la proximité du·de la chercheur·e avec son terrain dans l’objectif de produire des matériaux originaux, de les replacer dans leur contexte et ainsi faire émerger tout leur potentiel. Les articles de ce dossier témoignent, de différentes manières, de la possibilité d’appréhender les phénomènes violents et d’en proposer une interprétation plus fine à travers une approche empirique et de terrain. Les auteurs ont en effet tous démontré leur capacité à troquer l’anthropologie de salon (armchair anthropology) et à « quitter la véranda » (Geertz 1990) en faveur des enquêtes de terrain, faisant émerger des objets construits à partir de matériaux originaux, pour certains jamais reproduits auparavant.

Les contributions des deux historiens à ce numéro soulignent particulièrement les bénéfices d’une telle approche. Les auteurs ont tiré parti de leurs expériences de terrain respectives approfondies – qui pour l’une relève d’un cheminement scientifique de plusieurs décennies – en replaçant les sources produites dans leur environnement. Même s’ils n’en présentent ici que des extraits, ils évitent l’écueil consistant à isoler les matériaux de leur environnement ou à n’en étudier qu’une partie en ignorant le reste, permettant ainsi de limiter le risque de simplification ou de surinterprétation. Ce sont en effet les matériaux entiers qui sont analysés, l’intégrité de la source étant primordiale puisque, dans l’étude des conflits violents peut-être plus encore qu’ailleurs, la question de la manipulation se pose, toute comme celle de la limite ténue entre information et propagande. Ainsi, le travail réalisé par Rémi Korman sur les controverses autour du rôle de l’Église catholique dans le génocide des Tutsi au Rwanda se base sur un ensemble d’archives de presse. Toutefois, dans sa démarche, l’auteur articule l’analyse méticuleuse de ce corpus avec son expérience de recherche au Rwanda. La proximité sociale avec les témoins et survivants de cette histoire dramatique permet à l’auteur de faire intervenir sa propre sensibilité dans la lecture des débats opposant, dans la presse, le clergé catholique et l’État rwandais soucieux de parachever la « déconflictualisation » de la société entamée au début des années 2000.

Dans son article sur les carnets de la Renamo, Michel Cahen donne à lire une sélection de messages radio transcrits ayant nécessité un travail de décodage et d’analyse préalable qui a concerné l’ensemble de ces carnets, une source jusqu’à présent restée invisible car inaccessible. L’auteur explique que ces documents n’ont émergé qu’à la faveur d’un travail de longue haleine et d’allers-retours incessants avec le terrain. Témoignages extrêmement précieux du quotidien d’une guérilla, ces carnets ne prennent toutefois sens que dans un cadre de compréhension complet de la guerre civile mozambicaine (1977-1992) dont l’auteur est un spécialiste. Rares traces produites par la Renamo elle-même, ces carnets permettent de politiser l’analyse de sa stratégie militaire, de mettre en lumière le rapport spécifique qu’elle entretenait avec les populations qui vivaient sous son contrôle ainsi que le type d’économie politique et morale qu’elle avait instauré.

Les deux articles suivants montrent comment les auteurs, l’un politiste et l’autre sociologue, ont choisi de se confronter à des objets violents et des situations complexes ou difficiles. Le premier, Ini Dele-Adedeji, traite du mouvement djihadiste Boko Haram au nord-est du Nigeria et le second, Léo Fortaillier, s’intéresse aux townships d’Afrique du Sud. Tous deux exposent des situations où l’accès compliqué au terrain, qui a nécessité des négociations ou été caractérisé par une hostilité à leur égard (Boumaza et Campana 2007), les a conduits à opérer un détour méthodologique pour construire leur objet de recherche. Les auteurs semblent être parvenus à différencier terrain « difficile » – où le chercheur, rencontrant des problèmes d’accès aux interlocuteurs ou aux sources, doit développer des approches alternatives – et terrain « dangereux » – où la sécurité comme l’intégrité physique ou psychique du chercheur ne peuvent être garanties. Ces contributions permettent de souligner l’importance de l’enquête ethnographique dans la production de données en sciences humaines et sociales quand elle est réalisée en minimisant les risques, mais également de rappeler que cette méthode ne peut faire l’économie d’une connaissance préalable, d’une « proximité sociale suffisante » (Naepels 2012) avec les espaces et les contextes étudiés. Elles témoignent aussi du fait que l’immersion ethnographique révèle son potentiel maximum lorsqu’elle est combinée avec d’autres méthodes comme le recueil d’objets, les entretiens semi-directifs, les recherches dans des archives, etc., permettant alors la production de matériaux écrits, visuels, sonores variés dont le croisement permet une analyse approfondie. Autrement dit, l’immersion ne peut se suffire à elle-même, en particulier au cœur d’un terrain violent potentiellement dangereux.

Ainsi, Ini Dele-Adedeji a enquêté dans le nord-est du Nigeria, région qui a vu naître Boko Haram et qui a été durement frappée par les attaques du groupe mais qui a également subi la violence de la répression militaire depuis le début du conflit en 2009. En rencontrant, sur place, des victimes et des insurgés, l’auteur se démarque des nombreuses analyses produites par des « expert·e·s » des guerres, guérillas et insurrections diverses généralement déconnectées du terrain. C’est donc cette expérience en immersion qui a permis à l’auteur de collecter des matériaux rares et de les analyser. C’est le cas d’un tract, ici reproduit et traduit, qui avait été distribué par Boko Haram aux habitants de Kano, les informant d’une prochaine attaque visant les forces de l’ordre. Les documents écrits émanant du groupe sont quasiment inexistants et mettre la main sur un tel matériau témoigne d’une proximité avec l’environnement social. Le choix d’une approche à distance du danger, en dépit de risques réels, comme l’explique l’auteur, s’est donc avéré particulièrement pertinent pour établir une relation de confiance avec ses interlocuteurs, étant donné que la simple possession de ce tract peut justifier une arrestation. L’auteur a également réussi à recueillir la parole d’anciens combattants de Boko Haram incarcérés et participant à un projet de réhabilitation financé par l’Union européenne. Les entretiens réalisés en prison ainsi que l’observation du fonctionnement de l’institution pénitentiaire nigériane – que très peu d’autres chercheurs ont pu mener – lui permettent de proposer une perspective originale sur un sujet déjà surinvesti.

Afin d’explorer les violences xénophobes en Afrique du Sud et de leur impact social, Léo Fortaillier, qui s’est fait volontaire au sein d’une association de lutte contre la xénophobie, a choisi de partir d’une trajectoire singulière, celle d’un travailleur social intervenant auprès des jeunes des townships. En partant d’un document de travail utilisé par son interlocuteur pour animer des ateliers de sensibilisation et de prévention, l’auteur adopte une approche par le matériau qu’il réalise à la faveur d’une enquête immersive combinant observations, discussions informelles et entretiens structurés. Centrer l’analyse sur l’histoire et les usages en situation de cet instrument de travail permet de comprendre les intentions de ses utilisateurs, de saisir les fondements et les effets de ce support, au travers des réactions des participant·e·s aux ateliers, de la teneur des échanges sur le vif et des catégories ordinaires utilisées pour décrire le monde social qui tendent à discriminer les migrant·e·s et les étranger·e·s.

Enfin, l’article d’Ismaël Maazaz, Vitus Ukoji, Victor Eze et Abiola Ayodokun, présente une base de données quantitative sur la violence létale au Nigéria, appelée « Nigeria Watch », et des projets de recherche développés à partir de celle-ci. Écrit à huit mains, l’article illustre une méthode particulière d’analyse de la violence par les chiffres. Il revient sur la manière de réfléchir, collectivement, aux conditions de production de telles données, à l’utilisation qui en est faite et plus largement à l’apport des données quantitatives pour les recherches qualitatives.

Les démarches adoptées par les auteurs de ce numéro montrent que si l’identification comme la production de matériaux de recherche sur la violence suppose une proximité suffisante, l’enquête peut néanmoins se passer d’une exposition directe et immédiate à la violence, notamment en s’opérant ex situ ou ex tempo. De même, il arrive que la valeur scientifique de certains matériaux obtenus en amont d’un événement ne se révèle que plus tard, documentant alors un phénomène qui n’avait pas déjà été conçu et défini comme objet de recherche a priori. Dans tous les cas cependant, ces approches ne s’opposent pas et, au contraire, se complètent, offrant chacune différentes possibilités – la distanciation physique assurant un sentiment de sécurité au contact du terrain.

Les choix méthodologiques opérés par les auteur·e·s des articles composant ce numéro résultent de leurs parcours scientifiques et personnels. On peut néanmoins souhaiter que la démarche consistant à protéger systématiquement les chercheur·e·s et leurs interlocuteur·rice·s en situation d’enquête fasse l’objet de davantage de réflexions et de débats, engageant les institutions de recherche à un niveau plus systémique. D’autres approches sont également envisageables, notamment la méthode du groupe de recherche qui permet de susciter le débat et la confrontation des points de vue. Celle-ci peut également permettre, dans certaines situations, de protéger les chercheur·e·s dans la réalisation de leur terrain en les rendant plus visibles, et d’intensifier le processus de production et de recueil des matériaux pour limiter le temps passé au contact direct du danger. En mobilisant différentes approches concomitamment, travailler en groupe peut également permettre de croiser les héritages disciplinaires et méthodologiques afin de multiplier les perspectives et de compléter la pratique ethnographique du terrain. Au sein de l’Institut français de recherche en Afrique basé à Ibadan (IFRA-Nigeria) par exemple, où les deux auteures de cette introduction ont travaillé, la majeure partie des projets sont menés en équipes, internationales et interdisciplinaires, au sein desquelles les questions liées aux conditions d’enquête et à la sécurité des membres sont centrales. Le contexte nigérian, marqué par de fortes restrictions de déplacement pour les chercheur·e·s étranger·e·s et des risques sécuritaires réels dans la réalisation de certaines enquêtes de terrain, implique un fort souci de protection et de vigilance. Celui-ci doit rester permanent et son efficacité uniforme, étant donné que les enjeux comme les conséquences de la prise de risque ne sont pas les mêmes pour les chercheur·e·s selon qu’ils et elles dépendent d’une institution africaine ou occidentale, qu’ils sont hommes ou femmes, ou encore familier·e·s ou non avec l’environnement social dans lequel se déroule l’enquête. Le succès de la méthode du groupe de recherche permet de nourrir la réflexion autour des processus de production et d’analyse des matériaux. C’est ce qu’illustre parfaitement, dans la rubrique « Dans l’atelier des archives numériques », la contribution de Marie Rodet, Aïssatou Mbodj-Pouye, Mamadou Sène Cissé et Mariam Coulibaly sur la destruction des archives de Kayes. Chercheur·e·s et archivistes, collaborateur·rice·s, ils·elles partagent dans cet entretien leur expérience commune des projets de protection des sources archivistiques et livrent ensemble leur réflexion sur le rapport aux matériaux de la recherche dans un contexte aussi volatil que celui du Mali actuel. Témoins de la dégradation de la situation sécuritaire, ils·elles montrent comment celle-ci a eu des effets directs sur leur travail mais révèle également les enjeux de la conservation du patrimoine archivistique.

1 Pour une discussion du tournant institutionnel sur les terrains africains, voir Cheeseman (2018).

2 Les projets de recherche financés par des organes ministériels ou par l’Agence française de développement (AFD) par exemple.

3 Ces débats ont resurgi lors des guerres en Afghanistan et en Iraq, pendant lesquelles l’armée américaine a fait appel à des chercheurs en sciences

4 « The ontics of violence—the lived experience of violence—and the epistemology of violence—the ways of knowing and reflecting about violence—are

5 « It is true that there are very real dangers involved in doing research there. I was aware of these dangers [...], but believed that

6 « Ethnography is an inherently rewarding but at the same time “risky” research methodology. »

7 Voir entre autres Thomson (2009) ; Campbell (2017). Il convient toutefois de noter que la majeure partie des régulations éthiques concernent la

8 « … “hot topics” because of the recognition, and even potential celebrity, that could come from such research. »

9 Voir notamment les travaux menés depuis une vingtaine d’années par Marc-Antoine Pérouse de Montclos sur la violence au Nigéria, ainsi que les

10 Des exceptions existent, voir notamment la conclusion de Grimm & al. (2000).

11 « … has consciously taken the decision to engage in risky research. »

Arendt, Hannah. 1972. Du mensonge à la violence : Essais de politique contemporaine. Paris : Calmann-Lévy.

Aust, Jérôme. 2014. « Financer la recherche sur projet. Figures historiques d’un dispositif de gouvernement ». Genèses n° 94 : 2-6. https://doi.org/10.3917/gen.094.0002.

Ayimpam, Sylvie, et Jacky Bouju. 2015. « Objets tabous, sujets sensibles, lieux dangereux ». Civilisations n° 64 : 11-20. https://doi.org/10.4000/civilisations.3803.

Balandier, Georges. 1951. « La situation coloniale. Approche théorique ». Cahiers internationaux de sociologie 11 : 44-79. URL : https://www.jstor.org/stable/40690873.

Bayart, Jean-François, Achille Mbembe, et Comi Toulabor. 1992. La politique par le bas en Afrique noire : Contributions à une problématique de la démocratie. Paris : Karthala.

Beek, Jan, et Mirco Göpfert. 2013. « Police Violence in West Africa: Perpetrators’ and Ethnographers’ Dilemmas ». Ethnography 14 (4) : 477-500. https://doi.org/10.1177/1466138112463653

Boumaza, Magali, et Aurélie Campana. 2007. « Enquêter en milieu “difficile” : Introduction ». Revue française de science politique 57 (1) : 5-25. https://doi.org/10.3917/rfsp.571.0005

Bourdieu, Pierre. 2003. « L’objectivation participante ». Actes de la recherche en sciences sociales 150 (5) : 43-58. https://doi.org/10.3917/arss.150.0043.

Browne, Brendan Ciarán. 2020. « Conflict Fieldwork ». In The Palgrave Encyclopedia of Peace and Conflict Studies, dirigé par Oliver Richmond et Gëzim Visoka. Cham : Palgrave MacMillan. https://doi.org/10.1007/978-3-030-11795-5_90-1.

Campbell, Susanna. 2017. « Ethics of Research in Conflict Environments ». Journal of Global Security Studies 2 (1) : 89-101. https://doi.org/10.1093/jogss/ogw024.

Clark, Janine, et Francesco Cavatorta, dir. 2018. Political Science Research in the Middle East and North Africa: Methodological and Ethical Challenges. New York (NY) : Oxford University Press. http://doi.org/10.1093/oso/9780190882969.001.0001.

Clifford, James, et George Marcus. 2009 [1986]. Writing Culture: The Poetics and Politics of Ethnography. Berkeley, Los Angeles et Londres : University of California Press.

Cooper, Frederick. 2005. Colonialism in Question: Theory, Knowledge History. Berkeley (CA) : University of California Press.

Cramer, Christopher, Laura Hammond, et Johan Pottier, dir. 2011. Researching Violence in Africa: Ethical and Methodological Challenges. Leyde et Boston : Brill.

Debos, Marielle. 2016. Living by the Gun in Chad. Londres : Zed Books.

Faligot, Roger. 1983. Britain’s Military Strategy in Northern Ireland: The Kitson Experiment. Londres : Zed Press.

Forte, Maximilian. 2011. « The Human Terrain System and Anthropology: A Review of Ongoing Public Debates ». American Anthropologist 113 (1) : 149-153. https://doi.org/10.1111/j.1548-1433.2010.01315.x.

Heitmeyer, Wilhlem, et John Hagan. 2003. International Handbook of Violence Research. Dordrecht : Springer Netherlands. https://doi.org/10.1007/978-0-306-48039-3.

Glasius, Marlies, Meta de Lange, Jos Bartman, Emanuela Dalmasso, Aofei Lv, Adele Del Sordi, et al. 2018. Research, Ethics and Risk in the Authoritarian Field. Cham : Palgrave Macmillan. http://doi.org/10.1007/978-3-319-68966-1.

Greenhouse, Carol, Elizabeth Mertz, et Kay Warren, dir. 2002. Ethnography in Unstable Places: Everyday Lives in Contexts of Dramatic Political Change. Durham : Duke University Press.

Grimm, Jannis, Kevin Koehler, Ellen Lust, Ilyas Saliba, et Isabell Schierenbeck. 2020. Safer Field Research in the Social Sciences: A Guide to Human and Digital Security in Hostile Environments. Thousand Oaks (CA) : SAGE Publishing.

Hoffman, Danny, et Mohammed Tarawalley. 2014. « Frontline Collaborations: The Research Relationship in Unstable Places ». Ethnography 15 (3) : 291-310. https://doi.org/10.1177/1466138114533463

Howell, Nancy. 1988. « Health and Safety in the Fieldwork of North American Anthropologists ». Current Anthropology 29 (5) : 780-787. https://doi.org/10.1086/203702.

Howell, Signe et Roy Willis, dir. 1989. Societies at Peace: Anthropological Perspectives. Londres : Routledge.

Jenkins, Sarah. 2018. « Assistants, Guides, Collaborators, Friends: The Concealed Figures of Conflict Research ». Journal of Contemporary Ethnography 47 (2) : 143-170. https://doi.org/10.1177/0891241615619993

Jones, Gareth, et Dennis Rodgers. 2019. « Ethnographies and/of Violence ». Ethnography 20 (3) : 297-319. https://doi.org/10.1177/1466138119839088.

Knott, Eleanor. 2019. « Beyond the Field: Ethics after Fieldwork in Politically Dynamic Contexts ». Perspectives on Politics 17 (1) : 140-153. https://doi.org/10.1017/S1537592718002116

Koonings, Kees, Dirk Kruijt, et Dennis Rodgers, dir. 2019. Ethnography as Risky Business: Field Research in Violent and Sensitive Contexts. Lanham (MD) : Lexington Books.

Kovats‐Bernat, Christopher. 2002. « Negotiating Dangerous Fields: Pragmatic Strategies for Fieldwork amid Violence and Terror ». American Anthropologist 104 (1) : 208-222. URL : http://www.jstor.org/stable/683771.

Lake, Milli, et Sarah Parkinson. 2017. « The Ethics of Fieldwork Preparedness ». Political Violence at a Glance, June 5. https://politicalviolenceataglance.org/2017/06/05/the-ethics-of-fieldwork-preparedness/ [archive].

Lee, Richard, et Susan Hurlich. 1982. « From Foragers to Fighters: The Militarization of the Namibian San ». In Politics and History in Band Society, dirigé par Eleanor Leacock et Richard Lee, 327-347. Cambridge: Cambridge University Press. Archive : http://hdl.handle.net/1807/19311.

Malejacq, Romain, et Dipali Mukhopadhyay. 2016. « The “Tribal Politics” of Field Research: A Reflection on Power and Partiality in 21st-Century Warzones ». Perspectives on Politics 14 (4) : 1011-1028. https://doi.org/10.1017/S1537592716002899

Mamdani, Mahmood. 2004. « Africa and African Studies ». In Modern World-System in the Longue Duree, dirigé par Immanuel Wallerstein, 147-157. Boulder : Paradigm Publishers.

Marcus, George, et Michael Fischer. 1999 [1986]. Anthropology as Cultural Critique: An Experimental Moment in the Human Sciences. Chicago : University of Chicago Press.

Mbembe, Achille. 2000. De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine. Paris : Karthala

Macleod, Catriona Ida, Jacqueline Marx, Phindezwa Mnyaka, et Gareth Treharne, dir. 2018. The Palgrave Handbook of Ethics in Critical Research. Cham : Palgrave Macmillan.

Moss, Sigrun Marie, et Hajj Mohammed Hajj. 2020. « Keepers of Local Know-How in Conflict: Conversations between Research Assistant and Researcher ». In Researching Peace, Conflict, and Power in the Field, dirigé par Gülsüm Acar Yasemin, Sigrun Marie Moss et Özden Melis Uluğ, 29-48. Springer : Cham.

Mudimbe, Valentin-Yves. 1988. The Invention of Africa: Gnosis, Philosophy, and the Order of Knowledge. Bloomington (IN) : Indiana University Press.

Naepels, Michel. 2006. « Quatre questions sur la violence ». L’Homme n° 177-178 : 487-495. https://doi.org/10.4000/lhomme.21787.

Naepels, Michel. 2012. « L’épiement sans trêve et la curiosité de tout ». L’Homme n° 203-204 : 77-102. https://doi.org/10.4000/lhomme.23101.

Nordstrom, Carolyn. 1997. A Different Kind of War Story. Philadelphia : University of Pennsylvania Press.

Nordstrom, Carolyn, et Antonius Robben, dir. 1995. Fieldwork under Fire: Contemporary Studies of Violence and Survival. Berkeley (CA) : University of California Press.

Nyenyezi, Aymar, An Ansoms, Koen Vlassenroot, Emery Mudinga, et Godefroid Muzalia, dir. 2020. The Bukavu Series: Toward a Decolonisation of Research. Louvain-la-Neuve, Belgique : Presses universitaires de Louvain.

Peter, Mateja, et Francesco Strazzari. 2017. « Securitisation of Research: Fieldwork under New Restrictions in Darfur and Mali ». Third World Quarterly 38 (7) : 1531-1550. https://doi.org/10.1080/01436597.2016.1256766.

Pulman, Bertrand. 1988. « Pour une histoire de la notion de terrain ». Gradhiva 5 : 21-30.

Price, David. 2016. Cold War Anthropology: The CIA, the Pentagon, and the Growth of Dual Use Anthropology. Durham : Duke University Press.

Provini, Olivier, Cédric Mayrargue et Ibrahim Chitou. 2020. « Studying Higher Education in Multi-Faceted Africa: For a Scientific Analysis of Sector Reforms ». Les Cahiers d’Afrique de l’Est / The East African Review n° 54. URL : http://journals.openedition.org/eastafrica/1143.

Rodgers, Dennis. 2007. « Joining the Gang and Becoming a Broder: The Violence of Ethnography in Contemporary Nicaragua. » Bulletin of Latin American Research 26 (4) : 444-461. https://doi.org/10.1111/j.1470-9856.2007.00234.x.

Scheper-Hughes, Nancy, et Philippe Bourgois. 2004. « Introduction: Making Sense of Violence ». In Violence in War and Peace: An Anthology, dirigé par Nancy Scheper-Hughes et Philippe Bourgois, 1-31. Malden (MA) : Blackwell.

Sriram, Chandra Lekha, John King, Julie Mertus, Olga Martin-Ortega, et Johanna Herman, dir. 2009. Surviving Field Research: Working in Violent and Difficult Situations. Londres et New York : Routledge.

Sluka, Jeffrey Alan. 1990. « Participant Observation in Violent Social Contexts ». Human Organization 49 (2) : 114-126. https://doi.org/10.17730/humo.49.2.h033174683462676.

Thomson, Susan. 2009. « That Is not what We Authorized You to Do ». In Surviving Field Research: Working in Violent and Difficult Situations, 108-123. Londres et New York : Routledge [archive].

Thomson, Susan, Ansoms An, et Judith Murison. 2012. Emotional and Ethical Challenges for Field Research in Africa: The Story behind the Findings. Basingstoke : Palgrave Macmillan. http://doi.org/10.1057/9781137263759.

Toros, Harmonie. 2008. « Terrorists, Scholars and Ordinary People: Confronting Terrorism Studies with Field Experiences ». Critical Studies on Terrorism 1 (2) : 279-292. https://doi.org/10.1080/17539150802184652.

Verhallen, Tessa. 2016. « Tuning to the Dance of Ethnography: Ethics during Situated Fieldwork in Single-Mother Child Protection Families ». Current Anthropology 57 (4) : 452-473. https://doi.org/10.1086/687356.

Wheeler, Joanna. 2009. « ‘The Life that We Don’t Want’: Using Participatory Video in Researching Violence ». IDS Bulletin 40 (3) : 10-18. https://doi.org/10.1111/j.1759-5436.2009.00033.x.

Wood, Elisabeth. 2006. « The Ethical Challenges of Field Research in Conflict Zones ». Qualitative Sociology 29 (3) : 373-386. https://doi.org/10.1007/s11133-006-9027-8.

1 Pour une discussion du tournant institutionnel sur les terrains africains, voir Cheeseman (2018).

2 Les projets de recherche financés par des organes ministériels ou par l’Agence française de développement (AFD) par exemple.

3 Ces débats ont resurgi lors des guerres en Afghanistan et en Iraq, pendant lesquelles l’armée américaine a fait appel à des chercheurs en sciences humaines et sociales dans le cadre du Human Terrain System (HTS). En 2007, l’American Anthropological Association (AAA) s’est formellement opposée à ce programme qui violait son code de conduite éthique. Après des années de polémiques, le HTS a été arrêté en 2015 (Forte 2011 ; Price 2016).

4 « The ontics of violence—the lived experience of violence—and the epistemology of violence—the ways of knowing and reflecting about violence—are not separate. Experience and interpretation are inseparable for perpetrators, victims, and ethnographers alike […] Sociopolitical violence can be approached in many ways. At some level, however, to be able to discuss violence, one must go to where violence occurs, research it as it takes place. »

5 « It is true that there are very real dangers involved in doing research there. I was aware of these dangers [...], but believed that anthropologists had to do research where it had immediate social relevance in order to justify our existence. »

6 « Ethnography is an inherently rewarding but at the same time “risky” research methodology. »

7 Voir entre autres Thomson (2009) ; Campbell (2017). Il convient toutefois de noter que la majeure partie des régulations éthiques concernent la sécurité des enquêté·e·s et plus rarement celles des chercheur·e·s (Sriram et. al. 2009).

8 « … “hot topics” because of the recognition, and even potential celebrity, that could come from such research. »

9 Voir notamment les travaux menés depuis une vingtaine d’années par Marc-Antoine Pérouse de Montclos sur la violence au Nigéria, ainsi que les travaux d’Adam Higazi sur les conflits inter-communautaires dans le centre et le nord du pays.

10 Des exceptions existent, voir notamment la conclusion de Grimm & al. (2000).

11 « … has consciously taken the decision to engage in risky research. »

Élodie Apard

Chercheure associée, Les Afriques dans le Monde
https://orcid.org/0000-0003-3162-2876

Cyrielle Maingraud-Martinaud

Institut français de recherche en Afrique au Nigéria (IFRA-Nigeria)
https://orcid.org/0000-0002-3736-6909